Session du 29 octobre 2018
Panel :
Chérifa Afiri, Country Manager France @TargetSpot
Mathieu Gallet, Ex-Président directeur général de Radio France
Silvain Gire, Fondateur d’Arte Radio
Virginie Maire,Fondatrice de Sybel
Julien Neuville, co-Fondateur de Nouvelles Écoutes
Françoise Nottrelet, co-Fondatrice de House of Podcasts
Chloé Tavitian, Responsable Offre PodcastsHavasParis
Philippe Chazal ouvre la séance du Club Galilée, en présentant le panel.
Sylvain Gire, Fondateur d’Arte Radio et acteur historique de la creation sonore, prend la parole et présente son parcours.
Sylvain Gire nous parle de l’histoire d’Arte Radio. En 2002, lors des débuts du web c’est-à-dire sans réseau social, le Président d’Arte France décide de se doter d’une radio web. Silvain Gire est donc missionné pour créer une radio sur internet (alors que le mot podcast n’existait pas et n’apparaitra qu’en 2004). Deux grandes idées font de cette radio web un succès :
- le duo de créateur qu’il forme avec son collègue, disposant de peu de moyens et étant diffusé sur internet, décide de ne pas faire une radio en continu. Ils ne proposent donc pas de “ruban” avec des informations, la météo etc… mais proposent des objets sonores, des fichiers audio. Il n’y a plus de grille, ni de rendez-vous, tout est aboli et il n’y a donc plus de format. La première grande idée est donc d’avoir compris que les objets audiovisuels et culturels n’ont pas à être formatés.
- la deuxième idée repose sur le fait de proposer les œuvres non seulement en streaming mais également en téléchargement. En 2002, le mot “téléchargement” est réservé aux pirates informatiques, ce qui vaut à Arte Radio une image péjorative où l’écoute peut se faire “sur place ou à emporter”.
Venant de l’univers de la radio, il poursuit sous forme sonore, la production de documentaire, de fiction, d’interviews et se lance également dans le “bricolage sonore” avec des produits d’une minute (comme par exemple le Micro-trottoir universel(2005) de Thomas Baumgartener, encore disponible sur internet). Le podcast désignait alors à partir de 2004 un fichier son qui se promène sur internet, et auquel on peut s’abonner grâce à un fil RSS. Aujourd’hui, le podcast désigne selon lui, une manière de parler, de s’exprimer, de s’emparer du micro et c’est en cela que le podcast parvient à se différencier des autres formes. Il existe énormément de narration à la première personne, il faut donc penser à la question du récit, du storytelling, à la non-fiction américaine, et tout ce qui est en train de bouleverser les codes du journalisme, des médias mais aussi de la littérature, sur l’emploi du “je”. Silvain Gire insiste sur le fait que le podcast a donné une voix et un micro à des gens qui n’avaient pas leur place dans les médias et c’est un aspect très intéressant. Au Paris Podcast Festival, deux séances ont rassemblé énormément de monde : celle de Un Podcast à soide Charlotte Bienaimé d’Arte Radio, et La Poudrede Lauren Bastide de Nouvelles Ecoutes, tous deux sur des questions féministes. Il y avait également des podcasts afro comme Le Tchip. Silvain Gire explique que l’on met aujourd’hui en avant des questions d’identités et de communautés qui n’existaient pas auparavant dans les médias.
L’enjeu d’Arte Radio est de faire sa place dans un monde qui a beaucoup évolué en 16 ans (depuis sa création en 2002) : à l’origine, Arte Radio faisait des objets singuliers qui faisaient émerger des auteurs qui ne restaient pas (des émissions, des programmes, des documentaires, des reportages), alors qu’aujourd’hui, le podcast est devenu une habitude, une grille et c’est ce que les auditeurs réclament.
Extrait de La dernière séance, de Benjamin Abittan
https://www.arteradio.com/auteurs/benjamin_abitan
Silvain Gire nous explique que les gens viennent généralement sur Arte Radio pour pouvoir dire “je” justement parce qu’on ne peut pas forcément le faire ailleurs. Il y a grâce au “je” une appréhension particulière du réel, du travail, des tensions identitaires existantes, de la vie. Arte Radio travaille pour fidéliser ses talents et ses auditeurs, et fédérer des communautés. Arte Radio a créé une plateforme en ligne, Audioblog (https://audioblog.arteradio.com), dédiée aux créateurs de podcasts, leur permettant d’appartenir à une communauté. Il existe sur cette plateforme, des tutoriels sur les techniques de prises de son, car les jeunes sont en grande demande d’apprentissage et de connaissances.
En complément de l’offre de podcasts, qui s’individualise et sépare de plus en plus les créateurs, Arte Radio organise des séances mensuelles d’écoute publique à la Maison de la poésie, où sont diffusées en avant-première et en intégralité les plus grandes œuvres produites. Cela crée un effet de désir qui influe sur les jeunes et les pousse à la création.
Silvain Gire nous explique que ce que les gens de radio n’ont pas supporté à l’époque est le fait que le format de podcast provienne de la télé, alors que le web n’était pas encore assez utilisé pour que cela soit considéré comme un produit web.
Fiona Bélier présente Françoise Nottrelet (Fondatrice de House of Podcasts), qui nous parle de son passage de la télé à la radio, et de ce que cela signifie de parler de studio de podcasts.
Le passage de Françoise Nottrelet de l’audiovisuel à la radio a été très naturel. Elle a développé son expertise télévisuelle et digitale en montant des chaînes de télévision sur la scène internationale, chez Lagardère, avant de rejoindre Afrostream, plateforme de streaming pour une population “black”, où elle a lancé un podcast Le Tchip (repris par Arte Radio, https://www.arteradio.com/emission/le_tchip) pour compléter l’offre télévisuelle sur une communauté “niche”, grâce à un media différent, un media de voix. Face à ce succès, elle a monté avec Qéhie Jasari (productrice de cinéma), un studio de podcasts : House of Podcasts (http://www.houseofpodcasts.com). Trois formats sont actuellement en ligne dont deux sont des formats de conversations et un format hybride (sur la sophrologie et le bien-être). Une dizaine de formats sont en préparation pour 2019 dont certains sont pensés en vue d’une adaptation TV, pour poursuivre l’expérience audiovisuelle. Elles sont convaincues que le podcast peut avoir une place similaire à celle qu’occupe le livre c’est-à-dire adaptable à la télévision et au cinéma.
Fiona Bélier donne ensuite la parole à Julien Neuville (co-Fondateur de Nouvelles Ecoutes), qui nous parle de sa ligne éditoriale et son action de diversification. Nouvelles Ecoutes est aujourd’hui l’une des plus grandes références. Que permet le podcast que ne permettent pas les autres medias ?
Le studio Nouvelles Ecoutes a été fondé fin 2016 avec Lauren Bastide. Il insiste sur le mot studio car chacune de leurs émissions est un media. Il n’y a pas de ligne éditoriale commune et de format qui se répètesur chaque émission mais bien une vision commune, qui est celle d’aborder les questions importantes dans la société avec de nouvelles manières de les raconter (le féminisme, la sexualité, l’économie…). Il existe aujourd’hui 11 programmes. Au début, ils ont privilégié le format “talk” (qui est le moins onéreux), puis ont évolué vers le documentaire (sur plusieurs thèmes comme la politique, la sexualité Qui m’a filé la chlamydia? https://www.nouvellesecoutes.fr/qui-ma-file-la-chlamydia/, des faits divers Le Canon sur la tempehttps://www.nouvellesecoutes.fr/le-canon-sur-la-tempe/). Chaque émission a son propre ton.
Pour Julien Neuville, l’adaptation est la manière la plus “cool” de faire de l’argent (car la publicité est problématique). Plusieurs livres adaptés des podcasts de Nouvelles Ecoutes vont sortir.
Le studio lance mi-novembre Primo. C’est un podcast en collaboration avec les éditions Robert Laffont qui est un radio-crochet littéraire avec un appel à manuscrits de roman dont 3 seront sélectionnés. Chacun d’entre eux sera matché avec un éditeur, et l’on pourra suivre ces projets pendant neuf mois jusqu’à la publication des oeuvres. A l’issue de cela, un vote permettra de définir qui des trois auteurs décrochera un deuxième contrat.
Le podcast permet les sujets de niches que la radio ne permet pas. Julien Neuville insiste sur le fait qu’internet est illimité et à la demande : les gens vont au podcast, on ne tombe pas dessus par hasard. Il faut donc faire un contenu qui soit “incarné”.
Françoise Nottrelet insiste sur la notion de liberté offerte par le podcast. Sylvain Gire rebondit sur l’idée que le podcast a apporté un grand bouleversement car il se substitue à la lecture : il gagne en puissance alors que l’on pensait que c’est l’image qui dominerait les médias.
Fiona Bélier présente Virginie Maire, Fondatrice de Sybel, qui nous parle de ce que va apporter cette application et ce nouveau modèle économique dans le monde des podcasts et de la recommandation de contenus.
Sybel est une offre inédite de contenus audio dédiés à la création et à la fiction, proposant des histoires pour enfants, des histoires de science fiction pour adolescents, des docufictions… L’idée est de découvrir, proposer et faciliter la consommation de podcasts (car cela reste compliqué aujourd’hui). Le but est de travailler avec les producteurs et de proposer de la création originale qui sera ensuite diffusée sur Sybel. Cette plateforme permet une liberté immense car chacun devient son propre metteur en scène : il est donc important de les soutenir pour valoriserla création(d’où de nombreuses discussions avec les conventions collectives, et des organismes comme SCAM, SACEM…).
En France, il est compliqué pour les créateurs de trouver des modèles économiques. Sybel est une plateforme payante qui propose un accès illimité aux contenus. Il est donc primordial de trouver du soutien en France (le CNC n’offre pour l’instant aucun soutien à la création audio). L’expérience est primordiale dans la proposition de cette découverte donc Sybel est aussi une application qui permet, via des algorithmes de recommandation, de pousser les contenus les plus en adéquation avec les goûts de chacun. Il y aura sur Sybel un compte avec 5 profils simultanés (dont des profils enfants), proposant donc une offre large.
Les annonceurs s’intéressent de plus en plus aux podcasts. Fiona propose à Chloé Tavitian (Responsable offre podcast Havas Paris), de nous parler de l’intérêt des agences de communication à s’intéresser aux podcasts.
Havas Paris est la branche créative d’Havas. Nous vivons dans un monde où la publicité est vraiment méprisée et c’est en cela que le podcast intéresse, selon Chloé Tavitian. On y retrouve une certaine forme de sincérité et d’authenticité qui manque dans la publicité traditionnelle, et qui permet de renouer un lien entre les marques et leur public. La valeur ajoutée proposée par les agences est de penser le podcast dans un écosystème global de communication : comment servir les enjeux d’une marque, d’une entreprise ? Chloé Tavitian explique vendre des idées avant de vendre des formats, et propose deux exemples représentatifs de son activité :
- Confidences particulières, un podcast développé dans le cadre des Journées Particulières de la Maison LVMH. Il s’agit de la volontéd’avoirrapport direct entre un public et une marque qui peut paraître distante. Le podcast vient compléter cette relation.
- Une série sonore d’histoires vraies d’aviateurs pour les jeunes de l’Armée de l’air.
L’intérêt est de produire des contenus pour les marques qui sortent de l’ordinaire, de réinvestir le format long et de raconter des choses nouvelles (c’est du brand content, c’est choisir un angle d’attaque en prenant le temps de raconter des histoires complexes). La question de la visibilité de ces podcasts est centrale : Havas Paris propose des plans de communication et a accompagné le Paris Podcast Festival. L’une des condition essentielle est de proposer des contenus intéressants avant d’être intéressés, même si cela reste dans un dispositif de communication de marques (qui vont continuer à vouloir vendre leur produit), mais on sort d’une logique publicitaire intrusive.
Dans cette logique de choix du contenu, se posent les question de la visibilité et de la rémunération. Chérifa Afiri (Country Manager @Targetspot France) nous parle de la monétisation des contenus digitaux.
Targetspot est une régie publicitaire internationale qui existe depuis 2005, et qui propose une expertise audio-digitale. Cette régie monétise à la fois des radiocasts FM, du streaming et des pure players.
Le positionnement de Targetspot concernant les podcasts est complètement différent de celui des radios streaming : Targetspot ne souhaite pas vendre le podcast au volume mais au contraire “vendre de l’écrin”. L’annonceur a besoin d’auditeur engagé car il s’agit d’une écoute personnelle. La publicité proposée ne sera donc pas celle proposée en radio mais ciblée, contextuelle et thématique. La publicité proposée doit correspondre au podcast écouté. Chérifa Afiri explique que cette façon de commercialiser la publicité nous vient des Etats-Unis grâce à des plateformes comme Audioboom et Blocktop Radio. Targetspot veut prendre les bestpracticeaméricaines tout en respectant le paysage français très spécifique. Le marché français est très différent du marché américain notamment sur la manière de programmer les campagnes de monétisation : en France, il n’y a qu’un spot publicitaire d’ouverture puis l’écoute du podcast est ininterrompue.
Fiona donne ensuite la parole à Mathieu Gallet, qui évoque son expertise au sein de Radio France et nous présente la future plateforme Majelan avec son associé Arthur Perticoz. Majelan est un nouvel acteur qui a pour ambition de présenter une expérience nouvelle de consommation de podcasts.
Mathieu Gallet parle de l’essor du podcast : en 2018, 63 millions de podcasts Radio France sont téléchargés par mois (contre 15 millions en 2014). La publicité est entrée fin 2016 dans l’usage du podcast, grâce à la recommandation et le bouche à oreille, principalement. Cependant, Mathieu Gallet précise qu’il manque une plateforme pour pouvoir développer un modèle économique et accéder aux œuvres, grâce à un abonnement (cela répond au refus de la publicité intrusive, avec un contenu qui devient de plus en plus premium). C’est permettre aux créateurs d’avoir de nouvelles ressources, et aux auditeurs d’accéder à des documentaires, des fictions…
Arthur Perticoz s’est demandé pourquoi il n’écoutait pas de podcast et met en cause l’expérience globale du podcast qui n’est pas en adéquation avec ce qui se fait aujourd’hui. Son souhait est de remettre le podcast en tant que fichier audio au cœur de l’expérience (créateur, auditeur, utilisateur…), en allant jusqu’au business modèle. Ils ne veulent pas créer une application, mais un business modèle différenciant. Il s’agit de faire en sorte que ceux qui en écoutent déjà en écoutent de plus en plus, et que ceux qui n’en écoutent pas se mettent à en écouter. Faire payer l’ergonomie n’est pas un but en soi, mais le contenu et l’accès à ce contenu seront payants. Une plateforme facilite le processus car elle attire les gens et les utilisateurs, et les capitaux. Le grand pari de tout cela est donc de proposer une expérience que les gens vont payer. Arthur Perticoz insiste sur l’ambition financière de Majelan au service des créateurs et des utilisateurs.
Sylvain Gire rebondit en expliquant que les éditeurs podcasts travaillent sur l’hyperdistribution de leurs contenus, et se demande si le fait de créer des plateformes fédératrices n’irait pas à l’encontre des stratégies individuelles d’écoute sur des applications ciblées.
Matthieu Gallet explique que l’enjeu est de créer une expérience devant aller au-delà de la radio et de l’écoute de rattrapage qui sont liées à la fidélité à une marque.
Virginie Maire précise que l’objectif de Sybel est de faire rayonner la création française à l’international et que la véritable promesse des plateformes en construction est d’avoir et de proposer beaucoup de contenu.
Arthur Perticoz précise également qu’il est essentiel que les plateformes soient pensées dans une démarche internationale et qu’elles proposent des contenus multilingues.
Julien Neuville dit que Nouvelles Ecoutes travaille actuellement sur l’adaptation de certaines émissions et qu’il produit déjà des émissions en anglais. Quoiqu’il arrive, il souhaite garder le contrôle sur le contenu, y compris dans une perspective internationale, car c’est le contenu qui donne sa valeur au studio.
Philippe Chazal se demande si la technologie du son est partenaire et acteur dans la démarche de création; et si les industries qui créent la technique du son participent à la création de contenu.
Silvain Gire explique que le podcast est né grâce à la technologie. Les gens ont tous un enregistreur dans la poche et il devient alors facile d’enregistrer son quotidien, qu’elle que soit le lieu et le moment.
Chloe Tavitian parle d’une corrélation des développement, comme avec les enceintes connectées par exemple : c’est une trajectoire à double sens qui implique que le contenu évolue en même temps que son support de diffusion.
Philippe Chazal remercie le panel pour ses multiples interventions et conclut la séance en invitant les membres à se réunir à nouveau dans un mois.