Compte rendu de la session du 12/12/2016
Philippe Chazal reconnaît d’abord que sur le dernier trimestre de cette année le Club n’a pu tenir le rythme mensuel de ses séances. Ces animateurs étaient en effet concentrés sur le lancement de la Fabrique des Formats, dont la construction est née eu sein du Club. Pour 2017, nous allons tout faire pour retrouver notre rythme mensuel ; de nombreuses pistes de sessions prévues avec suffisamment d’avance sont déjà en préparation. Elles figurent dans le dossier distribué comme d’habitude en début de séance, par exemple le Club peut être un lieu d’exploration et de discussion pour les différentes organisations professionnelles et syndicales du secteur de l’audiovisuel comme de celui du numérique, le Club est prêt à redevenir un lieu de rencontres entre les partis politiques et les professionnels dans la perspective des futures élections présidentielles ; un acteur nouveau ou rare comme une banque active dans notre secteur ou une plateforme…peut venir dans le cadre d’une session du Club pour une rencontre avec nos membres ; le feuilleton de l’hybridation entre audiovisuel et numérique est toujours d’actualité pour le Club ; sachant que la création restera le centre du travail du Club et que les sessions seront le plus possible en phase avec l’actualité de notre secteur et même si possible en avance sur cette actualité. Nous allons donner plus d’importance à l’international.
Enfin nous appelons les membres du Club à faire des propositions de thématiques en fonction de leurs préoccupations et des urgences qu’ils ressentent.
Ainsi sont envisagées dès maintenant au premier trimestre 2017 une séance avec le groupe bancaire Natixis, qui a de multiples activités avec notre secteur qu’il serait utiles à tous de rappeler, une seconde session est prévue avec Nathalie Sonnac du CSA qui va présenter, probablement en février, un rapport important sur la distribution – ce sera l’occasion pour le Club de l’inviter et de traiter cette thématique si importante aujourd’hui avec un panel de professionnels – enfin nous prévoyons en mars de commencer une série de sessions avec les principaux partis politiques ; nous commencerons probablement avec le parti Les Républicains. Et après le MIPTV, en avril, une session qui nous permettra de mieux connaître les professionnels qui ont pris dans notre secteur de nouvelles responsabilités à des niveaux importants.
Aujourd’hui, un thème nouveau dans l’actualité et les préoccupations du secteur : la data ; sous deux aspects : économique et éditorial.
Nous évoquerons ainsi la monétisation, les enjeux publicitaires des datas, ce que les datas renseignent sur la consommation, pour aller plus loin sur la relation entre contenu et consommation.
Puis deux exemples d’utilisation de la data comme composante de la création audiovisuelle : le programme Datagueule et franceinfo, qui se distingue dans ce paysage assez riche de l’information en continu par l’utilisation fréquente et intelligente de la data sur ses antennes.
Philippe Boscher, en charge de l’innovation, et du développement de la régie digital de TF1 donne la vision d’une chaine commerciale comme TF1 et celle des annonceurs sur la data.
L’annonceur cherche avant tout la mesure (qui doit aider à mieux maitriser la conversion entre exposition publicitaire et transformation en vente des produits), les chiffres, les ciblages pour optimiser les créations, les médias choisis en fonction de la data. Donc chez les annonceurs, la data est un sujet industriel de plus en plus central. Pour les médias, le chemin est étroit, car il faut être innovant et répondre aux attentes des annonceurs tout en veillant à ne jamais oublier le contexte et le contenu.
De nouvelles cibles publicitaires plus affinitaires
Ainsi, l’objectif est de trouver la bonne innovation sur un terrain publicitaire marqué par la concurrence des pures players dont la data est l’adn. On annonce que la télévision va s’acheter de plus en plus de manière automatisée et présente les outils utilisés par TF1 : une box qui cumule 200 millions d’euros d’achats publicitaires, One data qui s’applique au live comme au replay, parce que les cibles socio démographiques doivent être complétées par des cibles consommateurs. Aujourd’hui, en plus de la cible RDA de -50 ans la régie peut proposer à ses clients des acheteurs de shampoing, de yaourt. Ils ont mis en place un « GRP acheteurs de yaourt » issu d’un mariage entre la data sortie de caisse supermarché et le médiamat. Aujourd’hui, TF1 comptabilise 44 marchés différents.
Philippe Boscher présente également One exchange qui permet d’acheter les préroll en temps réel aux enchères sur la base de la data. Une bourse en direct avec des caractéristiques prédéfinies à chaque fois qu’un internaute lance un replay. Certains annonceurs disposent d’informations sur les internautes et se positionnent à des moments précis. Pour l’annonceur, la recherche d’efficacité est là, la régie recherche des informations qui vont donner une affinité (familiale, urbain…). Des outils sont également développés pour l’univers des box, un service de géolocalisation qui permettra d’adresser des publicités pour un magasin près du téléspectateur par exemple. Enfin, il faut garder à l’esprit que tout cela reste, hors France 3 régional, interdit en TV, le CSA ne permet pas l’individualisation.
Philippe Boscher répète que derrière ces enjeux de datas, il est capital de ne pas oublier la valeur du contenu, l’efficacité publicitaire sera toujours meilleure devant un bon contenu, fidélisant.
Philippe Chazal s’interroge : plus c’est précis, plus il faut être innovant ? Philippe Boscher note qu’on est poussé par les pures players qui proposent nativement ce type de données. Ainsi, Google a des informations sur tout ce que vous cherchez, Facebook sait beaucoup de choses sur vos centres d’intérêts. Dans ce contexte, il annonce réfléchir à des partenariats stratégiques sur des zones complémentaires. Il ne faut pas oublier que la télévision permet de toucher beaucoup de monde, un ratio à garder à l’esprit : TF1 : 30M de téléspectateurs par jour vs YouTube : 30M par mois.
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La parole est donnée à Cédric Monnier, qui est spécialisé dans la gestion d’audience dans les médias pour faire le lien entre le consommateur et celui qui a construit le contenu et ainsi réduire la distance entre ces deux personnes. Dans cette perspective, FlameFy va chercher de la donnée qui permet de comprendre les centres d’intérêt des personnes via les réseaux sociaux, les plateformes sociales, de vidéo. Ils échantillonnent ce qui se passe et modélisent des segments d’intérêts. L’estimation est anonyme mais fine.
Cédric Monnier explique qu’il travaille avec différentes typologies d’acteurs et de contenus : des chaines TV – FlameFy a intégré l’incubateur de TF1 – des programmes de flux ou de stock pour leur mise en ligne, des lancements de films pour le cinéma, dans ce cas l’objectif est de comprendre où sont les gens et de voir s’il y a un ancrage sur un contenu. FlameFy travaille aussi pour des plateformes SVOD pour aider à construire le catalogue, sa rotation et les stratégies d’achat. FlameFy a vocation à aider dans la création de contenus, il cite plusieurs exemples :
- Lancement de la plateforme. Ils se sont alors demandé quelles seront les personnes les plus intéressés – pour trouver un bassin d’audience – Quel le premier contenu à mettre sur la plateforme ? Quelle est la taille d’audience, niveau d’antenne pour faire un retroplanning
èObjectif mettre à l’antenne le bon contenu au bon moment
- Usage direct de la data. Spicee a produit un documentaire sur les conspirationnistes. Dans ce cas la data a été utilisée pour alimenter le contenu de l’enquête. FlameFY a mesuré qui est intéressé par ces sujets, cela a permis de démonter des logiques, l’inefficacité des plateformes sur la modération. Le documentaire a ainsi pu dénoncer le niveau de marketing, de gestion d’influence de ces réseaux.
èLa data enrichit le contenu et étaye la démarche de création et de diffusion
Quand la data guide l’éditorial
En outre, FlameFy travaille sur l’aide au financement en réalisant des études et de la prédiction d’audience pour les producteurs qui peuvent alors connaître le niveau d’affinité et d’intérêt à 3 ou 6 mois, le bassin d’audience potentiel de certains sujets et donc de voir si certains types d’annonceurs seraient intéressés par ces cibles.
Leurs outils permettent de faire des vrais tests sur la pertinence du sujet sur une zone géographique donnée (pour des sujets assez matures qui ont déjà un teaser ou des extraits disponibles) mais aussi de déterminer à quel point un sujet est proche de sujets similaires.
Cédric Monnier ajoute que ces données peuvent être utiles à des producteurs pour des conseils à l’éditorial. Une rédaction se servirait de la plateforme pour regarder quels sont les sujets intéressants sur 3 thématiques, vérifier que la thématique est bien couverte mais aussi observer la concurrence.
Un risque d’appauvrissement ? Cédric Monnier affirme que tout repose sur la ligne éditoriale. Le dispositif reste piloté par des professionnels pour éviter la perte de qualité et il est réservé au digital uniquement. Sur l’utilité, il donne des exemples de thématiques people, gastronomie, pour lesquelles il est facile de générer des contenus qui « collent ». C’est une industrialisation des marronniers.
Philippe Chazal évoque l’hypothèse d’un usage pour les petites chaînes pour lesquelles la marge de manœuvre économique est réduite, ce qui permet de mesurer l’échelle des risques.
Cédric Monnier ajoute que pour les séries télévisées, l’enjeu est de maintenir l’audience entre les saisons, pour cela FlameFy recueille des données échantillonnées sur une saison qui peuvent constituer des guides sur la scénarisation de la saison qui suit (décision sur le script, sur le casting).
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En guise d’introduction, Céline Limorato détaille le service de l’innovation à France Télévisions qui regroupe plusieurs activités :
- Le développement TV, une prospective au service des antennes, pour imaginer des univers différents (grâce au rapprochement entité veille, nouveaux formats, et nouvelles écritures)
- Les Nouvelles écritures. Après une première phase de défrichage, la logique aujourd’hui est d’être plus proche des audiences, en intégrant davantage les nouveaux usages, technologies qui évoluent très vite. Il y a deux plateformes : Studio 4 (fiction) et IRL (regard d’auteur sur le monde d’aujourd’hui)
Sur le numérique, l’enjeu de France Télévisions est de travailler sur la notion de marque car c’est la cohérence d’une offre, de la visibilité et de la pertinence qu’il faut présenter aux annonceurs. Le bon exemple : Datagueule. Décrypter dans un monde d’« infobesité ». Un regard d’auteur, une nouvelle forme de création, avec une identité propre et à la clé 19 millions de vues sur YouTube.
France Télévisions : une stratégie de marque 360
Céline Limorato revient sur l’apport des technologies développées par FlameFy. Ne s’agit-il pas d’une aide à l’envers ? Car, avant tout, l’enjeu du diffuseur c’est davantage de mettre en valeur, de créer des affinités, que d’adapter le contenu éditorial à des chiffres. Sur ce registre, elle estime que les Nouvelles Ecritures ont un travail à faire sur leurs datas, pour mieux mettre en valeur les contenus et segmenter plus finement la démographie des plateformes. Céline Limorato regrette qu’il y ait beaucoup de créations et d’innovations de valeur sur France Télévisions qui n’aient pas été vues. En conséquence, il faut faire un travail de marketing, de wording de l’éditeur afin que ces contenus soient vus par un maximum de personnes.
L’autre objectif de son département est d’alimenter franceinfo avec des nouveaux formats, précisément grâce aux contenus Nouvelles Ecritures pour porter un regard différent sur l’actualité.
Céline Limorato estime que ces nouveaux formats intégrant la data requièrent davantage de visibilité et une offre cohérente.
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Luc Hermann est le producteur du format Datagueule, il affirme que la data est un vrai sujet. Concernant Datagueule, il rappelle que sans la coproduction avec France Télévisions, le programme n’existerait par car la monétisation sur Google n’est pas assez importante même s’il y un partage des fruits de la publicité de la plateforme.
La data comme matériau d’enquête
Sur le contenu, Datagueule est un programme court de motion design diffusé sur internet. C’est le défi des chiffres. Aux commandes, une équipe de talent qui arrive à concocter un programme très éditorialisé, car il ne s’agit pas seulement d’une succession de chiffres, le ton est assez accrocheur, il y a beaucoup de sound design.
Luc Hermann se félicite de la très jolie vie du format sur YouTube et Facebook, un programme qui rétablit des vérités sur des sujets concernants et partage des sources pour que l’internaute puisse refaire l’enquête. Cet été a été testée une version plus longue avec des interviews « de ceux qu’on ne voie pas beaucoup sur certains sujets ». Le parti prix était alors d’aller chercher ces voix différentes pour enrichir l’information.
Premières Lignes est une forme hybride d’agence de presse qui a trouvé sa liberté notamment sur le service public. Il prend l’exemple de Cash Investigation pour lequel il a fallu convaincre pour obtenir une diffusion en prime time.
Luc Hermann raconte l’histoire de l’enquête autour des Panama papers. A l’origine, un regroupement de 109 partenaires et pays pour analyser les documents, un travail de longue haleine qui a nécessité les compétences de codeurs, pour notamment mettre au point algorithmes pour créer des bases de recherches. France 2 a bloqué une case 8 mois à l’avance. Un pari réussi qui a réuni 4 millions de téléspectateurs devant l’écran. Luc Hermann résume ainsi : « On a réussi à partir de données ultra complexes à donner un sens et pousser certains acteurs à changer leurs pratiques d’optimisation fiscale ».
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Julien Pain prend la parole au nom de franceinfo qui diffuse depuis septembre 2016. Il a en charge la rédaction en chef des modules. La chaîne se distingue des autres sur le thème de la data. L’enjeu de départ était de faire des magazines en mode digital first pour trouver un public plus jeune et aller chercher cette audience potentielle avec un panel d’outil et notamment la data comme moyen d’éclairer le public.
Franceinfo : capter les cibles jeunes grâce à une visualisation intelligente de la data
La data est présente un peu partout dans les modules de franceinfo. Julien Pain donne l’exemple de Dataculte dans lequel l’INA remet en perspective des images d’archives. Tous les sujets ont des data à l’intérieur qui seront inscrites à l’écran principalement « pour marquer les esprits » et ainsi aller chercher des publics sur Facebook grâce à des sujets compréhensibles sans le son (les vidéos Facebook se regardent majoritairement sans le son en mobilité). Il est donc parfois difficile d’adapter le même contenu à des plateformes différentes.
Julien Pain explique que les équipes de franceinfo se sont lancées tête baissée dans la data. Datagueule est un empilement de data efficace de telle sorte que ce qui rentre dans la tête c’est le message du journaliste, mais tous les programmes ne peuvent pas être comme ça. Donc la chaîne a finalement décidé de donner moins de chiffres mais de les comparer et trouver la bonne visualisation de chaque donnée, car la data sert à éclairer les gens. L’autre « ingrédient » c’est l’humour, notamment pour parler aux jeunes, en ce sens Datagueule est un programme ludique.
On souligne également le gros travail des graphistes pour mettre en image le contenu. Et le chiffre exprime aussi une subjectivité, on sélectionne les chiffres qui nous intéressent.
La séance se clôture par quelques questions.
Philippe Boscher répond au sujet des transferts d’audience sur les plateformes. Il précise que le modèle économique est rarement au rendez-vous. Il y a une impasse économique de l’exposition des contenus, et une dépendance vis-à-vis des data, car sur le numérique c’est Facebook qui les collecte.
Marc Guidoni ajoute qu’on fabrique beaucoup de contenus pour enrichir les GAFA.
Dans ce conteste, TF1 expose ses contenus mais cherche à trouver le bon compromis avec les plateformes car il y a un vrai risque que l’argent échappe aux diffuseurs, pour des programmes digitaux qui viennent diminuer l’audience organique du programme.
Luc Hermann s’interroge sur le risque d’affaiblissement des marques du fait de leurs présences sur les pure players. Philippe Boscher rappelle que les datas collectées au travers des audiences générées sur les sujets de TF1 viennent qualifier des cibles pour les plateformes qui ne paraissent pas toujours attentives au contenu. Pour tout l’écosystème média, il est nécessaire de trouver des bons deals. Céline Limorato estime qu’il est plus facile pour un acteur privé de porter cette voie. Il faut intégrer ce risque vis-à-vis de la création, qui reste le vrai sujet incontournable.
Est-ce qu’il y a des modèles à l’étranger ? « Aujourd’hui tout le monde cherche le modèle », pense Philippe Boscher. La politique de sanctuarisation des audiences et des contenus et de rejet des plateformes peut être dangereuse car isolante. Il faut tenter des choses.
Céline Limorato interroge Philippe Boscher sur les initiatives de niches de TF1 digital. My TF1 Extra possède une monétisation plutôt réussie sur des niches et garde l’objectif de trouver des relais média auprès des cibles plus jeunes. Quant à Esport, s’il est un succès auprès des annonceurs (partenariat Twitch), il mobilise une audience rare dans la palette de TF1. Ce sont encore de petites cibles. TF1 se doit d’être fédérateur mais parfois sait prendre des risques, dernier en date l’arrivée de Yann Barthès sur TMC. Un risque qui s’avère payant puisque l’audience a suivi.
Au terme de ces échanges, nous avons pu appréhender plusieurs facettes de la data, comme matériau éditorial efficace et ludique, au service d’enquêtes journalistiques ambitieuses et comme outil de monétisation et de création de nouvelles cibles publicitaires plus précises, plus affinitaires.
Les intervenants nous ont de plus alerté sur l’enjeu de la captation de la valeur par les géants fédérateurs du web qui s’attribuent tous les bénéfices du savoir-faire des éditeurs et des producteurs sans financer ces créations et partager avec celles-ci la monétisation des data que produisent ces mêmes créations audiovisuelles. Dans cet écosystème en reconfiguration, des partenariats stratégiques restent à trouver pour financer la création et offrir au public des contenus de qualité, et ce, quel que soit le support.
Au nom du Club Galilée, Philippe Chazal souhaite à toutes et à tous de très bonnes fêtes de fin d’année et donne rendez-vous aux membres en 2017 pour la poursuite des réflexions du Club Galilée.