Compte rendu de la séance du lundi 31 mai 2010 organisée en partenariat avec le Sunny Lab sur le thème "le service public et le web".
Le Club Galilée s’est réuni le lundi 31 mai 2010 dans le cadre de son cycle de trois séances sur la création web en partenariat avec le Sunny Lab. Cette deuxième séance a réuni, autour de Philippe Chazal, président du Club Galilée et d’Yves Jeanneau, Commissaire général du Sunny Side of the Doc, plusieurs professionnels pour débattre sur le rôle du service public sur Internet. Sont ainsi intervenus, Jean-Louis Blot, Directeur Général de BBC Worldwide France Productions, Hervé Chabalier, Directeur Général de CAPA, Pascal Josèphe, Président d’IMCA ET Serge Schick, président d’Headway International. Le Club présente ses excuses auprès des membres, des participants et de l’intervenant Frédéric Martel, journaliste et auteur de Mainstream, de ne pas avoir intégré à temps celui-ci à la discussion comme cela était prévu.
Avant de donner la parole aux différents intervenants, Yves Jeanneau a présenté différents forums qui seront organisés lors du Sunny Side of the Doc. Celui organisé le jeudi 24 juin de 11h30 à 13h, en partenariat avec le Club Galilée, prolongera la discussion au sein du club sur la web création. Un deuxième forum, qui aura lieu le jeudi après midi, en présence du Ministre de la Culture et de la Communication, aura comme thème (en anglais), « the bet : clever content for global media » (le pari : des contenus intelligents pour des médias globaux). Ce débat permettra de centrer l’analyse sur la place du documentaire dans le cadre des grandes mutations et des grands changements qui ont lieu actuellement. Les intervenants à cette table ronde seront en grande partie étrangers, afin de donner une large gamme d’exemples concrets de ce qui se fait ailleurs. Enfin, un autre forum très intéressant se tiendra le vendredi 25 au matin sur le documentaire d’investigation. Le Sunny Side of the Doc se tiendra du 22 au 25 juin 2010 à la Rochelle. Suite à cette présentation, Philippe Chazal, après avoir rappelé la problématique du jour décrite dans le document distribué en début de séance et qui pose la question de la spécificité du service public sur le web, a donné la parole aux différents invités.
Serge Schick, une présentation internationale des contraintes et les opportunités du service public de l’audiovisuel sur Internet
Serge Schick a rappelé dans un premier point que pour un acteur audiovisuel qu’il soit public, privé gratuit ou privé payant, certaines réalités sur Internet sont les mêmes pour tous. Il faut donc garder en tête que le service public doit prendre Internet comme ce qu’il est et comme ce qu’il est susceptible de devenir.
Par rapport à ce qu’on observe sur Internet, il faut rappeler les caractéristiques suivantes :
• Internet est avant tout un outil d’échange et de communication avec donc une dimension communautaire et interpersonnelle forte.
• Certes le web est un média de masse comme un autre ; mais il est en réalité beaucoup moins puissant que d’autres. Ainsi, quand on regarde, par exemple les chiffres d’affaires de grands opérateurs, on constate par exemple, que le chiffre d’affaires de Google est la moitié de celui d’Orange. De même, quand on observe les audiences, on constate qu’il existe, certes, un public fortement consommateur, celui de la génération issue du numérique, mais les durées d’écoutes restent encore très faibles, y compris sur ces catégories, par rapport à un média comme la télévision.
• Internet est un espace d’expérimentation sur lequel on demande un retour sur investissement très rapide. Alors même qu’Internet est un média en développement, les investisseurs s’attendent à gagner de l’argent très vite, et abandonnent rapidement des projets qui ne sont pas rentables tout de suite. En ce qui concerne le service public de l’audiovisuel, il s’agit de répondre à deux interrogations. La première consiste à comprendre les spécificités d’un service public de l’audiovisuel sur Internet, et la deuxième qui est probablement la plus compliquée à appréhender concerne l’attente du public. En effet qu’attend, aujourd’hui, le consommateur d’Internet du service public en ligne ?
Serge Schick a présenté comment dans différents pays on répondait à ces questions.
Il a précisé les contraintes auxquelles les différents services publics devaient faire face dans le cadre de leurs développements sur Internet avant de rappeler les opportunités qui existent pour les services publics sur Internet.
Dans un certain nombre de pays, c’est la présence même des services publics sur le web qui est posée. C’est le cas de la Grande Bretagne et de l’Allemagne. En Autriche par exemple, les tutelles de l’ORF considèrent que celle-ci n’a pas la légitimité pour être présente sur Internet.
Il faut donc que l’ensemble des services publics, notamment France Télévision, restent vigilants par rapport à cette question et veillent bien à montrer qu’il y a une légitimité pour un service public de l’audiovisuel à être présent sur Internet.
Dans d’autres cas, c’est le champ d’action éditorial de l’opérateur public qui est débattu. Ainsi, on oblige certains services publics à diffuser sur Internet exclusivement des contenus déjà disponibles sur les antennes de télévision. Ceci peut être une vraie difficulté pour ces opérateurs qui souhaitent justement utiliser Internet pour aller à la rencontre de nouvelles cibles et de nouveaux publics et proposer des extensions de leurs contenus télévisuels. La RTS (radio télévision suisse), par exemple, doit ainsi démontrer qu’il existe un lien entre ses émissions à l’antenne et les contenus disponibles sur son site Internet.
Dans certains cas, le législateur empêche la télévision publique de faire de la publicité sur son site Internet alors que la loi l’autorise à l’antenne. C’est par exemple le cas en Suisse où la publicité sur le site Internet de la RTS n’est autorisée que sur l’offre découverte du site et non dans son ensemble.
Ces différents obstacles qui empêchent le service public de se développer sur Internet s’expliquent en grande partie par un lobbying très actif notamment de la part des acteurs de la presse écrite qui voient dans le succès du service public et plus particulièrement de son offre d’information sur Internet un vrai risque.
Il parait donc aujourd’hui très compliqué et risqué pour le Service Public d’investir sur Internet dans des univers éditoriaux qui sont loin de son cœur de métier sur lequel il est d’ailleurs déjà suffisamment attaqué.
Enfin, se pose dans certains pays la question paradoxale apparemment de la gratuité du service public sur Internet. Si cette gratuité peut paraître évidente, après tout, le service public est financé par la redevance, certains concurrents privés qui ont fait le choix du payant, souhaiteraient, dans certains pays, que le service public soit lui aussi payant.
Malgré ces différentes incertitudes et contraintes qui se dressent devant le service public face au développement sur Internet, il existe pour celui-ci des opportunités de déploiement à saisir. Première opportunité : les contenus liés aux missions de service public sont mis sur le web avec un enrichissement éditorial et interactif qui leurs permettent d’être encore plus attractifs pour l’Internaute. L’information est le secteur dans lequel les stratégies de convergence sont les plus fortes. Mais, Internet peut également permettre une certaine convergence dans la création audiovisuelle notamment dans la fiction, à l’image du parti pris par Radio Canada qui démontre que la créativité existe aussi sur la fiction Internet, mais également dans le documentaire.
Internet est également un réel atout pour le service public dans le cadre d’opérations spéciales, par exemples celles liées à la mémoire collective. De nombreuses productions ont ainsi été réalisées par les services publics à l’occasion des vingt ans de la chute du mur de Berlin, mais également à d’autres occasion. Ainsi, en Australie, le service public a développé de nombreux contenus sur Internet afin de décrire le rôle de l’Australie et de ses militaires pendant le débarquement de la deuxième guerre mondiale.
On assiste également au développement des plateformes de catch-up TV sur Internet. Les médias de service public utilisent ces plateformes pour offrir au public de nouvelles opportunités de vision des programmes et se donner ainsi, en particulier auprès des jeunes générations, une image de modernité. Enfin, il faut également souligner le rôle d’Internet dans le cadre de web casting qui permettent de montrer des images au-delà de ce que les antennes TV sont capables de programme. C’est notamment la démarche qui a été suivie par ARTE sur de nombreux festivals. En conclusion de son intervention, Serge Schick a rappelé quels étaient les trois enseignements essentiels à garder en mémoire pour le service public sur Internet. Tout d’abord, il est nécessaire que la qualité, l’originalité et l’innovation qui font parties des missions de service public à l’antenne restent au cœur des préoccupations de celui-ci lorsqu’il est présent sur Internet afin de bien se différentier des acteurs PRIVES et assoir ainsi sa légitimité. On constate par exemple en radio, que sur les téléchargements de podcast, les meilleurs résultats sont faits par les émissions de la radio publique comme 2000 ans d’histoire, ou le masque et la plume, qui sont mal exposées à l’antenne mais qui ont un contenu éditorial très fort.
L’Internaute est donc à la recherche sur Internet des spécificités du service public.
Il faut également accorder une place centrale à la complémentarité des médias, des supports et des plateformes dans le cas des services publics. La BBC a su très bien le faire dans le domaine der l’information, et Radio Canada sur la fiction. En se plaçant au centre de la convergence, les médias de service public sont capables de démontrer leur capacité et d’affirmer leur spécificité.
Enfin, le poids des contenus originaux et spécifiques sur le web doit être renforcé. Le service public peut avoir un véritable rôle d’entrainement de l’ensemble du secteur de la création sur Internet à condition de mettre en place un système de financement adapté.
Jean-Louis Blot, la stratégie de la BBC : Investir !
La stratégie de la BBC dans le web est aujourd’hui contrariée, suite aux récentes élections législatives notamment. Même si elle reste garantie par des institutions indépendantes qui lui permettent de définir une stratégie sur le long terme. Rappelons que la BBC joue un rôle très important outre-manche. En effet, 90% des Anglais sont au moins 1 fois par jour en contact avec la BBC via l’une des 8 chaînes nationales, 16 chaînes locales, 40 radios locales, ou son service Internet qui est le plus gros fournisseur de contenus sur Internet au Royaume-Uni.
Pour aboutir à ce résultat, la BBC, outre un investissement dans Internet qui s’est fait très tôt, a pu bénéficier de son expérience dans le télétexte et donc dans la production de contenus complémentaires aux programmes de télévision.
Au-delà de cette expérience, le succès de la BBC sur Internet s’explique également par un investissement élevé dans ce domaine. Ainsi, 5% de la redevance sont dépensés sur Internet soit 200 Millions de livres ce qui représente, 30% du budget de la radio ou 10% du budget télévision de la BBC. Cet argent est utilisé à la fois pour développer des contenus web mais également pour développer les technologies qui permettent d’être présent sur Internet.
Aujourd’hui, face au succès de la BBC sur Internet, plusieurs acteurs commerciaux, à commencer par le groupe Murdoch, remettent en cause la position dominante de la BBC qui doit maintenant justifier la pertinence de ses investissements.
La mission de la BBC en télévision comme sur le web se résume par le même triptyque que celui qu’on connait en France, informer, éduquer et divertir. L’objectif du groupe, aujourd’hui, est de lutter contre ceux qui veulent remettre en cause ses trois missions.
Sur les deux premiers objectifs, informer et éduquer, il est difficile pour ses opposants d’aller à l’encontre de ces missions.
Sur Internet, c’est l’information, liée à des évènements, qui génère le plus de résultats (ainsi, c’est lors des élections présidentielles américaines que le site Internet de la BBC a connu des records d’audiences).
La dimension éducation est aussi très présente sur Internet souvent en lien avec des programmes diffusés à l’antenne. En effet, de nombreux programmes de la BBC ont pour missions de faire passer des messages spécifiques auprès de certains publics. Dans le cadre de ces programmes à caractère éducatif, la BBC va diffuser un programme à l’antenne, et va développer des contenus spécifiques permettant à ce programme de continuer à exister sur Internet, via des forums, et des kits éducatifs mis à disposition des écoles qui assurent sur le moyen terme le dialogue entre la BBC et les institutions éducatives. Internet prolonge la mission inaugurée par le programme sur l’antenne.
Aujourd’hui encore, le programme le plus étudiés dans les écoles, s’appelle Baby Borrowers, 60% des écoles utilisent ce programme de TV réalité et ses contenus associés, alors même que celui-ci n’est plus diffusé à l’antenne depuis 2 ans.
Sur sa mission de divertissement, la position de la BBC est plus compliquée. Dans ce domaine, le service public entre en concurrence avec des sites payants et des sites communautaires qui souhaitent que la BBC soit moins performante. Elle a donc mis en place un benchmark pour se positionner sur des créneaux où les acteurs privés sont absents (concours de photo pour le printemps par exemple…).
Comment la BBC arrive-t-elle à contourner certaines limites mises en place par le législateur et les concurrents ?
Pour contourner ces limites, la BBC investit chaque année plus d’1 milliard de livres auprès des producteurs de contenus indépendants pour avoir un maximum de créativité. La création peut difficilement se faire à l’intérieur de grosses entreprises, donc la BBC va investir dans des petites structures plus à même de développer des contenus innovants. Les investissements de la BBC se font aussi sur des critères géographiques, elle investit dans toutes les régions d’Angleterre.
BBC Worldwide, la branche commerciale du groupe, est tournée vers l’international pour permettre à ces produits d’être mieux financés grâce à des coproductions internationales et à des ventes à l’étranger.
Enfin, sur le plan technologique dans le domaine du web la BBC a développé des alliances avec des acteurs de l’Internet, pour la catch-up notamment, avec l’idée de ne pas devenir trop hégémonique ou se mettre en situation de monopole.
Enfin, à l’international la BBC se finance via la publicité. Alors qu’en Angleterre, la BBC ne prend aucune part de marché publicitaire sur l’Internet.
Jean-Louis Blot a conclu son intervention en rappelant que la durée de vie d’un contenu sur Internet est plus importante qu’un contenu télévisé. Cela permet notamment à certains programmes de revenir à l’antenne sous de nouvelles formes après l’avoir quittée et s’être transformés sur Internet. La télévision donne souvent l’imput, et certains programmes ensuite vont vivre grâce à Internet.
Certains programmes sont plus vus sur Internet qu’à la TV, comme par exemple Top Gear, une émission sur l’automobile qui est l’émission anglaise la plus regardée à travers le monde.
Il faut donc retenir l’idée qu’Internet est là pour prolonger l’action, l’impact, le plaisir que représente un programme qui a une durée de vie éphémère à l’antenne. Internet est aussi le média de l’évènement en particulier autour d’un programme, autour d’un contenu.
Une fois son intervention terminée, Jean-Louis Blot a répondu à quelques questions des membres présents.
A une question sur le rôle et le fonctionnement de l’Observatoire de l’Internet créé par la BBC suite aux pressions du groupe Murdoch, il a précisé qu’il est composé principalement d’universitaires. Il y aura sans doute de nombreux débats, mais il est très difficile aujourd’hui, de prévoir le contenu des conclusions de cet observatoire.
Et les contenus sur Youtube ? pillage ? tag ? quel système pour les identifier et les protéger ?
Sur la question du piratage de ses programmes sur des sites comme Youtube, Jean Louis Blot a rappelé que BBC Worldwide a créé une chaîne Youtube et que cette chaîne permet de monétiser les programmes de la BBC. L’accord est assez simple, une chaîne spécifique a été développée et le chiffre d’affaires publicitaire de celle-ci est réparti entre les ayant droits, la BBC et Youtube.
Les auteurs en Angleterre et en France ont des statuts différents. Le système du copyright facilite la diffusion de ces programmes sur de nombreux supports.
Hervé Chabalier, un tour du monde des services publics numériques
Hervé Chabalier a raconté au Club comment, dans le cadre de La mission de réflexion de la commission Copé, il avait fait le tour de quelques services publics pour mieux comprendre comment fonctionne un service public de l’audiovisuel moderne.
Son voyage a commencé en Finlande. Là-bas, c’est le consommateur qui est au centre du système. Les Finlandais ont compris que l’on va passer de plus en plus d’une économie de l’offre à une économie de la demande. Ce sera le téléspectateur qui, avec le web en particulier, fera sa programmation. Le service public finlandais a regroupé ses rédactions, il n’y a qu’une rédaction de service public pour la télévision et la radio, cela permet de faire des économies de salaires et d’investir davantage d’argent pour notamment couvrir les événements à travers le monde.
Hervé Chabalier est ensuite parti à la rencontre de la BBC, qui elle-même à ce moment là se posait aussi des questions. Il a rencontré celui qui s’occupait du passage au média numérique, média global, au 360… Cette personne a expliqué que la BBC avait licencié un certain nombre de salariés lors du passage au numérique, mais en même temps avait embauché des nouveaux collaborateurs qui venaient du monde du numérique (Microsoft, Appel, Nokia…). Ces personnes ont été en particulier réparties dans l’ensemble des rédactions, afin d’instiller le numérique et les nouvelles technologies auprès de tous les services de la BBC.
La technologie permet de nouvelles créations. Des ingénieurs et des créateurs peuvent travailler ensemble pour créer autre chose et faire que la création devienne différente « Content and Software is Magic ».
L’organisation mise en place fonctionne en râteau. Des centres de création (unité de l’information, unité de la fiction…) ont ainsi été mis en place.
En France, on a traduit ce système par le guichet unique, ce qui est une dérive possible s’il n’y a pas de délégation de pouvoirs.
Le fondement du média global, c’est d’avoir une idée, et ensuite d’être capable d’exploiter cette idée et de la décliner de manière différente pour qu’elle arrive de la meilleure façon possible à l’utilisateur, qu’elle corresponde le mieux à l’écran qui va la diffuser. C’est un vrai gain, on a une idée qu’on décline sur l’ensemble des supports.
Aux Etats-Unis, M. Chabalier a constaté que le web représentait très peu pour les networks, seulement 2 à 3% des investissements, mais si ces 2-3% sont absents, les chaînes sont mortes.
Le raisonnement aux Etats-Unis à été celui-ci : « plutôt que d’aller vers la protection de la création, essayons de la partager, essayons de faire de l’agrégation. »
C’est ainsi qu’est né Hulu, une plateforme VOD, qui n’est pas dédiée aux programmes d’une chaîne, mais ouverte aux meilleurs programmes des principaux networks. Il vaut mieux avoir une plateforme VOD avec les meilleurs produits de chaque chaîne que d’être seule. La chaîne n’avait alors sur Internet plus d’importance, ce qui comptait c’était le produit. Les gens ne vont pas sur telle chaîne ou telle chaîne, ils vont voir une émission. Sur le web, ce qui compte c’est la notoriété du produit, et pas la notoriété de la chaîne. Hulu qui avait été lancé par la FOX et NBC a tellement bien fonctionné qu’ABC et CBS l’ont rapidement rejoint.
Suite à son tour du monde, Hervé Chabalier a essayé de faire passer ces différentes idées dans la commission Copé afin qu’elles soient reprises en France. Si ces idées ont bien été reprises dans la majorité des cas une erreur a été faite, celle de tout vouloir faire en même temps.
Ainsi, on supprime la publicité, donc il faut chercher de nouvelles ressources, en même temps, on essaie de faire une entreprise unique, et en même temps on essaie d’aborder le média global. C’est mission impossible. Aujourd’hui, on se retrouve au milieu du gué, avec une organisation assez loin du média global. Il y a eu très peu d’embauches de personnes issues des nouvelles technologies et la tentation de rassembler les spécialistes des nouvelles technologies dans un service à part est très grande.
Dans notre service public, il faut probablement y aller autrement, en commençant par décliner le numérique à partir de l’écran principal. Les produits de télévision étant ensuite déclinés sur Internet ou sur le portable. Mais sans les adapter, cela reste donc le même programme, mais c’est plus facile à instaurer.
Il existe sur le service public des plateformes VOD en fonction des chaînes. Il faudrait avoir une seule plateforme VOD regroupant le meilleur de chaque chaîne publique.
La prochaine étape sera de prendre une idée et d’essayer de la décliner différemment sous plusieurs supports. La difficulté dans ce domaine sera principalement de trouver les moyens de financer ces différentes déclinaisons.
Pour Françoise Miquel contrôleur d’Etat de France Télévisions, il faut que ces nouvelles technologies soient considérées comme des supports à part entière. Il faut donc que les produits créés pour le web soient adaptées au web. Pourquoi n’y arrive-t-on pas en France ? Les cultures ne se marient pas. En Grande-Bretagne, l’ARCEP et le CSA ont fusionné depuis 10 ans. On ne peut pas créer des contenus pour Internet qui soient les mêmes que les contenus diffusés à l’antenne. Il faudrait réserver une partie du financement obligatoire du service public aux nouveaux contenus (il faudrait instaurer une obligation d’investissement dans les contenus webs de 5% dans le COM par exemple). L’économie de l’immatériel doit intégrer la production audiovisuelle. Il faut créer une économie puissante des contenus. L’industrie des contenus a un boulevard devant elle.
Pour Hervé Chabalier, l’idée des 5% est une excellente idée, mais elle arrive à un moment où il est difficile d’instaurer de nouvelles règles, car l’instauration de l’entreprise unique prend beaucoup d’énergie, de temps, et de mobilisation.
La question de la redevance doit être abordée, notamment pour y instaurer une part qui soit mobilisable sur Internet. La redevance peut devenir un prélèvement juste si elle est adaptée aux revenus. Des sources de financement pour soutenir le développement des contenus numériques peuvent donc être trouvées.
Lorsque ce mouvement aura abouti, deux évolutions majeures auront eu lieues, tout d’abord, la qualité va gagner à travers de nouvelles technologies comme la 3D. De l’autre côté, c’est le nomadisme qui deviendra une norme, le public pourra regarder ce qu’il veut, comme il veut, quand il veut. Si on n’organise pas le service public pour le faire, si on ne donne pas aux producteurs la chance de réussir, cela sera un échec pour tout le monde. Aujourd’hui, les producteurs sont obligés de prendre sur leurs marges pour mettre à l’antenne des produits multimédias car les chaînes ne sont pas conscientes de l’importance de cet aspect. Cela appauvri donc la production qui est sous financée, qui ne peut investir dans la R&D et ne peut donc préparer l’avenir.
Jérôme Caza a rappelé que face à ce problème de sous-financement, le SPI avait proposé de mettre en place un sous-quota pour financer des nouveaux médias. Le CNC, de son côté, a mis en place des aides sélectives pour des projets portés par des producteurs indépendants, 100 projets ont été soutenus pour un total de 4M d’€. Ces projets sont ensuite diffuser sur des sites de chaînes ou des sites indépendants. Un renouveau du COSIP est actuellement en développement pour permettre aux sites de VOD de bénéficier du COSIP.
D’autres pays ont déjà compris l’importance des investissements sur Internet, ainsi, le Canada a obligé les diffuseurs à investir 10% de chaque projet dans des contenus hors antenne. Le pays s’est également doté d’un fond média qui finance jusqu’à 50% des besoins des projets hors médias. Hervé Chabalier a rappelé que dans le cadre d’une émission comme les infiltrés, un forum a été créé, des centaines de milliers de personnes viennent ainsi discuter entre eux de ce qu’ils ont vu. Il faut donc que sur chaque projet on mette un peu d’argent sur le numérique car cela permet de mieux valoriser son produit.
Philippe Chazal a rappelé que le service public pourrait dans le domaine du web jouer un rôle de moteur industriel, comme la BBC qui fait de l’essaimage industriel.
Pascal Josèphe, à la croisée des fleuves
Pascal Josèphe se réjouit que l’engagement dans le numérique ne fasse plus débat et il constate que le Club Galilée a joué un rôle important de diffusion de ce message primordial.
Il est important de rappeler qu’aujourd’hui un corps médiatique non plongé dans le bain numérique est un corps mort.
Nous sommes à la confluence de deux fleuves, le broadcast, et le broadband. Chacun a sa culture, ses contenus, son savoir faire, ses adorateurs, son histoire, ils bouillonnent, et ce qui va en sortir, on n’en sait rien car il est difficile d’écrire la nouvelle grammaire et de définir le nouvel écosystème qui va caractériser le nouveau fleuve. Il faut donc tremper dedans pour le découvrir, sans oublier de garder un certain nombre de choses en tête.
Cette confluence va donner naissance à de nouvelles écritures, de nouveaux usages… qui s’imposeront. Il faut ajouter qu’on ne pourra pas les contrôler. Il faut accepter d’être sous contrôle des usagers, des réseaux sociaux, le pouvoir est chez les gens. Il faut donc inscrire les priorités de la télévision publiques dans ces nouvelles manières d’être.
Mais avant, 2 éléments fondamentaux d’Internet aujourd’hui doivent être pris en compte :
• la recommandation joue un rôle essentiel sur Internet. Prenons un exemple fameux : les jeunes électeurs étaient d’abord informés par la recommandation de leurs amis pendant la campagne présidentielle américaine. Mais il y en a beaucoup d’autres.
• ATAWAD (Any Time, Any Where, Any Device) (N’importe quand, n’importe où, sur n’importe quel support), cet état des lieux va être imposé très rapidement par le téléviseur connecté qui va réunir ces deux flux, broadcast et broadband. Le téléspectateur va passer de la télévision à Internet sans s’en rendre compte. Ce téléviseur connecté va bouleverser la totalité des contenus et des usages et engager de nouvelles écritures dont il est impossible de connaître la grammaire.
Dans le cadre de ces bouleversements, certaines obligations particulières devront demeurer et même être renforcées pour la télévision publique :
• l’excellence : c’est l’obligation première du service public. Dans sa manière d’inventer et de créer, mais aussi dans sa manière d’informer. Le web permet la transmission d’informations parfois fausses. Il est important pour le corps social de partager un minimum de vérités et c’est justement le rôle du service public d’assurer cette part de vérité.
• l’éthique : il faut que toute l’offre du service public soit éthique, aucune concession ne peut être faite à cette éthique. Aucune valeur ne peut transcender cette valeur d’éthique. Quand le débat public n’est plus partageable car les citoyens s’éloignent de plus en plus du politique, la seule valeur partagée qui demeure est l’éthique.
• le partage : les réseaux sociaux et les recommandations sont au cœur de l’Internet. Il est donc important de partager. La posture du média qui n’écoute pas son public et ne répond pas à l’usager est une faute lourde ! Il est aujourd’hui primordial pour un média en général, et pour le service public en particulier de partager et d’échanger avec ses usagers.
• la proximité : dans cette culture numérique, notre concurrent en tant qu’acteurs de l’activité médiatique en France, c’est Google. Google veut être le champion de la proximité, car c’est la proximité qui fait tout le lien social. La proximité c’est ce dont les gens se soucient sans arrêt, dans leur journée, pour leurs loisirs, leur culture, et leur information. La notion de proximité doit être au cœur de toutes les préoccupations médiatiques, surtout quand on voit l’état de la PQR, qui perd cette fonction essentielle de lien social. Le service public doit donc reprendre cette fonction.
• l’ouverture : Dans le monde d’Internet, on raisonne très souvent de manière fermée. On parle ainsi beaucoup de son portail, en espérant que le public va passer comme dans un ranch. Or la réalité est tout autre, les usagers passent partout grâce aux liens, aux réseaux sociaux et aux recommandations, la page d’accueil d’un site perd d’ailleurs de plus en plus de son importance. Il faut donc penser plutôt : quand on entend le mot portail, il faut sortir sa tenaille.
Ainsi, aujourd’hui, l’une des préoccupations principale de France Télévision doit être de justifier l’utilité social de la télévision, la redevance ça se mérite, et la télévision publique doit être jugée au titre de sa contribution sociale. Les anglais sont heureux de payer leur redevance, ils sont très fiers de la BBC qui est une partie prenante du corps social. Du côté de la France, c’est plus compliqué, et en particulier dans le domaine du numérique. France Télévisions a eu beaucoup de mal à trouver des intervenants ayant une vision du numérique. Le groupe a commencé par parquer les équipes responsables du numérique dans FTV numérique, cela a mal commencé. Mais il existe des tentatives de faire évoluer la culture numérique de l’entreprise. Ainsi, France Télévision a développé la formation notamment via la création de l’université France Télévisions qui permet de former ses collaborateurs aux outils du numérique. Il existe donc un travail en cours qui grâce à la dissémination du numérique gagne l’ensemble de l’entreprise.
Au niveau des antennes, il existe 3 beaux exemples dans le domaine de l’extension du programme sur le web :
• Un bel exemple de collaboration a eu lieu entre France 3 et Telfrance sur Plus Belle la Vie. La série connait aussi un très gros succès sur le numérique, la marque vit 24h/24, intéresse des milliers de personnes, et cette exposition sur Internet permet de générer des revenus complémentaires, et de nourrir la communauté des 10-12M de téléspectateurs de ce feuilleton. C’est une réussite numérique, mais aussi tactique, car la présence d’une émission sur Internet crée ce qu’on peut appeler un effet turbo, Internet va permettre à l’antenne de générer plus d’audience. Cette audience supplémentaire sur Plus Belle la Vie permet à France 3 de rester au dessus de M6 dans ses audiences globales et donc à la chaîne de tenir son rang. C’est un très bon chemin pour consolider la télévision linéaire.
• Divertissement : Le match entre Tout le Monde veut prendre sa place et Attention à la marche a été gagné par le premier car l’émission est prolongée gratuitement sur Internet avec un jeu, là encore l’effet turbo a permis à une émission de se démarquer.
• Culturel : Le documentaire Apocalypse, au-delà de sa diffusion à l’antenne, a été accompagné par un site mis en place avant sa diffusion. L’existence de ce site qui avait déjà réuni son public explique le succès à la télévision. C’est une manière d’aller au-delà du programme qui est absolument exemplaire.
En matière d’information il y a cependant un vrai manque. France Télévisions est en retard dans de nombreux domaines du numérique, mais personne dans la télévision analogique n’est en avance. TF1 n’est pas très en avance, la première chaîne est à peine devant en matière de consultation de son site info. Les petites chaînes de la TNT, obsédées par la ménagère, ne font rien sur Internet.
Il y a aussi eu de la part de France Télévisons le lancement des journées de la création, un des critères de sélection des candidats était d’apporter un projet concernant deux écrans, il y avait là une réelle tentative d’aller de l’avant. Il est d’ailleurs très dommage qu’un syndicat comme l’USPA ait demandé à ses adhérents de boycotter ces journées. Ainsi, tant que l’on n’est pas mort, on n’est pas en retard. Dans cette révolution tout va tellement vite qu’on ne sait jamais ce qui va se passer. On peut regretter le retard, mais on ne peut pas dire que France Télévisions soit dépassée sur Internet.
Suite à cette intervention, Philippe Chazal a ajouté que devrait être inscrit dans les missions de service public de nouveaux objectifs, particulièrement quand on change d’époque, la liberté et la créativité. Il faut accepter la liberté de création sur Internet. C’est une période de transition dans laquelle il est nécessaire d’expérimenter, et le service public doit laisser les créateurs essayer de nouvelles choses.
Enfin, Serge Schick a rappelé qu’il n’y a pas de modèle d’organisation, une organisation prend place à un certain moment à une certaine époque. France Télévisions manque de liberté. Et l’initiative et l’autonomie ne sont pas inscrites dans le fonctionnement actuel. Ainsi, pour créer certains projets, si dans une organisation il y a trop de gens qui coordonnent, avec des droits de véto, des droits de regards… ce n’est pas possible de faire émerger des créations véritablement nouvelles.
En conclusion, cette séance a permis d’insister sur le fait que la présence du service public de l’audiovisuel sur Internet était essentielle. En effet, les trois missions organiques du service public, éduquer, informer et divertir restent aujourd’hui d’actualité en télévision comme sur le web, et les valeurs du service public ont leur place sur l’univers d’Internet.
Le groupe France Télévision a cependant encore du retard par rapport aux services publics de l’audiovisuel européens, et notamment la BBC.
Le groupe britannique a compris depuis longtemps l’importance d’intégrer dans ses équipes des personnes ayant une véritable culture numérique. De même, les investissements dans les nouveaux médias sont en forte croissance et représentent aujourd’hui 5% des dépenses du groupe. Ainsi, grâce à la fois à un personnel formé aux techniques numériques et à des investissements conséquents, le service public d’outre-manche a pu émerger comme la première force numérique du pays au point de devoir aujourd’hui justifier de cette présence.
France Télévision bien qu’en retard commence cependant à cultiver sa présence sur la toile. Que ce soit dans les domaines de la fiction, du divertissement ou du documentaire le service public est de plus en plus présent. Le groupe se veut également un pionnier via le lancement de nouveau concept comme lors des journées de la création.
Il reste cependant beaucoup à faire, notamment dans le domaine de l’information où il existe un vrai manque. L’avenir dans ce domaine est à écrire. On ne peut savoir aujourd’hui la place qu’occupera le groupe sur Internet à l’avenir. Mais il est évident qu’il doit sauter à pieds joint dans cette nouvelle ère.
Ajoutons enfin que dans le domaine de l’Internet, le service public a un rôle pionnier à jouer en investissant dans la créativité, la création et l’innovation en termes de contenus, d’usages et même de technologies et d’industries.