Session Club du 27 mai 2019
Philippe Chazal introduit cette nouvelle session du Club Galilée et remercie Roch-Olivier Maistre d’avoir accepté d’en être l’invité de référence. Cette table ronde met l’accent sur l’importance des talents et également de la formation avec notamment les nouveaux dispositifs que le secteur pourrait s’approprier.
Roch-Olivier Maistre prend la parole et rappelle qu’il est précieux d’entendre les professionnels, car on ne régule bien que ce qu’on connaît bien, cela nécessite donc d’être en contact permanent avec les acteurs et de prendre la mesure de leurs problématiques. Le Président du CSA affirme que nous traversons une période de mutations qui impactent le régulateur.
Il explique aussi que le CSA n’est pas qu’un gendarme, il est surtout un tiers de confiance de l’ensemble des acteurs pour être garant des équilibres de l’écosystème. Notamment pour le financement de la création. On serait aujourd’hui tenté de considérer la loi de 1986 comme obsolète, Roch-Olivier Maistre estime qu’on aurait tort, car les principes restent pertinents même si l’environnement change et la régulation doit s’adapter aux évolutions.
Quels enjeux à l’époque et aujourd’hui encore ?
- Un enjeu démocratique : première priorité c’est de s‘assurer du respect de la pluralité des opinions, être garant de ce pluralisme, cet enjeu reste entier à l’heure du numérique (dans le contexte de la manipulation de l’information par exemple)
- Un enjeu culturel : on attribue des fréquences gratuitement à des opérateurs, en contrepartie on impose des obligations, dont le financement de la création, cette problématique reste plus que jamais d’actualité au moment où sur le marché, des acteurs très puissants ne sont pas soumis au même cadre législatif
- Un enjeu sociétal : les médias, au-delà de leur mission propre, ont des responsabilités sociétales ; cette problématique monte beaucoup en puissance dans la sphère numérique et des réseaux sociaux
Ainsi, ces principes de la régulation vont devoir s’appliquer à de nouveaux acteurs. Le Président du CSA évoque la Loi du 22 décembre relative à la lutte contre la manipulation de l’information, qui crée pour ces plateformes une obligation de coopérer et un dispositif de signalement. Pour la première fois, étaient autour de la table non pas TF1, M6, France Télévisions… mais Facebook, Twitter et les acteurs du numérique. Ces acteurs prennent bien la mesure de ce besoin de régulation qui se fait jour aujourd’hui.
En complément, le parlement est saisi d’une proposition de loi sur les contenus haineux. Dans d’autres pays, a été mis en place un code de bonne conduite. L’enjeu en France était de donner au CSA un pouvoir de sanction.
Plus largement, est engagée une réflexion sur la façon dont on pourrait réguler les réseaux sociaux et déjà trois étapes ont été engagées :
1- La loi contre les fake news
2- La proposition de loi sur les médias
3- La transposition de la directive SMA sera la troisième étape
Vis-à-vis des acteurs du numérique, la France pourra imposer des obligations de financement, voire un pourcentage d’œuvres européennes dans leur catalogue. Voilà une des premières fois où l’on prend conscience de ce que veut dire aujourd’hui la défense de l’exception culturelle, observe Roch-Olivier Maistre. De plus, les opinions publiques sont aujourd’hui en mouvement. On supporte de moins en moins les inégalités sur internet.
Dans cet univers, la conviction à avoir est de ne pas percevoir ces progrès là comme des menaces mais davantage comme des sources d’opportunités très importantes. Les nouveaux acteurs expriment des volontés d’investissement colossales. Netflix mais aussi Amazon, Disney, FOX, les masses financières sont sans communes mesures avec ce qu’on connait en France…il est important de considérer les ordres de grandeur sont pour remettre les choses en perspective.
Cela pose bien sûr la question des talents. Trouvera-t-on les talents pour répondre à ces investissements massifs ? Quels arbitrages des consommateurs ? Combien d’abonnements cumule-t-on ? Il n’y a pas encore une visibilité complète et assurée du paysage.
Pour le régulateur, on est dans une phase de mutation. Faire entrer pas à pas de nouveaux acteurs, avec lesquels il faut inventer une régulation nouvelle. Cette collaboration repose sur la responsabilisation des acteurs et ce qu’ils mettent en œuvre. Dans le contexte mondial, les propositions de la France sont écoutées et même susceptibles de faire jurisprudence en Europe, dans le sens où le modèle singulier que porte la France pourrait devenir le modèle européen. Les grandes plateformes américaines sont particulièrement attachées à l’idée de liberté et sont intéressés par la notion de régulation et commencent à préférer celle-ci à l’affrontement. Ils devront nécessairement s’inscrire dans des marchés nationaux pour poursuivre leur croissance. Voilà, une période vraiment passionnante qui va structurer le mandat du CSA pour les 6 années à venir.
Philippe Chazal remercie le Président du CSA pour sa présentation de la régulation et de son agenda futur ; cadre général dans lesquelles s’inscrivent les professionnels, les talents, leur créativité et leurs créations.
Journaliste de télévision et de radio, Caroline Delageprend la parole. Dans chaque média, il y a une opportunité de créer des contenus, c’est cette dynamique qui a amené à la création de Au tableau !!!Créateur de format, est un métier qui n’est pas réellement répertorié, ni aidé, où il faut défendre ses droits et sa création, pointe Caroline Delage. Il est alors difficile de trouver sa juste place dans cette chaîne de la création de format. Pourtant, la créativité française est là, vivante, elle existe, s’exporte. Au tableau !!!est adapté dans de nombreux territoires, à chaque fois l’esprit est respectée. Tout est artisanal.
Philippe Chazal rappelle la division du secteur en deux pôles, le stock (fiction et documentaires, plus globalement des genres aidés et accompagnés) et le flux. Cette distinction dans une même filière n’a plus de sens aujourd’hui. Le flux n’est pas apprécié à sa juste valeur en tant que création et les créateurs ne bénéficient pas du même traitement.
Auteur et producteur de jeu télévisés, Aurélien Lipianskyqui a notamment produit Guess my age, le jeu français le plus exporté de ces dernières années, rebondit sur ce sujet. Il explique que le problème fondamental, est que lorsqu’on évoque la création ou la régulation, on parle toujours de fiction. Pour le flux, on est donc moins dans une exception culturelle et le format de divertissement est moins reconnu. Est-ce qu’il y a assez de talents en France ? Oui, assure Aurélien Lipiansky, mais c’est compliqué. Dans un univers de diffusion un peu bloqué, il est difficile de motiver des créatifs français, car peu de cases sont disponibles. Selon lui, le plus important serait déjà d’avoir une vraie vitrine dans son pays, pour ensuite tester le potentiel à l’export, car tout est lié.
Philippe Chazal note l’absence des métiers du flux et notamment d’auteur de flux dans les référentiels des métiers et de la formation, alors qu’ils devraient être des marqueurs importants.
Il donne la parole à Laure Codronpour le groupe Banijay. Complétant les deux analyses précédentes, Laure Codron souligne à son tour que le flux est la variable d’ajustement des chaînes, il reste très impacté par l’audience. Banijay est le groupe leader sur le flux avec 2000 heures diffusés par an, 80% des marques à l’antenne sont des créations. Le rôle de Laure Codron est d’aider les équipes créatives en mettant l’accent sur des tendances, des habitudes de consommation. Grace à sa puissance, le groupe a d’autre part la capacité de puiser à l’international.
Philippe Chazal rappelle l’importance de la veille internationale, il est en effet très précieux d’actualiser ses connaissances à l’international ; dans la mesure où les projets aujourd’hui sont de plus en plus conçus pour être internationaux. Mais il persiste une inégalité d’accès pour les producteurs, notamment petits et moyens tout comme c’est le cas pour les mesures d’audience. Des enjeux de création qui pourraient faire partie d’une régulation sur l’accès aux contenus.
Chargé de mission auprès de Gérald-Brice Viret, Nicolas Ancelinest également le Directeur des talents artistiques du groupe Canal+. Un département tranverse, issu d’une réorganisation, qui témoigne bien de l’importance de cette matière première. Nicolas Ancelin ajoute également, qu’il est dans l’ADN de Canal+ de détecter des talents et de les faire émerger, et ce, sur toutes les typologies de contenus. Cette recherche se fait bien entendu en contact avec les enjeux des contenus sur les chaînes (linéaire et non linéaire). Il observe que les deux programmes évoqués plus tôt (Au tableau !!!et Guess my age) ont été lancés sur les antennes du groupe + avec une logique très en amont de distribution internationale.
Après le repérage, la deuxième étape étant la transformation. Nicolas Ancelin estime qu’aujourd’hui les organisations ont de nouveaux défis à relever et doivent viser à être de plus en plus agiles, car il y a une problématique de réactivité, surtout vis-à-vis de l’international. L’enjeu est ainsi d’intégrer les acteurs internationaux dans l’équation mais aussi de conserver un savoir-faire et une dimension glocale. Dans ce contexte, il doit y avoir une volonté convergente pour augmenter le niveau français et accompagner les talents de demain.
Philippe Chazal suggère que figure dans les obligations l’investissement en R&D. Dans ce secteur cette dimension-là est peu définie et insuffisamment développée par rapport à d’autres secteurs alors même qu’elle est un réel levier de création et de développement.
Grégory Samak est le dernier membre du panel à prendre la parole, il adopte le point de vue d’une plateforme et insiste sur le moment charnière que nous sommes en train d’expérimenter. Entre la diversité et les stratégies de monopole qui peut l’emporter ? Il y a un vrai enjeu pour les créateurs de formats. L’exception culturelle française se traduira-t-elle par quelques heures dans les catalogues de plateformes ?
Dans ce contexte, Molotov est un acteur qui a mis la diversité au centre de tout. Constatant que les chaînes sont, pour des raisons technologiques, incapables de montrer la richesse des contenus, Molotov veut dévoiler l’extraordinaire richesse du paysage audiovisuel français. Les diffuseurs sont bloqués avec une télécommande quand Netflix a su, par l’ergonomie de son produit, montrer la diversité. Grégory Samak rappelle l’évènement fondateur, il y a 10 ans, le lancement de l’Apple store qui ouvre un océan de créativité.
On le sait Netflix, c’est aussi bien la créativité qu’une prouesse technologique, donc il y a une bataille souterraine technique. A quoi ressembleront les modes de consommation des contenus ? Chaque créateur serait-il capable de mettre contenu à disposition pour le public et de définir son prix ? Deux modèles se dessinent des plateformes monobloc vs des plateformes qui sont en réalité des places de marché. Une configuration nouvelle qui pose la question de l’évolution de la distribution.
Les réactions du Président du CSA
Le CSA s’intéresse au flux, comme en témoigne notamment la publication annuelle du CSA sur la production audiovisuelle avec des focus sur les acteurs du flux. Mais il est vrai que le dispositif de soutien part des mécanismes de soutien du cinéma, structurés au sortir de la guerre. La préoccupation de l’offre de flux est peu prise en compte, reconnaît Roch-Olivier Maistre.
Il ajoute qu’on n’a quand même la chance d’avoir un service public très puissant qui joue un rôle important ; il y a beaucoup de talents en France, qui s’exportent de mieux en mieux. Un motif de satisfaction qu’il faut être attentif à préserver. Cependant, l’asymétrie des acteurs (audiovisuels et numériques) percute le modèle de financement de la création. Une situation qui n’est pas viable économiquement sans réforme.
Molotov est effectivement un outil qui permet d’accéder à la profondeur de catalogue.
Il devrait y avoir une proposition de loi, un texte large sur, tout d’abord, la régulation dans son contenu et son organisation (faut-il rassembler les régulateurs ?), un deuxième volet sur la régulation des nouveaux acteurs (en y incluant le secteur publicitaire) et un troisième bloc dédié à l’organisation de l’audiovisuel public. Ce sera le moment de faire des propositions notamment sur les questions de R&D et du flux.
Questions des membres
Directeur de la fiction numérique de France Télévisions, Sened Dhab prend la parole sur la R&D et l’agilité dans la façon dont il faut travailler sur les programmes. Il y a un besoin d’aller chercher des propositions éditoriales plus niches, pour créer une offre complémentaire à celle des nouveaux acteurs. Se laisser la possibilité de ne pas partir en production derrière, pour garder la meilleure qualité possible, c’est primordial. Donc France Télévisions investit beaucoup sur les talents. Sened Dhab pointe néanmoins une forme de ghettoïsation de cette création dans les budgets alloués et mis en avant. Alors que l’accompagnement de la création numérique et des acteurs émergents est plus que jamais indispensable. Il faut un effort d’adaptabilité et d’ouverture à un public plus large.
Joachim Wasselot (France Télévisions) complète en soulignant une vraie difficulté : les adaptations de programmes étrangers ne sont pas moins aidées que les créations françaises. Une situation qui n’est pas acceptable.
Benoît Thieulin est membre du conseil d’administration, il fait part de deux observations :
- Vu de l’intérieur et malgré l’ambition de la Présidence, on bute souvent en réalité sur le cadre légal ; France Télévisions, s’il veut accélérer, n’a pas les moyens d’aller aussi vite que les autres, la refonte de la loi audiovisuelle doit être l’occasion de réfléchir à ses moyens pour accélérer
- En 1974, pour refuser l’ouverture on a éclaté le groupe public, depuis, selon lui, on essaye de le reconstituer. Revient la question d’un pôle audiovisuel très fort en opposition avec la situation actuelle davantage caractérisée par l’éparpillement. Benoît Thieulin partage ses craintes sur le fait que l’énergie de la tutelle soit captée pour cette nouvelle organisation plutôt que de construire la réponse interne à Facebook et YouTube
Sur la première remarque, le Président du CSA reconnaît la situation contrainte, ce n’est pas un cadre agile. Les tutelles, le Parlement. On est prompt à critiquer mais ce serait injuste de considérer que ces entreprises sont immobiles, estime-t-il. Radio France a vraiment développé une stratégie payante, voilà une entreprise qui a su se mettre en mouvement. Pour France Télévisions, un accord social vient d’être signé. Roch-Olivier Maistre tient à souligner ses dirigeantes talentueuses.
Sur l’avenir de l’audiovisuel public, la problématique est bien résumée. On sent que la convergence des médias à du sens. France Info illustre cette volonté de construire via des projets communs. Faut-il rester sur une collaboration par le bas de projet ou aller vers un rapprochement institutionnel ? La première est possible mais elle prend du temps (grosses entreprises avec cultures très marques, organiser les collaborations volontaires par le bas c’est toujours long) ; mais si par le haut risque à éviter si on fait ce choix d’ajouter une couche. Eviter les superstructures lourdes supplémentaires (processus de la holding)
Philippe Chazal relève une piste que France Télévisions a ouverte, à savoir les accords de coopération avec la Rai et les télévisions allemandes. Ainsi, la capacité à rapprocher BBC, ARD, ZDF, permettrait une configuration de taille à peser sur la scène internationale.
Christian Dauriac souhaite savoir quelles mesures sont à mettre en place pour distinguer vraies et fake news. Le Président du CSA évoque le travail de sensibilisation à l’œuvre grâce aux échanges avec les plateformes. Le principe sera celui de la modération, avec l’aide de l’intelligence artificielle (notamment pour les propos haineux). Il y aura de plus un effet dissuasif grâce au dispositif de sanctions. Facebook a révélé fermer des faux comptes par milliards. Il y a donc un enjeu majeur de protection de l’information.
Philippe Chazal remercie le Président du CSA et le panel pour leurs témoignages, il donne rendez-vous dans un mois aux membres du Club Galilée pour une nouvelle table ronde sur l’actualité audiovisuelle.