Compte rendu de la session du 18/04/2017
En introduction, Philippe Chazal présente les activités du Club Galilée qui réunit tous les métiers et toutes les générations du secteur et se concentre sur les enjeux de la création.
Première session politique avec les représentants du parti Les Républicains. On se propose aujourd’hui de faire le tri entre les questions récurrentes sur lesquelles on doit se battre avec beaucoup d’énergie, notamment sur le droit d’auteur et la notion d’exception culturelle, les questions qui semblent encombrer le débat et, en troisième point, les enjeux nouveaux.
Car la France a besoin de prendre la mesure à la fois de sa créativité et de sa petitesse. Dans le dossier de présentation ont été compilées les propositions du candidat du parti Les Républicains sur l’audiovisuel et le numérique ; les propositions sur l’emploi et la formation auraient également pu être ajoutées. Tant le secteur audiovisuel doit être perçu comme un secteur comme les autres.
Les thématiques abordées aujourd’hui concernent la création, les talents, les entreprises et les nouveaux modes de financement.
La France vs le marché mondial
Jérôme Bodin intervient en premier pour rappeler que la France est un petit marché média. En ce sens, deux chiffres résument bien la situation : l’évolution de la valeur du marché : le marché publicitaire français a baissé de 6% sur 10 ans, alors que le Royaume Uni a progressé de 17% et l’Allemagne de 9%. L’illustration de cette tendance passe par le marché en valeur. Lorsque l’on regarde la somme des capitalisations boursières des groupes composant les paysages médias, on constate que le marché français a été divisé par 2 an 10 ans. A l’inverse, le marché anglais a été multiplié par 2,9, l’écart s’est constitué. Ainsi, Jérôme Bodin explique que les économies anglaises et allemandes ont été plus dynamiques. Il y a, de plus, des éléments sectoriels ; se pose 3 questions :
- La règlementation : quelles mesures peuvent relancer la croissance ?
- La concentration : y-a-t-il trop d’acteurs à la fois sur le marché de la diffusion et de la production ?
- L’international : si la croissance ne peut pas être relancée d’un point de vue domestique, doit-elle se faire sur des gains à l’international ?
- Ce dernier point pose plus généralement la question de la gouvernance et de l’harmonisation entre les différentes filiales.
Pascal Breton prend la parole au nom des producteurs. Il a fondé Federation Entertainment, il annonce en introduction : « nous sommes miraculeusement, à la différence de autres secteurs, dans un secteur en très forte croissance ». Les anciens acteurs ont les moyens de préserver leur activité et, à côté de cela, il y a énormément d’argent investi ce qui multiplie la richesse du secteur. Netflix passe la barre du 100 millionième abonné, les réseaux sociaux gratuits offrent désormais énormément de contenus.
Le secteur évolue alors même que la France semble se replier sur ses débats nationaux.
Pascal Breton ajoute que l’audiovisuel est un secteur de très grand potentiel avec un avenir difficile pour les modèles économiques traditionnels, il faut s’adapter à ce système. Un exemple avec le groupe public anglais BBC qui, dans son pays, est devenu le premier média numérique. Selon le fondateur de Federation Entertainment, les équilibres producteur/diffuseur fonctionnent, c’est les acteurs économiques qui ne sont pas assez forts. Il estime que des groupes comme Canal Plus auraient pu anticiper davantage la montée en puissance d’acteurs comme Netflix, la situation de monopoles serait en ce sens un handicap.
Pascal Breton a identifié plusieurs points clé pour le secteur qui peuvent devenir des sujets politiques : le crédit impôt recherche qui permettrait de créer un autre équilibre entre producteur et diffuseur et une dynamique pour tous ceux qui développent l’innovation en particulier. Le renforcement de l’exportation. Pascal Breton regrette que les acteurs français ne soient pas davantage tournés vers l’international. Il prend à nouveau l’exemple de la BBC qui réalise 1,2 milliards de recettes à l’étranger. Il estime que TF1 a tous les moyens de faire un grand studio international, il faut créer des champions de taille européenne.
Philippe Chazal rappelle avant l’intervention de Laurine Garaude, directrice de la division télévision de Reed Midem, que la France a la chance d’avoir deux places de marché internationales à deux moments clé de l’année professionnelle que sont à Cannes le MIPTV et en Octobre le MIPCOM. Il faut bien entendu non seulement les préserver mais aussi encourager et soutenir leurs développements.
Laurine Garaude nous rapporte ses observations suite au dernier MIP. Elle constate depuis cinq ans une énorme évolution qui passe par une mondialisation des programmes. Une globalisation qui, selon elle, ne doit pas faire peur. Il y a, de plus, une grande accélération et un nombre exponentiel de pays qui créent des programmes et de grande qualité. Conséquence : l’hégémonie des Etats Unis baisse et l’appétence pour des beaux programmes qui viennent du monde entier croît fortement. Ainsi, chaque année, le MIP voit arriver une production de qualité qui intéresse au-delà des frontières. Si auparavant, la Chine venait principalement en tant qu’acheteur, les producteurs chinois veulent aujourd’hui créer des concepts de programmes capables de s’adapter à l’étranger.
Laurine Garaude souligne la très belle place de la France et l’augmentation des chiffres à l’export, 164 Millions d’euros à l’étranger, en hausse de 7%, une année record, mais on pourrait faire beaucoup plus, souligne-t-elle. Car, c’est l’opportunité du marché, qui permet d’exporter, il y a énormément de potentiel.
Reed Midem est en train de monter le développement d’un festival Cannes Série, pour mettre l’accent sur la création du monde entier, pour que le public voit les programmes et que les professionnels bénéficient de formations, de résidence d’auteur.
Laurine Garaude insiste sur ce moment de grande opportunité. Les changements venus de Netflix, Amazon, sont des enjeux en même temps que des opportunités, ils montrent en effet d’autres circuits de financement.
Philippe Chazal observe que des réponses se trouvent dans le programme porté par Les Républicains, mais elles figurent au chapitre numérique. Ne pas oublier la proximité aux USA entre la Silicon Valley et Hollywood. Il faut que la France prenne cet exemple de proximité comme exemple ; il faut mener une politique en faveur autant des technologies que des contenus immatériels.
Jean-Pierre Leleux, sénateur des Alpes Maritimes, prend la parole. Pour les Républicains, il est normal que les solutions figurent dans la partie numérique. Car l’approche du parti est de considérer que l’audiovisuel est avant tout une industrie qui permet de créer des emplois et de l’activité. Il s’agit aussi de renforcer la dimension industrielle de cette filière particulière.
Les trois points soulevés par Jérôme Bodin en introduction sont au cœur des enjeux d’aujourd’hui. Selon le sénateur LR, il faut rebondir et réagir globalement pour desserrer un certain nombre de règlementations. Il rappelle que nous sommes passés d’un marché fermé, règlementé, à un marché international, ouvert, dérégulé où les œuvres doivent circuler et il note que nous avons pris du retard dans l’adaptation, la diversification de l’offre de contenus et des canaux de diffusion. Parce que l’audiovisuel public représente les ¼ du paysage, Jean-Pierre Leleux reste partisan d’un service public fort et il estime qu’il y a des économies à faire pour fonctionner de manière plus optimale. Au total, 420 Millions d’euros sont mis sur le marché de la création, un investissement non négligeable. Il y a selon lui 2 postures face à la bourrasque soit le repli soit l’esprit conquérant. C’est la deuxième option qui correspond davantage à la tradition politique de Les Républicains. La France aussi a des talents, qu’il faut amener vers plus d’audace, d’innovation. L’enjeu du financement de la création est assuré en grande partie par les diffuseurs, sans qu’ils aient beaucoup de droits au bout du compte, observe-t-il.
Philippe Chazal interroge le sénateur sur les investissements d’avenir qui n’ont pas été mobilisés au service de l’immatériel et restent principalement concentrés sur l’innovation technologique et d’usage.
Jean-Pierre Leleux rappelle que nous sommes les inventeurs de l’exception culturelle. La directive SMA apporte une réponse partielle au problème de la publicité. Sur la concentration, il y a les combattants de l’éclatement au nom de la diversité. D’un autre côté, nous ne sommes pas assez puissants pour investir et pour attaquer le marché mondial. La solution tient principalement à une question d’équilibre, afin aussi de ne pas s’installer dans une forme d’habitude. La nébuleuse utile de sociétés de production doit être complémentaire avec des grands groupes. Il faut, en ce sens, desserrer les règles de la concentration et revoir la frontière entre production et diffusion. Jean-Pierre Leleux se prononce pour plus de libertés tout en protégeant une filière.
Philippe Chazal ajoute qu’il faut distinguer la question dans les médias d’information qui est une question de démocratie, et qu’il s’agit de réglementer, et la concentration dans les industries audiovisuelles qui doit faire l’objet d’une politique active de la part des pouvoirs publics et de la représentation nationale.
Le maire de Cannes, David Lisnard, prend la parole en dernier. Selon lui, la question centrale est celle de la rémunération de la prise de risque. Il estime qu’on ne peut pas envisager le redressement du pays sans liberté de création, entrepreneuriale, ni profusion culturelle.
La culture a ses spécificités mais elle ne doit pas tomber dans l’entre-soi.
La filière audiovisuelle doit être oxygénée. Cela implique de concilier plusieurs paramètres : donner plus de libertés, baisser le taux d’impôt sur les sociétés, David Lisnard propose de renforcer et d’étendre le crédit d’impôt qui fonctionne bien pour les tournages. La compétitivité fiscale reste selon lui le meilleur levier de la création.
Les dispositions générales pour ceux qui prennent des risques doivent bénéficier également aux créateurs de l’audiovisuel, car « la culture avec le sport, c’est ce qui crée des individus souverains et d’échapper au déterminisme social ». David Lisnard explique qu’il n’y aura pas de souveraineté sans la création d’un bouclier européen et d’un marché domestique européen. Il souligne également la logique de cluster et la dynamique territoriale : « il ne manque pas grand-chose à la France pour devenir prospère » et intégre une logique industrielle de filière.
A cannes, il a mis en place campus innovant sur les métiers d’écritures car une œuvre n’est jamais le fruit du travail d’une seule personne, il y a des pools d’écriture. David Lisnard insiste également sur la notion de fertilisation pour créer des pôles audiovisuels à l’échelle européenne.
Philippe Chazal souligne à son tour la dimension et la force des territoires, ainsi que le dispositif de la revitalisation qui permet à de nouveaux projets de se développer.
La table ronde politique se termine par plusieurs questions de la part des membres du Club.
Un producteur évoque la possibilité d’une tax shelter pour l’écriture. David Lisnard se dit favorable à la multiplication des résidences d’artistes ainsi qu’au Crédit Impôt Recherche. Plusieurs interventions concernent la notion de francophonie. Catherine Jean-Joseph, présidente de l’Ecole miroir rappelle que la francophonie concerne 274 millions de personnes. C’est un véritable enjeu culturel, commercial et géopolitique et un marché potentiel qui pourrait échapper à la France. Sur ce sujet, Pascal Breton note que si la série Versailles était produite aujourd’hui, elle serait en français. Car l’anglais n’est plus le seul accès au marché international. Grace à la multidiffusion, il y a beaucoup de niches de programmes, la langue est beaucoup moins un handicap qu’elle n’était. David Lisnard ajoute qu’il y a une esthétique française, une « french touch » qui a du succès.
Jean Dacié rappelle l’hybridation toujours plus grande entre numérique et audiovisuel. Jack Aubert revient sur la négociation au sujet des intermittents du spectacle. Il explique qu’on a réussi à faire un accord très équilibré, qui va au-delà des préjugés habituels sur ce régime. David Lisnard remarque que le nombre d’intermittents a été multiplié par 4,5 en 30 ans. Il souhaite exclure de ce régime d’exception ceux qui travaillent pour des programmes permanents et notamment des programmes de flux, et ainsi préserver la logique de projets, limités dans le temps.
Philippe Chazal s’interroge sur l’opposition systématique entre flux et stock, alors que ce sont les mêmes compétences mises en œuvre et les mêmes rythmes d’activité.
Jean-Pierre Leleux conclut cette session en mettant l’accent sur l’appétence pour la culture française. Il souhaite que la classe politique ne soit pas absente de ce débat et répète le vœu d’une harmonisation fiscale. « Qui dit forte concurrence dit R&D et innovation, mais aussi réflexion sur les nouveaux formats ». Car, aujourd’hui plus qu’hier, la culture est aussi un enjeu industriel.
Philippe Chazal se permet d’insister sur la nécessité politique d’ouvrir un certain nombre de dispositifs dont les autres secteurs bénéficient : reconnaissance de l’audiovisuel comme filière stratégique, création d’un fonds public spécifique au sein de la BPI, élargissement du CII à l’innovation de contenus audiovisuels, mobilisation des investissements d’avenir au services des industries de l’audiovisuel….bref construire pour le secteur un ensemble de dispositifs qui se complètent et s’appliquent aux contenus mais aussi aux entreprises et aux emplois sans oublier le levier de la formation professionnelle.