Compte rendu de la Séance du lundi 2 mars 2009 sur la mutation des programmes de stock.
Avec la participation de Nicolas Saada, réalisateur, de Pierre Merle, chargé des programmes à ARTE France, de Paul Moreira, Journaliste d’investigation, de Bruno Nahon, producteur de la société Zadig Production et de Stéphane Drouet et Mathieu Viala producteurs de la société Making Prod, le Club Galilée a étudié les transformations que vivent actuellement les programmes dits de « stock ». Au terme de cette séance, trois idées principales doivent être retenues pour ce qui concerne la réussite d’un programme de stock, courage, plaisir et innovation. En effet, il faut à la fois avoir le courage de croire en de nouveaux produits inconnus, à l’image de l’ovni « Valse avec Bachir », se réapproprier le plaisir de produire et de réaliser, et d’innover via de nouvelles techniques de production, d’écriture et même de création pour réussir les fictions, les documentaires et les émissions d’investigation de demain.
Le courage comme solution à la crise du documentaire ? : L’ovni Valse avec Bachir
Premier à intervenir, Pierre Merle a partagé son expérience concernant la production du documentaire Valse avec Bachir. C’est à Toronto, en 2005, que Pierre Merle en tant que chargé des programmes documentaires pour ARTE repère ce documentaire unique. Devant une salle regroupant des représentants des principales chaînes de télévision du monde, Ari Folman présente rapidement son projet audacieux avant de répondre aux questions du public. Dans la salle, seul Pierre Merle montre son intérêt en posant plusieurs questions avant de rejoindre le réalisateur pour un entretien de plusieurs heures. Sans le financement d’ARTE, le film n’aurait jamais pu voir le jour. Pour Pierre Merle, la réaction des chaînes face à Valse avec Bachir est symptomatique de la frilosité qui existe aujourd’hui dans la production de documentaires au niveau international. Les diffuseurs ne croient pas en la possibilité pour un documentaire de réussir en dehors de la scène domestique. Il est ainsi très difficile pour un documentaire de s’exporter, mais également d’avoir accès à un budget conséquent. Il faut ajouter que ce projet mi documentaire, mi animation mi fiction n’entre donc dans aucun des genres télévisuels préétablis et donc ne rencontre pas d’interlocuteurs habituels. Cela montre la nécessité de sortir des cadres établis.
Au-delà du cas extrême de Valse avec Bachir, Pierre Merle regrette qu’en France en tout cas, le documentaire ait trop tendance à exister selon un principe de travail, plutôt qu’un principe de plaisir. Un documentaire, pour conquérir un public large tout en gardant son caractère éducatif, doit savoir plaire et non pas répondre à une logique de bonne conscience. Ainsi, des films comme Monsanto de Marie Monique Robin ou the Yes Men fix the World (film dans lequel les Yes Men montrent de manière drôle les dérives de la société actuelle), ont su mêler plaisir de l’image et des mots avec un véritable fond éducatif. Pour réussir, il faut générer des programmes mémorables avec une ambition de cinéma.
Pierre Merle est également revenu sur le problème de la production. En effet, selon lui, de nombreuses chaînes ont tendance à produire trop alors qu’il existe de nombreux documentaires de qualité qui pourraient être achetés. Les chaînes ont ainsi trop tendance à s’enfermer dans un format prédéfini qui ne laisse peu de place à l’innovation. Grâce à un savant dosage entre achat et production, une chaîne pourra continuellement réinventer son rapport au documentaire en produisant moins mais mieux et donc être le plus proche possible de la curiosité du public.
Pour finir son intervention, Pierre Merle a souhaité partager son analyse de son nouveau métier, chargé de programmes de fiction. Au sein d’ARTE, il a eu le sentiment que de nombreux programmes de fiction ne répondaient là encore pas à cette logique de plaisir. « Parfois on a l’impression qu’un sociologue est derrière chaque personnage. » Il faudra à l’avenir savoir sortir des clichés et du politiquement correct pour faire des films différents à l’image du film « la Journée de la Jupe » qui décrit comment une jeune professeur de collège prend sa classe en otage. La réussite appartient aux programmes qui osent.
Le secret pour un reportage réussi : indépendance et budget conséquent
Paul Moreira a débuté son intervention en s’interrogeant sur l’idée qu’une émission d’investigation puisse être un programme de stock. En effet, quand un journaliste effectue un reportage, il ne se pose pas la question du flux, du stock, ou de la pérennité de son œuvre, il cherche surtout à produire un impact. Pourtant, certains reportages d’investigation peuvent devenir une borne historique et ainsi passer à la postérité, mais cela n’est pas l’objectif premier du reporter lorsqu’il part sur le terrain.
Le journaliste d’investigation est ensuite revenu sur son expérience au sein de l’émission 90 minutes de CANAL +. L’équipe n’a jamais prêté attention à l’audience que faisait l’émission, pourtant il est rapidement apparu que 90 minutes faisait d’excellents résultats, comparables à un match de football. Selon Paul Moreira plusieurs facteurs expliquent ce succès :
• Une équipe très motivée par son travail
• Un budget important, le magazine étant une production interne au groupe CANAL+, celui-ci disposait de fonds équivalents à ceux investis dans une production anglo-saxonne
• Le temps pour effectuer de grandes enquêtes, l’émission a ainsi pu reprendre l’ensemble de l’affaire Robert Boulin, découvrir les agissements de Total en Birmanie ou filmer les actions de l’armée française en Côte d’Ivoire
• Enfin, l’aspect le plus important, 90 minutes disposait d’une liberté éditoriale totale. Or, aujourd’hui, le lien entre politique et média est tel que la liberté éditoriale des journalistes est en régression. Face au recul de l’indépendance des médias, les magazines d’investigation perdent leur légitimité, et donc leur public, au profit d’espaces plus « libres », mais moins professionnels, comme Internet. Ainsi, l’avenir du journalisme d’investigation se jouera dans la capacité de l’ensemble de la profession à recouvrer cette légitimité et à avoir le courage de traiter à nouveau des sujets très sensibles.
Dans la seconde partie de son intervention, Paul Moreira a partagé son analyse des modèles d’investigation sur Internet. Il a mentionné le site Internet de la chaîne américaine PBS comme un excellent exemple d’utilisation de la toile comme outil de support à un programme d’investigation. Sur son site Internet, la chaîne met, par exemple, en ligne, la totalité de chaque interview qui est diffusée sur ses antennes. L’internaute peut ainsi aller au-delà du documentaire et avoir accès à l’ensemble de la pensée de chaque acteur. De même, d’autres sites Internet, de journaux ou de chaînes de télévision, ont commencé à mettre en ligne l’ensemble des éléments qu’ils avaient amassés au cours d’une enquête. Défait de toute édition du contenu, l’internaute a la possibilité de faire sa propre enquête en kit. Nicolas Saada est également intervenu pendant le débat pour mettre en avant des exemples réussis d’utilisation d’Internet dans le cinéma. Ainsi, lors de la sortie du film L’avocat du diable, le site internet du film mettait à disposition de nombreux rushs du film. Lors de la sortie du film, La face cachée de la lune, une autre utilisation de l’univers pluri média a été faite puisque ce film est sorti parallèlement au cinéma, à la télévision et sur Internet. L’avenir du cinéma se trouve peut être dans une « marque » capable de vendre à la fois un film, un site et un jeu vidéo.
Plusieurs intervenants ont cependant fait remarquer qu’il existait encore aujourd’hui un problème majeur avec Internet, le financement des œuvres. En effet, jusqu’à présent le nombre de sites qui arrivent à financer une création de contenus propres sur Internet est très réduit. Le Business Model de l’audiovisuel sur Internet reste encore à être mis en place.
Internet comme source de contenu c’est possible : l’exemple de Twenty Show
Bruno Nahon a présenté un projet unique en son genre, mais qui devrait ouvrir la voie à une nouvelle manière de fabriquer du contenu. Twenty Show est une idée qui tire son origine D’ un film de Bertrand Blier, Hitler, connais pas dans lequel onze jeunes gens interrogés en 1963 face à la caméra témoignent de leur vie et de leurs aspirations. Près de 50 ans plus tard, Bruno Nahon a voulu à nouveau interroger, en 2009, des jeunes gens sur leurs propres aspirations. Pour répondre à cette envie, Internet était un outil indispensable qui ne pouvait être omis. S’est donc posée la question de savoir comment utiliser Internet pour raconter de façon juste ce qu’est un jeune aujourd’hui. Pour répondre à cette question, Zadig Production, en partenariat avec ARTE a d’abord raconté le parcours de 5 personnages fictifs à travers 10 épisodes de 2 minutes chacun destinés à être mis en ligne.
Pour que ces épisodes puissent être vus par un grand nombre, il a fallu sortir du seul partenariat avec ARTE. En effet, les jeunes qui intéressaient l’équipe de production ne sont pas ceux qui vont régulièrement sur arte.fr. Un partenariat a donc été passé entre ARTE et myspace afin que le site Internet puisse passer les 50 épisodes. L’objectif de cette production était de susciter de la part des internautes de cette génération des réponses, des dialogues et des récits audiovisuels de leurs propres vies. Il s’agissait ensuite de collecter les vidéos des internautes. Malgré une absence de publicité massive et la difficulté pour un jeune de se livrer face à la caméra, 35 vidéos ont été collectées sur le site de myspace. Elles ont ensuite été intégrées avec les productions d’origine par les équipes de Zadig Production à un documentaire de 90 Minutes. Le film issu de ces vidéos sera diffusé sur ARTE en Mai.
Pour que ce programme puisse aboutir, plusieurs éléments ont été nécessaires. Notamment accepter de prendre le risque de demander à des Internautes de produire du contenu et ensuite d’agréger ce contenu sans aucune garantie de qualité. Des entreprises comme ARTE et myspace aux cultures complètement différentes, voire opposées, ont du se mettre autour d’une table et travailler ensemble pour réussir ce projet. Pari abouti qui a su créer un nouveau type de contenu audiovisuel. Des images d’amateurs ont été agrégées à des images réalisées par des professionnels par des professionnels pour aboutir à un film. Certes, pour l’instant cela reste un film. Il tente de décrire les attentes et les ambitions d’une génération. A l’avenir d’autres types de contenus pourront émerger ainsi du net.
Making Prod, ou l’organisation de l’innovation
Stéphane Drouet et Mathieu Viala, de la société Making Prod, sont convaincus que la production de fictions françaises a encore de beaux jours devant elle. Making Prod a su innover de deux manières pour réussir à percer sur ce marché. Tout d’abord, la société a su développer l’écriture en groupe. Stéphane Drouet et Mathieu Viala ont ainsi su convaincre leurs auteurs de travailler ensemble pour réaliser leurs séries. Ceci a non seulement permis de faire émerger des séries nouvelles, mais également d’augmenter le nombre d’épisodes produits chaque année. Là où d’autres sociétés ne peuvent produire que 6 ou 8 épisodes par saison, Making Prod arrive à en produire plus d’une douzaine.
La société Making Prod a également su innover sur un autre plan puisqu’elle a lancé depuis le mois de Novembre une des premières séries diffusées exclusivement sur Internet. Putain de Série, au budget avoisinant les 40 000€ par épisode de 26 minutes, est largement accessible sur Internet grâce à une diffusion sur un site propre, mais également sur des plateformes de partage comme youtube ou dailymotion. Chaque épisode est lui-même subdivisé en épisodes de 5 minutes afin de faciliter le visionnage sur Internet. La série réussit aujourd’hui à se maintenir à l’équilibre et a été visionnée plus de 400 000 fois, un très bon résultat compte tenu de l’absence de publicité.
En conclusion, Nicolas Saada a tenu à rappeler l’importance des mutations qui traversent actuellement l’industrie audiovisuelle. Depuis l’apparition d’Internet, le temps passé devant la télévision ne diminue pas, mais de nouveaux modes de consommation se développent parallèlement. Sur Internet, les jeunes générations, mais également les générations plus âgées peuvent avoir accès à un catalogue très large de programmes de stock. Face à cette réalité, les auteurs, les producteurs et les diffuseurs de nouveaux contenus se doivent d’être à la hauteur. Pour cela, ils doivent faire preuve de courage pour oser explorer de nouvelles voies, que ce soit de nouveaux formats, de nouveaux types de contenus, ou de nouveaux supports de diffusion. Il faudra également retrouver le plaisir, plaisir non seulement qu’il faut donner au spectateur, mais également le plaisir de participer à une œuvre à laquelle on croit et qui apporte quelque chose de nouveau. Enfin, il faudra continuer sans cesse d’innover, innover via de nouvelles techniques de production, innover par de nouveaux canaux de diffusion, et probablement également trouver de nouvelles formes de financement. Car une chose reste certaine, tant qu’Internet n’aura pas su trouver un business model efficace, les chaînes de télévision resteront les principaux financiers des programmes de stock de demain. Pourtant, il leur faudra continuer à faire sans cesse preuve d’imagination pour ne pas disparaître face au foisonnement des nouvelles idées et des nouveaux formats...