Compte rendu de la séance du lundi 27 avril 2009 sur les nouveaux programmes de flux.
Avec la participation de Stéphane SIMON, de Téléparis, d’Emmanuel CHAIN, d’Elephant et Cie, de Jérome CAZA de 2P2L, et de Karl ZERO, animateur et producteur, le Club Galilée a étudié les transformations que vivent actuellement les programmes de flux. Au terme de cette séance, il est apparu que les programmes de flux partageaient de nombreux besoins avec leurs cousins les programmes de stocks . Ainsi, les magazines, les reportages, ou les jeux qui s’imposeront à l’avenir dans un univers en pleine concurrence seront ceux capables de prendre des risques en lançant des programmes novateurs.
Téléparis, de la Télé in Situ à la réflexion face à la crise, l’innovation comme nécessité de survie
Premier à intervenir, Stéphane Simon a axé son intervention sur le concept de « Télé in Situ » et sur la difficulté de proposer des programmes innovants aux chaînes de télévision.
Conçue à l’origine pour répondre aux demandes d’une chaine du câble et du satellite, Téléparis devait dès sa création faire preuve d’une grande imagination éditoriale et économique. En effet, Paris Première, comme ses concurrentes, avait de grandes ambitions, mais devait y répondre avec des moyens limités. Pour se différentier de ses concurrents, la chaîne était prête à accepter des concepts innovants. C’est ainsi que Téléparis a lancé les premiers programmes « in situ ». L’idée de départ d’un programme comme 93, Faubourg Saint-Honoré (l’émission articulée autour du concept d’un dîner mondain au domicile de Thierry Ardisson) était que puisqu’il fallait réduire les coûts de production d’une émission pourquoi ne pas supprimer purement et simplement le plateau qui compte pour la majeure partie des coûts, et qui finalement n’est pas si utile que ça ?
Stéphane Simon et ses équipes ont compris qu’ils tenaient là un format très attractif. Non seulement les coûts de production diminuaient fortement, mais en plus ils ont créé une nouvelle manière de filmer, avec des invités sous éclairés, qui se rapprochait beaucoup plus des codes du cinéma que de ceux de la TV. Ainsi, là où à la télévision la caméra avait pour habitude de suivre chaque invité quand il prend la parole un peu comme on suit une balle de tennis, la réalisation in situ était une réalisation à contre courant permettant à la caméra de prendre du recul par rapport aux personnages et de saisir l’ensemble des réactions des participants.
Le concept « In Situ » étant efficace, celui-ci a pu se développer dans plusieurs domaines et c’est ainsi que Téléparis a produit des émissions comme Culture Club (dans une boite de nuit), 3e rappel (dans une salle de spectacle), Fête Foraine, One Man Sauvage, Free Concert (directement dans la rue) et bientôt Teum Teum qui sera filmé en plein cœur des banlieues françaises.
L’arrivée des chaînes de la TNT et la crise économique a également bouleversé la manière de travailler de Téléparis. Ces chaînes, contrairement aux chaînes du câble et du satellite qui innovent pour se démarquer, se caractérisent par une volonté de faire la même chose que les chaînes hertziennes, mais avec un budget inférieur, « du TF1 avec un 0 en moins ». De même, avec la crise économique, combinée à la baisse des revenus publicitaires, les chaînes historiques, principalement TF1 et M6 sont de plus en plus réticentes aux créations originales, et souhaitent elles aussi réduire fortement les coûts. A l’avenir il sera donc très difficile, notamment pour de jeunes producteurs de convaincre les chaînes de l’efficacité d’un nouveau concept. Une chance existe cependant, le virage culturel du service publique, qui débarrassé de la tyrannie de l’audience liée aux recettes publicitaires, doit maintenant pouvoir investir dans des programmes différents.
Dans une économie de l’audiovisuel en pleine mutation et à l’avenir incertain, la recherche de nouveaux formats est donc relancée, et il s’agit maintenant pour les producteurs d’émissions de flux de penser à de nouvelles productions originales et affichant une différence afin de répondre aux attentes des chaînes, mais aussi et avant tout du public.
Eléphant et cie : Passion et investissement comme source de réussite
L’intervention d’Emmanuel Chain s’est principalement axée sur l’importance des investissements dans les programmes ainsi que sur les opportunités à venir.
Si Emmanuel Chain est producteur c’est parce qu’il aime la télévision. En effet, pour pouvoir fabriquer de la bonne télévision, il faut l’aimer. C’est ainsi, qu’après avoir travaillé pendant 12 ans pour un diffuseur, il a décidé, avec son partenaire Thierry Bizot, de se lancer dans la production. A l’époque, Nicolas de Tavernost, PDG de M6, leur avait dit : « Vous êtes fous ! Actuellement vous êtes les rois, tout le monde est à vos pieds. En devenant producteur, c’est vous qui allez devoir faire la queue devant les chaînes de télévision ».
Le premier magazine produit par Eléphant fut l’émission Sept à huit sur TF1. C’est la chaîne qui a contacté le producteur pour lancer un nouveau concept. A cette époque, la case du 19-20 du dimanche soir de TF1 était en difficulté. Face à ce déclin, plusieurs solutions avaient été envisagées par la chaîne, comme un divertissement low cost type Video Gag ou une nouvelle émission de reportage. La chaîne a finalement décidé d’opter pour un nouveau produit, une sorte de « Paris Match à la TV » et elle a laissé sa chance à Emmanuel Chain pour produire Sept à huit.
Afin de lancer au mieux l’émission, Eléphant a décidé dès le début de mettre les moyens nécessaires dans ce projet. Les investissements initiaux ont été très importants afin d’avoir une qualité de production parfaite à tous les niveaux. C’est ainsi que lors de sa première année à l’antenne, Eléphant était déficitaire sur Sept à huit, mais cette politique agressive a permis de convaincre la chaîne et les spectateurs de la qualité de l’émission et donc de poursuivre l’aventure.
Une fois Eléphant présent dans le paysage audiovisuel grâce à Sept à huit, il a fallu se diversifier. Tout d’abord, la société de production a continué dans les magazines en tentant de créer des marques récurrentes, ce que Axel Ganz appelait les Unique Special Products (USP) à savoir des magazines qui ont leurs personnalités propres, des magazines souvent liés à un animateur vedette avec un concept, une identité et un savoir faire unique. C’est ainsi qu’Eléphant et Cie a créé des concepts comme le World Poker Tour avec Patrick Bruel ou le Droit d’Inventaire sur France 3, des nouvelles marques avec une identité forte. Enfin, plus récemment encore, Eléphant et Cie a produit sa première fiction en partenariat avec France 2, Fait pas ci, fait pas ça et dont les droits ont déjà été rachetés par ABC aux Etats-Unis. Il existe aujourd’hui trois clefs de réussite dans la production française :
• L’investissement : Il est parfois difficile d’investir, mais c’est ce qui permet de faire des émissions efficaces. Si l’émission de Julien Courbet sur France 2 a échoué, c’est principalement parce que celle-ci avait été préparée sans y consacrer les investissements, en temps et en argent, nécessaires pour faire réussir un tel projet. La relation producteur-diffuseur, elle aussi, ne pousse pas à l’investissement. Aujourd’hui, les producteurs arrivent avec des idées, souvent novatrices, et demandent aux diffuseurs de mettre de l’argent dessus. Ces mêmes diffuseurs, pris par la crise, sont de moins en moins enclins à investir dans des projets innovants. Les producteurs doivent prendre en charge une partie du financement initial lorsqu’ils croient à un projet afin de donner plus confiance aux chaînes.
• L’international : Aujourd’hui, très peu de producteurs français créent des formats destinés à l’étranger, alors même que le l’exportation permet de convaincre plus facilement les diffuseurs locaux. De même, très peu de formats de flux originaux français sont exportés à l’international (à l’exception notable de Fort Boyard). Il s’agit donc pour les producteurs de trouver les moyens de s’internationaliser. Pour cela, Eléphant et Cie a rejoint le réseau SPARKS qui permet à plusieurs producteurs indépendants de mettre en commun concepts et réalisations. Ce partenariat a permis à Elephant et Cie de vendre dans 5 pays le concept du magazine Petites Confidences entre amis.
• La marque : Emmanuel Chain a également insisté sur l’idée de marque et le fait qu’il ne faut en aucun cas opposer création et marketing. Au contraire, le marketing est un outil qui peut être au service du contenu puisqu’il permet de mettre en avant les idées de créations originales.
Pour conclure, Emmanuel Chain et la salle ont débattu sur le concept des « pitch » de TF1. Ainsi, au mois de Juin dernier, la chaîne a invité 72 producteurs qui pendant 30 minutes ont présenté 2 ou 3 idées de nouveaux programmes. Ce genre d’initiatives a fait l’unanimité auprès des intervenants comme des membres du club qui y voient un moyen de faire émerger de nouvelles idées originales.
Karl Zéro, un « homme marque » ?
Lorsqu’il s’est lancé dans l’animation et plus tard dans la production, Karl Zéro a voulu faire des programmes qu’il aurait aimé voir à la TV. C’est ainsi qu’il a développé une nouvelle manière de dire les choses, et une méthode de fonctionnement proche de la presse écrite dont il est issu. Aujourd’hui, Karl Zéro officie sur BFM TV dans Karl Zéro sur BFM TV. Il a mis en place une émission d’interview dont les coûts sont quasi-nuls au sein d’une chaine émergente de la TNT. Pour lui, il est très intéressant de participer à cette nouvelle aventure et de voir comment une chaîne low cost arrive à s’installer sur la TNT.
Karl Zéro a rappelé qu’il incarnait en quelques sortes la transgression. Or, en ce moment, la transgression n’est plus acceptée à la télévision. Les chaînes ont peur de présenter de nouveaux concepts qui remettent en cause la société telle qu’elle est. Il reste optimiste cependant, car la société est cyclique et si aujourd’hui il est compliqué d’apporter de nouveaux concepts, rien ne dit qu’il en sera de même à l’avenir.
2P2L, une société qui innove pour trouver des nouveaux types de financement
L’intérêt d’un magazine tient en plusieurs points :
• Créer un rendez-vous récurrent, familier, quotidien ou hebdomadaire. Ainsi, une chaine peut espérer fidéliser un public. Le titre du magazine devient une véritable marque.
• Réussir à fidéliser, ces programmes s’appuient principalement sur un visage qui, jour après jour, devient familier.
La question du financement continue à être posée :
Face à la baisse des investissements par les diffuseurs, un nouveau mode de financement est entrain d’émerger : le parrainage, c’est-à-dire des industriels qui investissent dans l’achat d’espace et la production de programmes (des programmes courts comme du côté de chez vous ou talents de vie que 2P2L a produit pendant 3 ans sur France 2 pour Auchan, mais aussi des émissions de 26 ou 52’ comme question maison en partie financée par Leroy Merlin). Ceci pose toutefois la question de l’indépendance éditoriale d’émissions financées par des industriels.
Une équation fondamentale à résoudre pour un diffuseur et un producteur est le rapport qualité-prix. Par exemple, 2P2L produit Chic, l’émission quotidienne d’ARTE sur l’art de vivre diffusée le matin depuis 4 ans dans une enveloppe fermée, près de 1000€ la minute. Mais lors de l’appel d’offre qui a concerné une 15aines de sociétés de production, la chaine souhaitait que l’émission soit présentée en français et en allemand avec 2 présentatrices différentes, que l’émission propose au moins 4 reportages tournés dans toute l’Europe... 2P2L a mis en place une recette basée sur une mutualisation des moyens humains et techniques, une segmentation des tâches (des « researchers » en amont, des JRI pour le tournage/montage) et un recyclage des reportages (un reportage traité comme un dossier à l’origine peut s’intégrer dans une chronique décalée un ou deux ans plus tard).
Il est d’ailleurs intéressant de constater que cette émission prévue pour être diffusée en journée sur la TNT a vu son audience stagner pendant les 3 premières années et enfin décoller depuis janvier, grâce à l’arrivée d’Isabelle Giordano comme présentatrice. Ceci démontre bien l’importance des présentateurs des magazines, ceux-ci peuvent faire ou défaire une marque.
L’avenir des programmes de flux va tourner autours de plusieurs axes :
• Les magazines doivent entrer dans l’ère numérique. Peu d’émissions sont vraiment interactives, peu de contenu UGC (contenu généré par les utilisateurs). Elles se contentent la plupart du temps de SMS et parfois de webcam. Seule la diffusion exploite les nouvelles technologies, principalement par la catch-up TV. Le problème pour faire émerger un magazine « numérique » revient à la question du coût, puisqu’il doit se dérouler parfois en direct et le plus souvent sur de multiples plateformes en simultané (TV, Web, Téléphone). Mais, si les chaines devaient rater ce virage, elles prendraient le risque d’éloigner plus encore les jeunes générations de la TV.
• Le mélange des écritures : l’écriture de la fiction doit être utilisée dans les magazines car elle permet d’expliquer des choses très compliquées (cela avait été testé sur CANAL+ en 2005 avec Ruth Elkrief et l’enjeu de la fin du pétrole, dans l’émission C’est déjà demain). Les jeux TV l’ont déjà fait en allant vers la télé-réalité qui, au départ, a repris des modes de production s’inspirant de la fiction (casting, scénarisation…).
• Enfin, on va voir de plus en plus de magazines sans animateurs. Ces magazines auront le mérite d’être moins chers, ce qui sera un atout pour les chaînes de la TNT notamment, mais aussi de changer la dialectique avec le téléspectateur, de désacraliser plus encore la TV. Ce type de magazine s’approche de ce que les anglo-saxons appellent le « factual entertainment ».
L’audiovisuel français reste largement sous financé, et l’argent est investi en priorité dans les œuvres dites « sûres », aux recettes bien connues. Pourtant, depuis que les nouvelles chaines de la TNT s’imposent dans le PAF les « machines à succès » deviennent tout aussi incertaines en terme d’audience que les œuvres dites plus « difficiles ». Cette incertitude est paradoxalement une chance pour la création : les grandes chaines vont devoir prendre des risques pour résister à l’érosion rapide et inexorable de leurs audiences. Elles vont donc devoir se tourner plus encore vers la création, l’originalité, les nouveaux talents, et les nouvelles méthodes de production.
La réussite des années à venir passera certainement par un savant dosage entre les obligations de production – qu’il faudra se résoudre à imposer aux Telco et autres FAI -, la sauvegarde de notre système de subventions des œuvres - que le reste de l’Europe nous envie – et une professionnalisation du secteur… Cela passera peut-être surtout par l’audace des créateurs tout autant que celle des diffuseurs, par l’investissement dans la recherche et le développement de la part de tous et peut-être, plus que tout, par l’accès sans discrimination de tous les producteurs et créateurs à l’ensemble des diffuseurs et des marchés.
Conclusion
En conclusion de cette séance sur les programmes de flux, les différents invités ainsi que les membres présents sont convaincus que l’avenir de ce secteur reste incertain. Pris en étau entre une crise économique majeure et la frilosité éditoriale des diffuseurs, les producteurs de contenus de flux vont avoir du mal à innover alors même que le salut du flux passe par cette capacité à créer de nouveaux formats originaux. Au même moment, il faudra que l’ensemble de la filière audiovisuelle, des pouvoirs publics jusqu’aux chaînes, mais en passant également par les producteurs eux-mêmes, acceptent que les programmes de qualité ont un prix. Les investissements en recherche et développement devront être pérennisés voir augmentés. L’équation économique va devenir plus complexe. Il serait utile d’intégrer les programmes de flux au système d’aides. Enfin, l’approche globale associant télévision et Internet reste un défi à relever aussi dans les programmes de flux.