Compte rendu de la session de rentrée du Club Galilée (18/09/2017)
La séance du jour est animée par Jérôme Caza. Avec le panel de professionnels, il fait le point sur les perspectives du secteur audiovisuel : comment vivent-ils cette mutation en cours. Qu’est ce qui change dans la production de programmes ? Quelle place des nouveaux entrants dans le financement des contenus ? Comment travaille-on avec eux ? Cela pose aussi plus globalement la question de la régulation du secteur. Enfin Comment encourager la création ?
Les professionnels invités interviennent à tour de rôle sur ces différents sujets. La discussion s’oriente d’abord naturellement autour de la question des formats.
Création française, où en est-on ?
Alexia Laroche Joubert se réjouit de la mutation corrélée à une augmentation du nombre de diffuseurs. Elle estime qu’il y a de très belles marques et de beaux programmes pour les historiques. La multiplication des canaux de diffusion donne aussi plus de possibilités, des projets à des tarifs différents. Sur les nouveaux acteurs, il est encore difficile de savoir comment travailler avec eux, car la négociation n’est pas évidente et cela demande beaucoup de trésorerie. D’autre part, il est compliqué de voir la réduction des budgets sur les programmes du service public
Au niveau international, Alexia Laroche Joubert estime qu’il y a de moins en moins de formats qui circulent, ce qui incite les chaînes à demander plus de création et constitue une opportunité pour les producteurs français. La pénurie joue en notre faveur, explique la directrice d’ALP. Dans ce cas, ils sont co-détenteurs des droits et partagent les recettes à l’international. Les chaînes deviennent de plus en plus agressives sur ce terrain-là.
De son côté, Nicolas Coppermann observe que les choses vont dans le bon sens, évoluent au profit des producteurs, mais c’est encore difficile, notamment car les diffuseurs prennent encore trop peu de risques en se concentrant prioritairement sur l’adaptation de marques existantes. Endemol possède 5 formats historiques créés en France qui voyagent, donc la balance commerciale est très nettement déficitaire.
Jean-Louis Blot a quitté la filiale française de groupe BBC il y a quelques mois pour rejoindre les équipes de Warner. A l’inverse, il observe qu’en France il y a des formats depuis quelques années, des nouveautés, des créations, du talk-show qu’on peut, selon lui, appeler des formats. Il y aurait en réalité beaucoup de flux qui échappe aux sociétés multinationales. En revanche, Jean-Louis Blot estime que la création et l’exportation de formats n’est pas une spécialité française, d’autres pays sont obligés de les rendre « voyageables », car le financement est prévu ainsi dans la mesure où les acteurs sont aussi des distributeurs. Le financement très local de la France n’encourage pas l’exportation. Et si on met en rapport l’investissement apporté et le nombre de formats exportés, le résultat s’avère décevant.
Alexia Laroche Joubert va dans ce sens et considère qu’on produit des formats non internationaux. Dans cette optique, la réussite du format Guess my age, qui a été pensé pour l’exportation témoigne du cercle vertueux mis en place quand un distributeur devient acteur d’entrée de jeu et s’implique en amont du développement du format. Une réflexion plus adaptée au marché international. Jean-Louis Blot ajoute également que le marché français est tellement spécifique qu’il est compliqué pour les acteurs étrangers d’investir en France.
Jérôme Caza rappelle qu’à un moment donné on a eu la possibilité de créer énormément de formats. A titre de comparaison, le Royaume Uni crée pour un marché anglo-saxon au départ. Alexia Laroche Joubert note qu’il y a beaucoup plus de chaines au Royaume Uni, avec un besoin de contenus, en France on a démarré après et le marché était depuis longtemps structuré autour d’une chaine au monopole européen, TF1. Jean-Louis Blot ajoute qu’il était plus simple d’exporter dans les années 90.
Nicolas Coppermann prend le contre-exemple de l’Espagne, marché qui ne répond à aucun de ces critères. Il y a, selon lui, une confiance, une capacité à prendre des risques sur un marché qui ne paraît pas plus attractif que la France. Il en conclut qu’il n’existe rien de structurel qui expliquerait le retard en France en matière d’exportation de formats. Jean-Louis Blot indique que le marché français est très similaire avec l’Allemagne et l’Italie.
Alexandra Crucq insiste sur le fait qu’il faut continuer à accompagner les grands créatifs en France. Elle cite l’exemple du format Vendredi tout est permis, développé par la société de production d’Arthur, un format de divertissement qui a énormément voyagé. Selon la directrice générale de Production Valley, la difficulté vient principalement des diffuseurs qui n’auraient pas la culture du risque. Dans un univers globalisé, où les usages ont changé, ils doivent plus que jamais réinventer leurs modèles. D’un autre point de vue, la France semble très compétitive en matière de formats, dans la mesure où tous les producteurs cherchent à les adapter sur le marché local. On entretient l’idée que la création n’existe pas en France.
En complément, Alexia Laroche Joubert explique que passer par la France constitue une marque de plus-value pour les formats internationaux. La capacité de création se situe aussi dans la capacité à adapter des formats, par exemple lorsque Big brother devient Loft story sur M6.
Jérôme Caza s’interroge sur les capacités de développement des acteurs français : quel investissement pour un nouveau jeu ? Alexia Laroche Joubert annonce la dépense moyenne dans un pilote, entre 100 et 150K€, en réalité beaucoup plus si on ajoute les salaires des équipes de développement.
Guénaelle Troly souligne le grand nombre de propositions de qualités qui sont faites par les producteurs. Une pluralité et une diversité de projets très importantes au regard du faible nombre d’heures disponibles dans les grilles de programmation des chaînes. Elle rappelle aussi que la mise à l’antenne constitue une 2ème prise de risque, après le choix du projet. Dans le cas de RMC Découverte, la chaîne a investi de nouveaux territoires, sur lesquels il y avait peu de savoir-faire au départ. Des formats comme Top Gear, diffusé à la fois en version adaptée française et en ready made, a permis d’acquérir de nouvelles compétences. A l’arrivée, la version française est nettement au-dessus de la version anglaise, car au fil des saisons, les équipes de production ont su conjuguer les marqueurs du format anglais avec la touche française.
Partir à la poursuite des millennials ?
Les professionnels évoquent dans un second temps leur positionnement sur le digital. Nicolas Coppermann s’est posé la question au sein de son groupe de la nécessité d’investir sur du contenu premium digital. Il observe, qu’il existe en fait peu de passerelles entre les deux mondes, celui de la télévision et du numérique. Dans ces conditions, ramener les millennials sur la télé est un travail long et difficile, pour autant ces derniers continuent à consommer des contenus télévisuels. En outre, le président d’Endemol-Shine France précise que produire du contenu pour les chaînes historiques signifie toujours avoir l’objectif de réunir le public le plus large possible, cependant on sait désormais que toutes les cibles ne seront pas présentes le soir de la diffusion, le replay est en ce sens un relais d’audience important. En revanche son modèle économique est toujours compliqué, il ne finance pas les programmes.
Jean-Louis Blot pense également que la monétisation du digital en France est très compliquée. Avec un CPM cinq fois moins important en France qu’aux Etats Unis ou au Royaume Uni, il faut accumuler beaucoup de millions de vues pour gagner un peu d’argent en France, alors qu’il suffit d’une exposition ciblée aux Etats Unis pour générer du revenu. S’ajoute à cela, un marché publicitaire qui stagne un peu pour la télévision et reste très fractionné sur internet. Ce manque de puissance reste pénalisant. D’autre part, concernant la production de contenus, il est aujourd’hui encore difficile d’avoir des zones de contact avec les acteurs majoritaires du web et on reste très loin des budgets de la télévision. Il n’y a pas de mode de financement et les prix ont tendance à baisser. Alexia Laroche Joubert observe que le digital devient davantage intéressant pour un producteur audiovisuel lorsqu’il s’appuie sur une marque connue, un format qui possède déjà un public, une communauté identifiée. On se situe alors dans un mode de financement un peu plus maîtrisé.
Alexandra Crucq rappelle que la principale préoccupation pour les producteurs reste de créer un programme familial fédérateur, à des heures stratégiques. Selon elle, produire spécifiquement pour les millennials est une erreur. Alexia Laroche Joubert trouve de plus intéressant l’évolution du regard des chaînes sur leur cible et constate que finalement on n’a pas perdu le contact avec cette génération.
Côté diffuseur, Guénaëlle Troly explique que RMC Découverte s’est tout de suite positionné sur une audience 25-49 ans, avec une consommation replay qui fonctionne très bien, en revanche pas de programmes digitaux propres qui sont en dehors du cadre de leurs compétences. RMC Découverte va fêter ses cinq ans, c’est une jeune chaîne qui souhaite continuer à proposer des choses inédites. Pour cela deux missions principales : avoir du contenu frais et creuser sur l’access.
Jérôme Caza mentionne que le groupe est rentré sur le terrain de la tv payante. Comment observer ce paysage ultra compétitif ? Guénaëlle Troly précise que le lancement de deux chaînes cinéma et série correspond à la volonté d’investir dans les contenus. Il y aura une montée en puissance pour les abonnés sur la chaîne sport. Les thématiques choisies sont les classiques rassurantes.
Comment travailler avec les nouveaux entrants ?
Nicolas Coppermann révèle être en discussion avec certaines plateformes et avec des premiers contacts concernant le flux. Aujourd’hui la majeure partie de l’argent est investi aux Etats Unis, la volonté de la part des plateformes de faire du programme local en flux reste timide.
Jean-Louis Blot pense effectivement que des acteurs comme Netflix et Amazon ne vont pas faire beaucoup travailler les producteurs locaux. Car Netflix aujourd’hui négocie sur des territoires énormes et cherche des contenus ultra universels, ce qui place les producteurs locaux dans une position de faiblesse concernant la distribution de leurs contenus. Par ailleurs, le directeur général de Warner croit en l’émergence de nouveaux scenarios qui intègrent plus en amont les potentialités du digital. Il y aura peut-être l’ambition de mettre en place des marques locales de formats internationaux et également d’investir sur les plateformes locales. Selon lui, l’avenir c’est le local. On peut imaginer un modèle avec une première diffusion sur la plateforme d’un diffuseur puis une deuxième fenêtre sur une chaîne, avec un complément de financement.
Nicolas Coppermann signale en outre que la ressource publique a tendance à baisser et la ressource publicitaire également ce qui ramène à la question de la régulation.
MYTF1 plus de vidéos vues que Dailymotion ?
Alexandra Crucq attire l’attention des membres sur les très bons scores de la fiction quotidienne de TF1 en replay, à savoir entre 500 et 700 000 vues à J+7. Voilà une évolution intéressante à suivre de près. Elle mentionne de plus l’entrée sur le marché français d’acteurs tels que Storylab ou le groupe Dentsu qui est un annonceur à l’origine, tous deux vivement à la recherche de contenus.
Jean-Louis Blot souligne d’autre part une contradiction intrinsèque au marché français : l’intérêt pour les producteurs reste encore aujourd’hui de garder des marques très longtemps. Dans ces conditions, il est compliqué de demander une prise de risques. L’attrait de marques historiques à réinventer pourrait-il constituer une piste nouvelle ?
Dans l’écosystème du développement de formats, Jérôme Caza mentionne la SAJE dont la mission est précisément de financer des développements et des productions, cette subvention s’adresse aux formats de jeu ou de programmes de flux dans la mesure où ils possèdent une mécanique de jeu avec un vainqueur à la fin.
Enfin en réaction aux remarques de l’audience, Alexia Laroche Joubert évoque le cas Molotov, une plateforme pour laquelle les ayants droits ne touchent pas de rémunération. Il y a là semble-t-il un combat à mener de la part des diffuseurs.
Dans une configuration où les canaux se multiplient, où le contenu devient une denrée précieuse, Jean-Louis Blot estime que le pouvoir est aujourd’hui détenu avant tout par les distributeurs. Quant aux diffuseurs, leur rôle tend à devenir un éditeur de contenus.