Synthèse de la séance dédiée à la "Télévision HD et 3D relief", délivrée en partenariat avec Cap Digital, à la Cité des Sciences et de l’Industrie, le 29 janvier 2011.
Introduction
Lors de cette séance « hors les murs » à la Cité des Sciences et de l’Industrie, dans le cadre des deux journées sur la THD organisées par Cap Digital, le pôle de compétitivité avec qui le Club a signé un partenariat, et à travers l’intervention de ses invités, le Club Galilée a posé les termes de l’articulation entre nouvelles normes techniques et enjeux de la création et de la production, dans le cas des formats HD et 3D relief.
L’objectif de cette table ronde était de donner la parole à un panel varié de producteurs et de réalisateurs d’œuvres audiovisuelles, pour nous présenter un état des lieux de la création en HD et 3D, dans les principaux genres télévisuels, à savoir : fiction, documentaires et spectacles.
Il s’agissait, dans le cadre d’une manifestation plutôt centrée sur les réseaux et les services, d’ouvrir les débats sur les créations de contenus audiovisuels avec ceux qui les font. En montrant d’une part le catalogue de programmes qui se développe dans ces nouveaux formats, d’autre part le potentiel de séduction auprès du public que ces créations représentent.
Il nous paraît important de prendre conscience des enjeux d’écriture, de production, de création et de financement, derrière la HD et la 3D relief. Ainsi, par exemple, outre le fait d’apparaître comme un standard de qualité supérieure, la HD représente en fait une dimension supplémentaire du projet éditorial.
HD et fiction - M. Bertrand Cohen, producteur
L’arrivée de la HD a permis en premier lieu la naissance d’une nouvelle esthétique portée par des caméras plus petites, maniables et légères, qui changent les habitudes de tournage, réduisant aussi les coûts et permettant une plus grande flexibilité.
La séance débute avec l’intervention de Bertrand Cohen, et la présentation de Fortunes, une série de fiction qu’il produit avec sa société Terence Films.
Il insiste sur le parti-pris éditorial que les caméras légères en HD ont permis de relever. Filmer au plus près de la réalité comme dans un reportage et, en même temps, se situer sans ambigüité, dans un univers de fiction avec notamment la qualité d’image qui désigne aux yeux des téléspectateurs cet univers. La HD légère le permet.
L’histoire et le scénario impliquent un besoin de liberté, que seule la HD légère lui a permis de satisfaire avec autant de fluidité, d’adaptabilité. A cela s’est ajoutée la réduction de coûts. La lumière naturelle lui semble cruciale pour cette série, de même que la liberté des acteurs et leur capacité à improviser dans certaines scènes. A ce titre, la légèreté et la maniabilité des caméras HD lui permet à la fois une flexibilité, mais aussi une certaine désinvolture qui sied bien à la série.
Lors de la diffusion des extraits, il apparaît bien que l’esthétique de la HD se prête à l’histoire et accompagne un certain esprit. La HD a permis à Fortunes de se forger une certaine esthétique, en plus d’une grande liberté dans la mise en scène en extérieur.
HD et documentaire - M. François Bertrand, producteur
Avec Tchernobyl : une histoire naturelle ?, François Bertrand, de Camera Lucida, présente un documentaire filmé intégralement en HD. Ce format technique, là aussi utilisé en légère, a permis d’installer un style et une atmosphère particuliers, à la fois réelle et irréelle, qui non seulement convenait mais aussi accentuait le propos qui était de revisiter de nombreuses années après, le lieu de l’accident nucléaire en constatant qu’ « apparemment » la nature a repris ses droits.
Pour lui, la HD permet aux documentaristes aussi de repenser leurs méthodes de travail. Elle permet de simplifier certaines lourdeurs techniques et de renforcer l’immersion du caméraman au sein des univers qu’il montre.
François Bertrand précise enfin qu’aujourd’hui, les coproducteurs internationaux, de plus en plus nécessaires pour financer ce type de productions, et les distributeurs favorisent la HD. C’est devenu la norme internationale pour les professionnels et le public.
Frédéric Le Clair, réalisateur de documentaires et de spectacles en HD
Le réalisateur Frédéric Le Clair se propose de nuancer les qualités de la HD précédemment énoncées. Dans le cas de la captation de spectacles, il affirme que la HD a changé très peu de choses du point de vue de la pratique. Il affirme néanmoins que le résultat est infiniment plus beau et permet de préserver et montrer au public des œuvres audiovisuelles de patrimoine, qu’il soit musical ou culturel.
En revanche, dans la mise en scène de documentaires, il affirme que la HD légère y est une véritable « petite révolution ».
Opposé il y a 12 ans à l’arrivée des petites caméras numériques, il rejetait l’idée de sacrifier la qualité de l’image et la précision dans le maintien de la caméra. Bien entendu, le rapport qualité/prix était également plus intéressant.
Il rappelle que, dans le cas de plans larges, l’image était alors beaucoup moins bonne qu’avec les anciennes caméras « béta » ; de plus, ces toutes petites caméras perdaient l’avantage des grosses caméras épaule qui permettent de cadrer avec plus de précision.
Ces nouvelles caméras numériques ont apporté une nouvelle esthétique : des grands angles, une mise au point plus chaotique avec plus de flous, etc… Cette révolution et son coût inférieur ont immédiatement séduit les producteurs.
Avec la HD légère, l’histoire se répète : ce sont cette fois de toutes petites caméras. A l’arrivée des Z1 sur le marché (alentour 2005-2006), l’image est de qualité moyenne et ne permet pas à l’étalonnage de rentrer dans l’image. La caméra gère également mal les ralentis… C’est une « HDV » (une « fausse HD »). Néanmoins, les diffuseurs sont séduits par le label HD, qui n’en est pourtant pas un. Du point de vue ergonomique, ce sont des caméras de poing, différentes des grosses caméras.
En 2008 arrive l’EX3, une petite caméra peu chère. Les producteurs ont alors vendu ou jeté leurs anciennes Z1 (qui s’usent rapidement). Cette toute petite caméra qu’est l’EX3 offre, pour le coup, une vraie HD. Le producteur, ravi, en devient propriétaire et met cette caméra à disposition.
Cela permet de réduire les coûts, par exemple pour un long tournage étalé sur plusieurs années, alors qu’une grosse caméra ne l’aurait pas permis, coûtant trop chère sur le long terme.
La HD : une nouvelle référence - Yves Bourgeois, producteur
Yves Bourgeois, de Docside Production, met en avant la légèreté, l’économie, la sensibilité et la souplesse des focales apportées par les caméras au format HD.
« Aujourd’hui : on a plus tellement le choix. » Pour faire face à la concurrence et pour être en mesure de vendre ses programmes à l’étranger : la HD est imposée par l’industrie elle-même.
Yves Bourgeois rappelle néanmoins qu’il existe plusieurs types de HD, et qu’un producteur doit se poser la question de savoir quel type choisir en fonction de ce qu’il veut raconter et la façon dont il souhaite le raconter.
Il décrit d’abord Trafalgar (sorti en 2006, préparé en 2005) qui présente un parti-pris d’une image animée en HD avec incrustation de personnages réels et une colorimétrie et une texture très particulières. Il s’agissait de reproduire la bataille de Trafalgar. A cela s’ajoute la nécessité de rentrer dans un budget de télévision tout en faisant un produit de grande qualité.
Avec Le Destin de Rome : les acteurs évoluent dans un univers totalement dénué de références matérielles ; ils jouent sur fond vert avec des cubes et petits points/croix marqués au sol en guise de références scéniques. Filmé en XD-cam, cela donne selon lui en matière esthétique un bon compromis entre grosse caméra (mini-béta) et petite caméra à focales fixes.
Avec Confidences d’équipage : Yves Bourgeois décrit la production de ce documentaire filmé sur le porte-avion Charles de Gaulle ; il insiste sur l’obligation de discrétion et de flexibilité pour filmer chaque instant de la vie de l’équipage. Tourné en 5 mois, avec une équipe très réduite (trois personnes seulement : le réalisateur, le chef opérateur et l’ingénieur du son).
Il décrit une autre expérience dans l’utilisation de la XD-cam HD qui montre que les menus de la caméra ont ainsi permis de réduire des problèmes de gamma en temps réel.
Pour lui, la HD est synonyme de plus grande ergonomie au niveau de tous les postes : d’abord pour le chef-opérateur qui, grâce au système de post-production embarqué avec le logiciel PDZ 1, peut de façon très pratique observer directement le rendu de l’image ; de la même manière, le réalisateur peut vider la caméra sur le disque dur d’un PC et visionner directement les rushs, ce qui donne la possibilité d’effectuer la phase de pré-rush une heure après avoir effectivement tourné. Pour lui, l’ergonomie est indispensable dans ce type de tournage. Ainsi, le monteur pouvait de chez lui directement commencer son travail. Donc lien étroit entre tournage et montage, et économie de coûts. Le réalisateur et le monteur pouvaient ainsi visionner l’ensemble des rushs ensemble, pour une vision partagée du projet final.
Retour d’expérience en 3D relief - Laurent Baujard, producteur
Pour Laurent Baujard, de Gédéon Programmes, la HD a permis de véritablement replacer l’image au cœur des préoccupations. Elle a fait ressortir les envies de tous (réalisateur, producteurs…) De plus, le coût de cette technologie améliore le rapport du coût au spectacle et permet d’obtenir une bonne qualité à un coût plus abordable.
Laurent Baujard décrit le tournage à Madagascar. Il raconte cette expérience en l’illustrant de photos du tournage, qui sont particulièrement parlantes. Il s’agit d’un documentaire de découverte, en 3D relief. La production étant cofinancée par les chaînes Discovery et Canal+.
L’intervention de ces grands diffuseurs a imposé des critères techniques supplémentaires, entraînant eux-mêmes une batterie de tests et des choix techniques supplémentaire à faire, notamment dans le choix de la caméra. La production s’est orientée vers la Sony P1, pour sa capacité à encaisser les chocs de diaf importants (mesure en lumière).
Considérant l’objet du tournage et le lieu, il était nécessaire de réduire les équipes techniques pour s’adapter au milieu. Le terrain de Madagascar est en lui-même particulier : il faut huit heures à l’équipe pour parcourir deux kilomètres.
En fait, pour introduire la 3D relief, la production a dû suivre des logiques de fiction, avec l’intervention de techniciens pointeurs, assistants opérateurs, une machinerie importante, etc… L’équipe est ainsi beaucoup plus lourde que dans le cas de documentaire en HD.
« Avec l’arrivée de la 3D relief, on upgrade une partie du dispositif et on finit avec une équipe quatre fois plus importante que prévue. Sur une grue il faut monter deux caméras ; il faut donc une tête plus solide et trois opérateurs au lieu d’un, etc…
Un nouveau technicien entre également en scène : le stéréographe, qui contrôle la qualité du relief... A l’élargissement de l’équipe s’ajoute une complexification du dispositif technique : la crosse d’épaule et la caméra pèsent ensemble 18 kilos ; il est donc nécessaire d’y ajouter un système de contrepoids (EZ-rig).
En matière de documentaire, l’équipe est souvent réduite et a besoin de filmer le réel de manière spontanée, donc d’avoir une grande flexibilité. Avec la 3D relief, c’est aujourd’hui tout un ensemble de contraintes : technique, logistique, économique, mais aussi de mise en scène : le dispositif de tournage est moins mobile. Le relief ne peut pas aller trop vite et impose des mouvements de caméra plus lents pour éviter des maux de tête chez les spectateurs).
Frédéric Le Clair ajoutera que, de plus, pour fonctionner à plein, le relief préfère de grands angles qui imposent une plus grande proximité avec les acteurs et empêchent l’intervention d’un trop grand nombre de caméras, qui apparaîtraient sinon dans le champ (il mentionne notamment le tournage du prochain film Astérix, en 3D). Il est donc nécessaire de revoir la mise en scène.
Dans le cadre du documentaire à Madagascar, Laurent Baujard évoque le besoin de refictionnaliser certaines scènes et simuler la spontanéité pour s’adapter au contexte.
Pour ce documentaire tourné en 3D relief, l’équipe était composée de dix-huit techniciens, vingt scientifiques et vingt porteurs. Cela a nécessité en particulier la création d’un camp de base avec toute la logistique de maintenance, d’entretien et de contrôle qui l’accompagne. De plus, un hélicoptère à temps complet a dû être intégré au dispositif pour gérer la logistique, la sécurité et l’alimentation de l’équipe. Enfin, la 3D a entraîné des logiques de mise en scène lourdes (machinerie, rails) ; des machinistes ont également dû mettre en place un système de câbles dans les arbres.
Au final, ce documentaire a coûté 1,7 million d’Euros. Laurent Baujard conclue en pointant le fait que la 3D relief est pour le moment incompatible avec la spontanéité au tournage ou au montage.
Conclusion
L’arrivée de la HD et de la 3D a entraînée de nouvelles attentes de la part du spectateur, mais aussi de nouveaux choix esthétiques et économiques.
Comme chaque révolution technologique, ces deux nouveaux format impliquent des choix et des sacrifices, au moins au début, mais ouvrent aussi, en s’appuyant sur les logiques économiques, de nouvelles opportunités créatives.
Si la HD légère paraît très attrayante pour les producteurs de par son coût moins élevé et la demande croissante des distributeurs, coproducteurs et spectateurs en la matière, elle engendre des transformations dans l’esthétique.
En HD, le catalogue se développe, tant en fictions qu’en documentaires. Les exemples présents lors de cette séance le montrent. Nous avons eu également la chance de découvrir les coulisses d’une des premières expériences 3D, en documentaire.
La 3D, actuellement au début de son développement, pose des problèmes particuliers : elle reste lourde et peu maniable, comme toute révolution technique à ses débuts. Elle implique aujourd’hui des choix radicaux dans la mise en scène et l’organisation des tournages ainsi que, bien entendu, un coût plus élevé.
Les producteurs et créateurs actuels doivent apprendre à gérer ces mutations et à les intégrer dans leurs logiques créative, éditoriale et économique.