Les nouveaux formats de programme – Séance du 16/04/2012
Lionel Abbo – Shine France
Jean-Louis Blot – BBC France
Amandine Cassi – Médiamétrie / Eurodata Worldwide
Lucille Heriard Dubreuil – ITV Studios France
Problématique :
Le Club Galilée poursuit son « Etat des lieux » permanent de la création et de l’innovation audiovisuelle et numérique avec la séance du lundi 16 Avril consacrée aux « nouveaux formats de programmes ».
Rappelons que par « format » il faut entendre un contenu et un dispositif télévisuels qui peuvent être dupliqués moyennant une adaptation sur différents marchés.
Le « format » concerne tous les genres télévisuels : aussi bien les programmes de stock comme les documentaires et les fictions que les programmes de flux tels que les divertissements et les magazines. Et les genres télévisuels nés plus récemment comme les « téléréalités ».
La notion de « format » continue de faire débat en France. Tentons de clarifier celui ci.
On doit reconnaître que la notion de « format » peut s’appliquer aussi aux programmes de patrimoine. Et qu’elle est susceptible de mobiliser des réalisateurs dont le statut d’auteur sera assumé et reconnu.
C’est sa compatibilité avec la notion d’œuvre au sens traditionnel du terme qui provoque débat.
Au moins parce que l’œuvre signifie l’unicité de la création alors que le « format » implique la possibilité de la duplication.
Mais au-delà de ces principes, il faut regarder une réalité qui place la France, en matière de production audiovisuelle, malgré son industrie, son tissu de PME et de TPE créative et de talents d’auteurs loin derrière les principaux pays producteurs de « formats » notamment européens comme la Grande Bretagne.
Alors que cette industrie est celle qui depuis quelques années maintenant connaît dans le secteur de la production audiovisuelle la plus forte croissance et constitue le marché en termes de CA et d’exportations le plus prometteur.
Ajoutons dans ce constat la présence particulièrement forte des services publics de l’audiovisuel qu’il s’agisse de la BBC ou des télévisions publiques d’Europe du nord. Loin des dogmatismes français donc en ce domaine.
Il ne s’agit pas de tout confondre mais il parait nécessaire au Club de rappeler ce constat et de proposer les nouveaux moyens et dispositifs permettant à notre production nationale des programmes de développer AUSSI une industrie des « formats » créateurs d’activités, de valeurs, d’emplois et de savoir faire.
En particulier il nous semble clé de créer un nouveau dispositif capable d’amplifier les moyens au service de la R&D en matière de « formats ».
En effet aujourd’hui les évolutions récentes des comptes de soutien qui restent modestes en matière de développement en amont des projets de programmes, ignorent cette nouvelle orientation de la production que constitue l’industrie des « formats » alors que ceux-ci nécessitent des moyens particulièrement importants pour leur mise au point.
C’est l’ensemble de ces questions que posent les « formats » qui seront débattues lors de cette session.
Celle-ci sera bien entendu aussi l’occasion pour tous les membres de rencontrer les producteurs en particulier européens à travers leurs filiales françaises qui développent les formats et de découvrir les nouveautés dans ce domaine.
Compte rendu :
Le Club Galilée ouvre aujourd’hui une nouvelle séance le thème des formats audiovisuels.
En introduction, Philippe Chazal annonce le calendrier du Club : une prochaine séance le 14 mai qui, à quelques jours seulement de l’ouverture du festival de Cannes, sera consacrée au cinéma avec les directeurs généraux des filiales cinéma des chaînes de télévision ; puis une séance en juin axée sur le service public avec le souhait d’instaurer un dialogue entre responsables audiovisuels – passés et présents – et des acteurs de la profession et des représentants de la société.
En début de séance, la parole est donnée à Bruno Smadja qui annonce aux membres l’évènement des Cross video days qui se dérouleront les 12 et 13 juin au Stade de France. Une manifestation à laquelle le Club est associé et qui prévoit des Workshops sur le brandcontent, le transmedia ou encore la TV connectée, un thème cher au Club.
La séance de ce jour sur les nouveaux formats poursuit l’objectif du Club de faire un état permanent de la création.
Il apparait important de traiter ce thème pour plusieurs raisons, d’abord parce qu’il permet de découvrir les nouvelles tendances en matière de programmes, ensuite car il soulève la notion de « format » et ce qu’il implique ; le modèle peine à se développer en France, car on oppose souvent format et création, en les opposant ; enfin parce que les industries de formats sont en pleine croissance sur le marché international.
Ce thème des nouveaux formats est donc un vrai sujet de réflexion et de mobilisation. Le Club s’y investit ; il a répondu à un appel à projets, piloté par la Caisse des Dépôts, en présentant un projet de dispositif de financement de la R&D dans le domaine des formats en particulier qui amplifie les moyens en amont de développement des formats. Comprenant notamment le financement de l’expérimentation dans la mesure ou le format repose sur un modèle économique basé sur sa déclinaison sur plusieurs marchés nationaux.
Amandine Cassi intervient en premier au nom de Eurodata Worldwide du groupe Médiamétrie, un des partenaires du Club, pour nous proposer une mise à jour des dernières tendances en matière de formats peu après la dernière édition du MIP TV de Cannes.
Elle souligne d’emblée que plusieurs pays sont en avance : les Pays Bas, le Royaume Uni et les Etats Unis notamment.
Quelques rappels de base d’abord. La durée d’écoute (en moyenne dans le monde entier) atteint 3h16. Force est de constater que la télévision se porte bien et ce en partie grâce à internet, une croissance qui se confirme également sur les marchés matures. Cette tendance est visible auprès des jeunes qui, s’il est vrai qu’ils regardent moins la télévision que leurs aînés, ont augmenté leur temps de visionnage.
Les programmes qui ont généré le plus d’audience sont les programmes de recherche de talents, The Voice est déjà présent dans le top 10 mondial. Amandine Cassi précise que la musique s’exporte facilement et que leur succès est dû en partie au fait que ce sont des programmes légers et non anxiogènes. On constate également que les déclinaisons de ces formats pour les enfants fonctionnent bien : The Kids Voice (Pays Bas 2012) sur RTL 4 a réunit 70% des plus jeunes devant leurs écrans.
L’autre pilier est l’amour / le dating show. Les programmes de rencontre du jeu au soap font recette. Les producteurs ont mis au point de nombreux projets : come date with me ou Barbie’s Buileft entre autres.
La scripted reality signe le renouveau de la télé réalité. Des codes narratifs empruntés à la fiction permettent d’aller au-delà du réel. Dans ce domaine, l’Allemagne est un pays précurseur
Amandine Cassi rappelle que les jeux restent de bons formats pour l’export car ils sont familiaux et universels. Dans cette catégorie deux programmes français se vendent bien à l’étranger : Fort Boyard et Intervilles. Remarquons toutefois que ces jeux ne sont pas les plus récents. Une des clés du succès d’un jeu est la possibilité pour le téléspectateur de pouvoir jouer en même temps que le candidat (play along). La mise au point de jeux et d’applications sur internet vient soutenir l’audience télé et renforce la stratégie de marque ainsi qu’un déploiement 360 du programme.
Philippe Chazal note que certains pays sont particulièrement créatifs notamment l’Europe du nord, Israël ou encore les Etats Unis. Il souligne, de plus, qu’on a souvent le sentiment que ces formats sont réservés à des chaînes privées alors qu’ils pourrait convenir à des chaînes publiques qui ont aussi un rôle à jouer sur le terrain de l’innovation, ce que nous verrons avec l’exemple de la BBC.
Lucille Heriard Dubreuil prend la parole et fait une présentation du groupe ITV en général et la filiale française en particulier.
Le groupe ITV est à la fois diffuseur et producteur. La création d’une filiale française témoigne de la volonté de renforcer la créativité et de promouvoir l’innovation en matière de formats sur le marché français. Elle nous précise que les chaînes ont tendance par sécurité à faire confiance à des marques qui ont déjà fonctionné sur d’autres marchés.
ITV Studios souhaite s’associer à des producteurs indépendants pour renforcer la créativité comme c’est le cas pour le programme Baby Boom. ITV a mis au point un jeu évènementiel Red or Black. ITV Studios France permet de plus de mettre en avant le catalogue d’ITV. En ce qui concerne le documentaire, ITV fait de la coproduction et pour la fiction, c’est l’adaptation de formats qui prime pour le moment.
La filiale française va directement pitcher des idées et les proposer à la maison mère et aux diffuseurs. Cette présence sur plusieurs pays permet de multiplier les talents et d’accroître la créativité. Lucille Heriard Dubreuil met l’accent sur la problématique du financement de la création et de la politique des diffuseurs.
Lionel Abbo ensuite prend la parole au nom de Shine France, lancée en 2009 sur le territoire national.
Le groupe Shine produit à la fois du flux et des fictions (Ugly betty, The Tudors). La volonté de Shine est de produire des contenus pas seulement audiovisuels ; il est en effet aujourd’hui important de produire dans le cadre d’un dispositif multisupport et de vendre une histoire la plus riche possible.
En outre, Lionel Abbo insiste sur le fait que Shine souhaite produire des programmes positifs à l’opposé de dispositifs d’humiliation et de critique négative. Voilà peut-être une des raisons du succès de The Voice.
Lionel Abbo aborde la problématique du deuxième écran et souligne que s’il est devenu incontournable, le deuxième écran doit avoir une vraie fonction : Qu’est ce qu’on raconte sur ce deuxième écran ? La question de la monétisation se pose également car Lionel Abbo rappelle que lorsqu’un programme est promu sur Facebook, le seul à ce jour à gagner de l’argent est Facebook justement. Cette stratégie permet en outre d’aller à la rencontre d’un public qui n’est plus celui qui regarde la télévision linéaire.
Le directeur du développement de Shine France en est convaincu : il faut travailler sur l’après coaching et s’interroger sur ce qui va succéder à ce type de programmes. Il pense que ce sont des programmes d’entraide qui émergeront où il n’y aura plus des coachs mais des personnes comme tout le monde.
Lionel Abbo se demande de quelle manière innover en matière de faits de société. Il prend l’exemple du programme Baby boom diffusé sur TF1. Ce programme a utilisé la technique de captation de la téléréalité, c’est à dire de multiples petites caméras finalement vite oubliées. Un dispositif inauguré dans une clinique qui peut être décliné dans d’autres lieux : un hôtel, une école ou un commissariat par exemple.
Pour clore son intervention, Lionel Abbo évoque le genre du « talent show » qui met en avant le mérite et le gratifie. Ce sont des programmes dans lesquels les individus vont au bout de leur passion pour changer de vie ou faire un choix. Il fait enfin une prédiction en annonçant aux membres du Club que le genre télévisuel qui succèdera à la cuisine sera la décoration.
Mathieu Bejot, directeur de TV France international, intervient et souligne la demande croissante de formats à travers le monde, un modèle qui se décline et s’exporte très facilement. Il explique que les programmes finis attirent moins car ils impliquent nécessairement une adaptation et donc un coût en R&D non négligeable.
Lionel Abbo présente le cas du nouveau groupe européen d’origine française Newen qui possède une stratégie intéressante ; Newen essaye en effet de créer un regroupement européen de producteurs qui rend possible l’échange de programmes et contourne la difficulté de financer en ordre dispersé des programmes nouveaux. L’arrivée en France, ces dernières années, de nombreuses filiales de groupes européens est assez symptomatique d’une nouvelle situation qui se crée.
Il faut rappeler que mettre à l’antenne de nouveaux programmes représente un risque pour les diffuseurs historiques et notamment les chaînes privées tributaires de l’audience. Pour les chaînes de la TNT, cela reste très rare car les projets sont lourds et difficiles à financer.
La discussion s’oriente ensuite sur la stratégie internet des programmes. Certains y voient un moyen d’accompagner le téléspectateur dans sa découverte du programme, de le fidéliser.
Il faut rappeler que ce sont les programmes liés à une interaction forte qui rencontrent le plus grand succès. La stratégie multimédia doit cependant s’appuyer sur des contenus inédits, des bonus, pour attirer l’internaute/téléspectateur.
Lucille Heriard Dubreuil souligne qu’il est important d’utiliser les différents écrans mais qu’il est indispensable de raconter des histoires sur ces différents écrans ce qui implique de trouver l’écriture complémentaire car le seul accompagnement marketing n’est plus suffisant.
Dans ce contexte, Philippe Chazal souligne que certains nouveaux formats peuvent également porter une mission de service public en se faisant le reflet de la mixité et de la diversité de la société.
Jean-Louis Blot prend la parole pour nous présenter le cas de la BBC qui adopte une stratégie de développement originale pour soutenir le tissu des producteurs.
La BBC investit en effet dans des sociétés indépendantes de flux et des sociétés de fiction. Il nous explique pourquoi le système anglais est peut-être plus créatif.
En France, on finance les œuvres en fonction de ce qu’elles sont et dans le cas du flux, le diffuseur prend seul le risque ; en effet le CNC accorde des aides pour le documentaire, pour la fiction mais pas pour le flux. En Angleterre, le financement se fait en fonction des producteurs, ce système favorise une concurrence et de fait une certaine émulation.
Jean-Louis Blot souligne que la télévision française a beaucoup de mal à innover mais la situation évolue et tous se rendent compte que le format est important ; des programmes feuilletonant comme Danse avec les stars ou Masterchef en sont une démonstration.
Le directeur de BBC France rappelle l’équation : le format est un produit industriel qui se décline sur un marché donné. Il est aujourd’hui complètement protéiforme ; c’est à dire qu’il peut être soit très codifié comme c’est le cas pour The Voice (chaque adaptation reprend l’ensemble des codes qui font le succès du format) soit très souple comme Roméo et Juliette (un programme qui nécessite une adaptation fine à la société).
Le marché restreint du format n’incite pas au développement. Un petit marché qui possède en outre un ticket d’entrée très cher car cela représente un investissement lourd même pour les groupes internationaux.
La stratégie de BBC France se déploie selon deux axes : le catalogue de formats et l’exploitation de marques. Il existe des standard éditoriaux qui sont pour les diffuseurs un repère et construisent un imaginaire chez le téléspectateur. Jean-Louis Blot est convaincu que certains formats dotés d’une écriture moderne pourraient convenir à France Télévisions notamment ceux qui mettent en exergue certaines questions de société ou bien ceux qui développent des thématiques culturelles. Une des spécificités de la télévision anglo-saxonne est de travailler sur les aspérités de la société, c’est le cas par exemple du programme Make Bradford british.
Il s’arrête un instant sur l’expérience du programme Roméo et Juliette produit par BBC France qui s’empare de cette problématique : comment parler du théâtre aux jeunes ? De quoi s’agit-il ? En France, deux lycées différents représentants les deux camps opposés dans la pièce ont été choisis. Ce projet requiert un système de production plus proche du documentaire que du flux : les enfants qui vont jouer la pièce sont filmés pendant une longue période de répétition, il y a in fine une captation de la pièce au théâtre de l’Odéon. Il s’agit donc d’un programme qui coûte très cher et qui n’est pourtant pas aidé.
Certains nouveaux formats sont cependant des échecs, l’émission Seriez-vous un bon président diffusée sur France 4 n’a pas attiré les téléspectateurs. Face à ce constat, Lionel Abbo s’interroge : Sont-ce les chaînes qui se montrent trop frileuses face à la nouveauté ou bien le public qui n’est pas intéressé ?
La tentative infructueuse de France 4 souligne deux choses. Tout d’abord, la maîtrise éditoriale du format et indispensable. Ensuite la notion de notoriété est aujourd’hui devenue incontournable : il faut donner une notoriété au programme avant sa diffusion.
La discussion en fin de séance porte sur la notion de droits d’auteur dans le cas des formats, un aspect qui diffère d’un pays à l’autre et qui pourrait être une raison du retard de la France en matière de formats.
Un membre fait remarquer que les pays de l’Europe du nord que nous désignons comme très créatifs en matière de nouveaux formats appliquent le copyright. En France la situation est paradoxale car le format ne donne pas prise au droit d’auteur. En règle générale, l’auteur est particulièrement protégé concernant les formats, ce qui explique qu’il a aussi peu d’intérêt à écrire pour des programmes de flux. La question du non soutien A l’adaptation de formats demeure.
En bilan de cette session, nous pouvons retenir trois éléments : la nécessité d’adapter le droit d’auteur, de trouver des moyens de financer la R&D et donc le développement en amont et enfin de construire un essaimage industriel autour des grands groupes.