Synthèse des réflexions sur la séance "Télévision Connectée II : Contenus, Services et Usages", du lundi 7 février 2011. Cette séance fut organisée en partenariat avec La Netscouade, dans le cadre de la Social Media Week.
Introduction
Cette séance du Club Galilée s'inscrit dans le programme de la « Social Media Week » semaine qui s'ouvre en ce lundi et va se poursuivre jusqu'à vendredi. Le Club en est partenaire.
Benoît Thieulin dont la société La Netscouade est la cheville ouvrière de cette semaine en précise le programme et rappelle que cette semaine est un évènement mondial qui se déroule en meme temps dans plusieurs capitales du monde entier.
Suite à sa première séance sur la télévision connectée centrée sur la technologie et le rôle des constructeurs, le Club Galilée s'est concentré plus précisément en cette séance sur les possibilités en termes de contenus et de services qu'ouvre la télévision connectée. Au-delà du hardware, largement abordé dans la première séance, place aujourd'hui à la création et à l'innovation dans les contenus et les services.
Le renouvellement créatif qui va accompagner cette évolution technologique se prépare dès maintenant. Il porte des enjeux éditoriaux et économiques que cette séance se propose d'ouvrir.
La télévision connectée c'est une nouvelle frontière, un nouvel univers multidimensionnel à construire associant les expériences audiovisuelles, sur le Web et dans les services.
L'exemple du magazine Project - David Couturier
David Couturier, de la société Plazzle, ouvre la séance en présentant, directement sur l'iPad, le magazine Project qui tire parti des possibilités offertes par l'interactivité. Lancé par Virgin et prochainement commercialisé à 3€/mois, ce mensuel se présente comme une véritable petite révolution dans le domaine des magazines en ligne.
On peut le considérer comme une représentation de ce que pourra être la télévision connectée.
Avec Project, c'est l'arrivée d'un « tout interactif » dans la presse en ligne. La couverture elle-même est interactive : l'image bouge en temps réel, change de couleur... La navigation dans la lecture, elle, peut se faire dans deux sens : horizontalement (en faisant glisser le doigt pour tourner les pages) pour passer d'un article ou d'une publicité à l'autre. Et verticalement pour approfondir l'article... ou la publicité.
Ainsi, pour les contenus : une page d'accueil, puis une possibilité d'approfondir en défilant verticalement et découvrir des liens vidéos ou menant vers d'autres pages Web. C'est donc une véritable révolution dans la consommation des contenus, où cohabitent des pages écrites, des vidéos, des contenus audio, des photos, dessins, etc... Les mêmes possibilités s'appliquent à la publicité : à la page d'accueil présentant la marque et le produit succède une série de liens vidéo le présentant ou de vidéos divertissantes autour du produit, de même que des liens vers d'autres produits ou services de la société. Il s'agit d'une véritable nouvelle publicité interactive.
David Couturier insiste sur le potentiel publicitaire que peuvent également générer les liens de contenus, qui pourront être sponsorisés à l'avenir.
Télévision connectée et révolution des usages - Benoît Thieulin
Benoît Thieulin de La Netscouade présente les possibilités de services que permet la télévision connectée. Il évoque notamment le partenariat avec Deezer noué par Philips en 2009, qui permet l'accès à des Webradios via sa télécommande. Cela permet aussi des publicités croisées entre Deezer et Philips.
Il précise que la technologie HbbTV a été portée par un certain élan, mais qu'actuellement les constructeurs attendent l'aval des chaînes avant de choisir une norme spécifique en termes de télétexte. Il rappelle également que 70% des personnes actuellement équipées d'un téléviseur connectable utilise bien les services qui leurs sont proposés. Egalement que la télévision connectée va être un véritable coup de boost pour les services de télévision de rattrapage et la librairie de programmes.
Les problématiques actuelles prennent en compte la question des usages de la télévision connectée. Ainsi si une télévision standard est contrôlée par une personne, il paraît difficile d'en faire de même avec une télévision aussi plurielle que la télévision connectée. Comment contrôler ce programme ? Quelles sont les pistes ?
Benoît Thieulin rappelle que trois idées ou révolutions sont actuellement en jeu à partir du web : celle des communautés, celle des contenus et celle de l'instantanéité.
Aujourd'hui, parler de « communauté » en France est passé dans le langage courant, avec l'essor d'une nouvelle profession : le « community management ». La blogosphère se structure de plus en plus en communautés et la force et le dynamisme de la toile tient à cette structuration communautaire. Les réseaux sociaux sont venus se greffer sur cette première évolution. La structure communautaire du Web, mêlée à la télévision, impliquera une révolution dans les contenus.
Concernant cette nécessaire évolution des contenus, Benoît Thieulin rappelle qu'Internet se nourrit de l'hyper-segmentation et des niches, contrairement à la télévision qui est avant tout un média de masse. Les chaînes hyper segmentées de la télévision sont précisément celles qui ont le plus de force communautaire sur les réseaux sociaux et la plus grosse communauté Internet en soutien. Sur Internet, les chaînes de la TNT, les chaînes thématiques, les chaînes segmentantes, sont celles qui marchent le mieux, car chacune d'elles se concentre sur une niche.
Déployer et favoriser une communauté autour d'une chaîne segmentante va devenir un véritable métier. A ce titre, l'activité de community manager est un rendez-vous crucial de la télévision de demain.
La révolution des contenus, c'est également le passage d'un ratio de 1 à 15 sur le potentiel viral d'un contenu. Cette évolution s'accompagne d'une nécessaire refonte des contenus : des vidéos/photos sont dix fois plus partagées qu'un article d'actualité. L'écrit doit donc se doubler d'éléments visuels forts. La vidéo est le contenu qui a le plus fort potentiel de partage.
Troisième tendance : l'instantanéité. Ce qui est intéressant sur Twitter, c'est le regroupement par affinités. Sur Twitter, on ne rencontre pas, on partage des informations : c'est une conversation autour des partages d'affinité.
A ce titre, Twitter devient un outil fort de commentaire autour des programmes de la télévision, et vient ainsi renforcer l'expérience des contenus. Le Web resté asynchrone, mal organisé pour recevoir massivement et diffuser massivement un même message, complète la télévision, média synchrone et tourné vers un maximum de personnes vivant la même expérience en temps réel. Les contenus devront se nourrir de ce choc des usages et des modes de consommation.
Enfin, Benoît Thieulin s'interroge : la télévision connectée n'existe-t-elle pas déjà ? Si je peux retrouver mes héros de série sur Facebook et Internet, ne peut-on dire que la télévision enrichie est déjà bien présente ? Lorsque je regarde avec une tablette des informations sur un programme tout en regardant ce programme à la télévision, n'est-ce pas une consommation déjà latente de « télévision connectée » ? Le commentaire a aujourd'hui son canal qui fonctionne très bien. Finalement, le Web social va-t-il coudre autour de la télévision ou la télévision va-t-elle rejoindre le Web social ?
Ainsi le web préfigure la télévision connectée. Mais pas sur un seul écran celui de la télévision mais sur plusieurs écrans utilises en même temps.
Ici, c'est la question de l'interopérabilité qui est posée : en termes de services, comment la télévision et l'Internet pourront-ils s'articuler de façon lisible et réellement utile pour le téléspectateur, au service des contenus ?
La télévision crée un effet de communion : l'impression de partager des moments. C'est aussi le seul écran qu'on partage dans un foyer. Le téléspectateur aura-t-il le réflexe de commenter sur un écran qu'il n'a pas l'habitude de partager avec les autres ?
Côté financement, la télévision détient une grande partie de la force créatrice dans le domaine des contenus audiovisuels et de la clé économique de cette industrie. Comment l'arrivée du Web dans la télévision va-t-elle transformer cette relation de la télévision et des diffuseurs avec le financement de la création ? Les contenus plus segmentant auront-ils plus de succès, parce-qu'ils toucheront la communauté Web ?
Accompagner la mutation des consommations - Laurent Sorbier
Laurent Sorbier de la société MySkreen insiste sur les mutations actuelles constatées déjà aux usa et qui vont toucher nos marchés domestiques en matière de consommation de contenus audiovisuels. La cartographie des usages change. En particulier le flux au profit de la VOD.
Il rappelle que 2010 a été La première année où le nombre d'abonnés aux câbles a décliné, aux Etats-Unis. En face de ces 350 000 foyers américains qui ont quitté le câble. Netflix a gagné 7,7 millions d'abonnés (passant à 17,7 millions). De son côté, Iblix a gagné 10 millions d'abonnés (rentable au bout de 10 mois). Aux Etats-Unis : 22% des abonnés au câble seraient prêts à se désabonner pour se diriger uniquement vers une offre VOD.
Il signale également une cohabitation de plus en plus fréquente de consommation non linéaire et linéaire. La consommation de vidéos sur Internet s'est banalisée et touche aujourd'hui 80% des 18-25 ans. En France : 20 millions de films sont téléchargés légalement en VOD, en 2010, et un Français sur deux a pratiqué la télévision de rattrapage. Si la VOD est consommée massivement en télévision, la catch-up quant à elle l'est à 90% sur l'écran du PC.
En 2010, le CNC a recensé 55 plateformes de VOD sur le marché et 40 000 contenus payants sur Internet. Néanmoins, une série d'obstacles ralentissent l'appétit du consommateur : Allostreaming, Mega Upload... Nous sommes dans un univers de consommation qui est aujourd'hui plus complexe.
Dans cet univers, il est urgent de fédérer les acteurs. Or, certains acteurs du Web vont bénéficier de la télévision connectée.
Laurent Sorbier distingue deux époques dans la télévision connectée : la première, actuelle, qui nous permet d'avoir accès à une offre joliment agencée par notre opérateur. A ce titre, s'il en a la possibilité, le consommateur profite de ces services (rappel : 70 %). « Quand on a des terminaux adaptés, on fait. »
La deuxième étape de la télévision connectée, à venir, est celle qui fait le plus peur aux chaînes : la jungle des contenus Web et une chaîne de droits qui va changer.
L'art digital sur la télévision connectée - Cécile Worms
Selon Anne-Cécile Worms, de Digitalarti, les artistes de l'art numérique sont déjà passés dans la phase de LA télévision connectée.
Les artistes pratiquent déjà des œuvres en réseau, qui sont vues et partagées sur la toile. Selon elle, ces œuvres ont un véritable avenir sur la télévision connectée, et influenceront les habitudes de consommation avec l'expérience de l'art digital : à la fois contemplative et interactive.
Anne-Cécile Worms nous présente un rapide panorama des différentes catégories de créations digitales et nous invite à aller voir toute cette richesse potentielle sur les adresses internet suivantes :
Les arts digitaux qui travaillent avec la matière même du Web nous montrent des voies possibles pour le déploiement des contenus et des services dans l'univers de la télévision connectée.
Le Club rappelle à ses membres que pour plus de renseignements une séance a été organisée à l'Automne dernier.
Nouveaux contenus, nouveaux financements ? - François Bertrand
Le producteur François Bertrand développe des projets dans certaines domaines de la création et de la production audiovisuelles qui sont des niches : culturelles, scientifiques... Il témoigne d'une interrogation des différents auteurs, créateurs ou réalisateurs : la télévision va-t-elle vers les communautés, ou vice-versa ?
Le souci actuel des producteurs est de toucher des niches ; malheureusement, en termes de financement, une stratégie de niche ne permet pas de dégager des préfinancements suffisamment conséquents. De plus, les producteurs se heurtent à des problèmes d'écriture colossaux : comment inscrire des programmes au milieu de la multitude des communautés ? A quel moment de la journée ce programme va s'adresser à qui ? En effet, le moment de diffusion conditionne des écritures différentes, entre facilité d'accès et profondeur.
Deux questions principales restent en suspens : comment s'adapter à tous les écrans ? Et comment ces projets vont-ils être financés ?
En effet, la diversité des supports bouleverse la chronologie des médias, donc les sources de financement. Lorsque tout est mélangé : on met de l'obscurité dans la chaîne de droits, donc le financement de ces programmes.
Jérôme Caza, producteur et président du collège de télévision du SPI, met en parallèle le développement actuel de la télévision et l'arrivée du CD en musique ; la TNT est comparable au CD : elle a physiquement numérisé l'image vidéo.
Aujourd'hui, la télévision connectée sera à la télévision ce que le MP3 et iTunes ont été à la musique. Donc, une grande inquiétude subsiste : comment tout cela va être financé ? L'enjeu, c'est bien sûr le gâteau publicitaire. Comment lutter contre la suprématie de Google ? Comment TF1 va-t-il financer ses fictions ? Quelles vont être les demandes de la publicité et les répercussions ? Il rappelle néanmoins que la télévision connectée est un outil de commerce extraordinaire qui rentre dans le foyer.
Hardware et plateformes de services, support des contenus - Mathieu Parisot
Pour Mathieu Parisot, responsable du projet de télévision connectée chez Philips France, le hardware va se positionner différemment et devenir une « boîte à film » qui donne accès à des contenus de VOD (par exemple avec des services comme celui de VideoFutur). Il évoque à ce titre les interfaces très épurés et simples, avec peu de place à la publicité.
Yves Jeanneau, producteur de documentaires et commissaire général du Sunny Side of Doc, précise qu'en Asie, ses interlocuteurs en termes de financement sont de plus en plus les nouveaux réseaux de distribution type Netflix, Dentsu (agence de communication japonaise) ou les industriels comme la Samsung Content Unit, et de moins en moins les chaînes. Le rôle des marques va également grandissant.
Hardware et plateformes de services - Rémi Tereszkiewizc
Rémi Tereszkiewizc, de VideoFutur, précise comment la plateforme de distribution vidéo a évolué vers une plateforme VOD pour devenir un « opérateur de divertissement ». Le fournisseur est lui-même devenu interface et service avant tout. A ce titre, les plateformes de VOD doivent aujourd'hui se pencher de plus en plus sur les désirs en termes de consommation, de services supplémentaires et d'ergonomie.
Il ajoute que les développements liés à la télévision connectée rencontrent de nombreux obstacles en particulier en termes réglementaire. Il va falloir harmoniser.
Conclusion
Le Club Galilée en premier lieu présente ses excuses aux panels et aux présents à la séance pour les insuffisances techniques qui ont handicapé les présentations et la fluidité et la qualité des débats. Plusieurs questions restent actuellement en suspens considérant les contenus de la télévision connectée.
D'abord la création en lien avec la consommation des contenus : quels types de contenus pourra s'adapter à telle ou telle plateforme ? Ensuite le financement : si la manne publicitaire échappe aux chaînes, qui financera la création de demain ? Enfin, l'accessibilité : quelle sera la couverture du réseau « connecté » ? Qui aura un accès Internet suffisamment performant pour profiter pleinement des services et contenus de la télévision connectée ?
A ce titre, l'ergonomie est un enjeu crucial dans l'accès aux contenus. Qu'il s'agisse du « front office » : l'interface, ou du « back office » : les moyens techniques pour une utilisation sans difficulté. En effet, les consommateurs se dirigent massivement vers des services avant tout fluides et agréables à utiliser.
Enfin, il convient de rappeler qu'en termes de TVA, la France ne se bat pas à armes égales avec d'autres pays. Même combat concernant la chronologie des médias, qui empêche actuellement la VOD de prendre véritablement le pas sur le DVD.
Le Club compte poursuivre ses réflexions sur la télévision connectée. Il prévoit ainsi avant la fin mars une troisième séance qui doit permettre d'approfondir les pistes en termes de contenus et de services ouvertes dans cette séance.