Compte rendu de la séance du 15/09/2014
Le CSA, la création et les créateurs
Le Club Galilée accueille pour sa séance de rentrée le Président du CSA, monsieur Olivier Schrameck. Une table ronde centrée sur la création avec un panel d’auteurs et de producteurs de la jeune génération.
Philippe Chazal rappelle les grands rendez-vous du Club. Olivier Schrameck propose une introduction.
Le mot du Président
Le président Schrameck explique tout d’abord être sensible aux travaux du Club et du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, lieux d’échanges qui font avancer la réflexion sur le secteur de l’audiovisuel et du numérique.
Il annonce que le CSA organise le 2 octobre un séminaire intitulé « L’audiovisuel. Enjeu économique » qui offrira’occasion à l’ensemble des métiers de l’audiviosuel de débattre de leur enjeux communs, à partir de problématiques exposées par un panel d’intervenants experts..
Olivier Schrameck souligne l’importance économique de la production de flux, secteur représente aujourd’hui 1,5 milliards d’euros. Il relève également la diversité des programmes de flux et note leur dimension pluri-média croissante. Les interventions suivantes renforceront cet aspect.
Dans un deuxième temps, Olivier Schrameck a souhaité réfuter trois idées fausses sur le la régulation de l’audiovisuel :
- La régulation de l’audiovisuel ne s’arrête pas aux canaux de diffusion traditionnels, comme la diffusion hertzienne terrestre.
La régulation de l’audiovisuel s’applique à tout service ayant la qualité de service de communication audiovisuelle au sens de la loi de 1986, relative à la liberté de communication. Ainsi le CSA est compétent pour assurer la régulation des services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) que sont la Vod et la SVoD.
- Les éditeurs ne sont pas les seuls interlocuteurs du CSA.
En réalité, le Conseil est en relation avec l’ensemble de la chaîne de valeur, auteurs, producteurs, distributeurs, annonceurs, équipementiers.
- La régulation n’est pas un corset qui gênerait les efforts d’innovation et de diversification.
Elle est au contraire, une fonction d’incitation et d’accompagnement vers la prise de risques dans un environnement qu’il a pour mission de rendre lisible et fertile pour le secteur. La vocation de la règlementation est d’être générale et durable. La régulation, quant à elle, s’adapte en continue aux évolutions du secteur de manière souple et interactive. Pour cela, elle privilégie le cas par cas et le dialogue.
Olivier Schrameck souhaite organiser la transition de la réglementation vers la régulation. Ainsi, la loi de 1986 s’est éloignée du secteur tel qu’il est configuré aujourd’hui. Selon le président, si on veut un secteur symbole de croissance et de création, il faut faire preuve d’imagination. La régulation doit être au service de cet enjeu. Un secteur régulé puissant a besoin d’un régulateur puissant.
Après cette introduction, Philippe Chazal rappelle qu’il avait proposé à chaque intervenant trois points à développer dans son intervention : d’une part présenter son programme de rentrée ; d’autre part présenter un programme de rentrée qui l’a particulièrement intéressé et enfin proposer une réflexion d’ordre général concernant la création et l’innovation.
Lionel Abbo prend la parole au nom du groupe Shine, de la filiale française. Shine France, c’est du divertissement mais aussi de la fiction notamment avec « Broadchurch » sur France 2 et « Tunnel » sur Canal+.
Il explique que Shine a décidé il y a quelques mois de se lancer dans la création et plus seulement dans l’adaptation de formats. Les résultats seront bientôt visibles à l’antenne. Sur France Télévisions, avec le programme « Prodiges, » un concours de talents mais aussi « Mon food truck à la clé » qui proposera à des personnes de lancer leur food truck ; au programme un road trip culinaire autour de la France.
Le cercle vertueux de la création
Lionel Abbo déplore qu’il n’y ait pas suffisamment de cases pour la création de flux français. On dénombre seulement quelques créations mais elles sont rares. La dernière en date, c’est le programme d’Arthur « Vendredi tout est permis » qui a été vendu dans 30 pays. Suffisamment rare pour être souligné, fait remarquer Lionel Abbo. Un succès qui permet à la société de l’animateur de produire d’autres créations parfois difficiles d’accès. Voilà le cercle vertueux à mettre en place.
Ajoutons que « vendredi tout est permis » vient d’être récompensé dans le cadre des journées de TVFI en gagnant le prix « export format » qui a été créé cette année.
La deuxième partie de soirée : terrain d’expérimentation ?
Si les chaînes commerciales essayent de « minimiser » les risques, le rôle des producteurs est aussi de s’intéresser à d’autres cases de diffusion moins exposées, qui peuvent être terrain d’expérimentation (la seconde partie de soirée, le weekend).
France Télévisions a un rôle capital à jouer dans la création et la créativité. Pour Lionel Abbo, le service public se doit de promouvoir une grande variété de producteurs, de formats, d’innovations de créations, d’auteurs. C’est à lui de prendre des risques sur un marché réputé frileux.
Lionel Abbo évoque également la technologie numérique dans les programmes qui permet d’enrichir les programmes et créer de nouvelles opportunités d’expériences pour le téléspectateur. C’est aussi parier sur de nouveaux talents.
C’est une philosophie adoptée par le groupe Shine qui tient à se définir comme un producteur de contenus, de tous les contenus et pas seulement de flux et pour tous les écrans.
Philippe Chazal souligne l’importance de l’attractivité de notre marché national dans les démarches d’innovation.
Il passe ensuite la parole à Antonin Ehrenberg, ancien producteur chez Lagardère Entertainment aujourd’hui à la tête de sa propre structure.
Itinéraire d’un jeune producteur
Antonin Ehrenberg raconte qu’entre Lagardère et sa jeune structure Patafilm, il a changé d’échelle. Auprès de Takis Candilis et sur les Borgia, il a engrangé de l’expérience, travaillé sur le terrain, rencontré les auteurs.
Avec Adrien Cousin, un ami scénariste, il tente l’aventure et fonde Patafilm. Il nous raconte ses premiers mois de jeune entrepreneur.
En juin 2013, il obtient un financement du CNC et de la SACD pour financer le pilote de son projet de création. Une bonne nouvelle qui coïncide parfaitement avec le calendrier d’Arte qui lance au même moment un appel à projet pour une fiction humoristique (format 1 à 3’). Le projet est alors sélectionné pour entrer en convention de développement avec Arte.
Il s’agit d’un film en stock motion, ou comment faire parler des objets inertes image par image. Un dispositif bimédia qui intègre le numérique dans un accompagnement marketing du programme antenne.
Antonin Ehrenberg l’annonce : si les retours sont positifs, la narration sera peut-être enrichie sur le digital. Cependant il concède que c’est un métier à part, et pour lequel il faut s’entourer.
En conclusion, Antonin Ehrenberg souhaite donner un coup de projecteur à la fiction de Bruno Dumont « P’ti Quinquin » diffusé sur Arte, qui, selon lui, correspond à une idée de la convergence des écritures et des univers entre cinéma et télévision.
En réaction, Philippe Chazal insiste sur l’importance des appels à projets des diffuseurs, de véritables opportunités de création et de découvertes de nouveaux talents.
Alexandre Brachet s’exprime au nom d’Upian, société qu’il a fondée en 1998 au statut hybride mi audiovisuel mi numérique ; avec un effectif réparti entre producteurs et webdesigners.
Upian intervient dans le champ du documentaire, peu importe le média, peu importe le support. Il faut faire en sorte que les histoires soient vraies, résume-t-il.
Flash-back en 2002, lorsqu’avec le CNC, il s’interroge sur internet : ne serait-ce pas le lieu pour raconter des histoires ?
A ce sujet, Philippe Chazal ajoute qu’Alexandre Brachet est sans doute un des créateurs du Web Cosip.
Fédérer les acteurs internationaux
Il évoque le projet « Do not track », coproduction internationale, sur les conséquences de toutes les traces que nous (nous, grand public) laissons sur internet. Un projet narratif mais aussi didactique avec une volonté de vulgariser. L’ensemble des diffuseurs publics internationaux ont été intéressés par le projet.
Voilà un thème parmi des thèmes qui peuvent fédérer des acteurs de l’audiovisuel autour d’un projet nativement web. Une bonne nouvelle en somme. Alexandre Brachet souligne que c’est très difficile d’accorder des statuts hétérogènes. « Quand on innove, on est capable de définir l’innovation seulement à posteriori. Cela demande un renouvellement permanent ».
Deuxième projet qui sera visible en novembre : « L’amour en cité ». Il n’y a pas de volet internet, une grande première pour Upian. Notons que France 4 laisse une place pour tester des écritures nouvelles, à l’antenne ou sur le web.
Alexandre Brachet s’interroge : pourquoi ne pas avoir droit au crédit d‘impôt ? Quels critères en termes d’éligibilité ? Il souligne que tout ce qui est interaction comme le programme « Génération quoi » ne rentre pas dans le cadre du Web Cosip. Ce qui semble regrettable.
Netflix : une aubaine
« Je ne suis pas comme le patron de Netflix, je ne pense pas que la télévision va disparaître ». Alexandre Brachet estime en plus que l’arrivée de Netflix en France est une opportunité formidable car c’est l’occasion pour les chaînes de cesser de vouloir s’adapter à internet et enfin d’innover.
Il ajoute qu’nternet et service public sont des mots qui vont bien ensemble.
Philippe Chazal rebondit sur le crédit d’impôt et rappelle l’importance d’élargir le crédit d’impôt recherche et innovation au secteur de l’audiovisuel ; un dossier important dans le cadre de l’ »incubateur » en construction, la Fabrique des Formats. Un dispositif qui jusqu’à présent ne se soucie pas de l’innovation immatérielle. Ce sont pourtant des dispositifs massifs qui sortiraient le secteur d’un certain isolationnisme et lui permettraient de se développer sur les marchés national et international en finançant mieux l’innovation.
Julien Aubert poursuit le fil de la discussion et présente sa société Bigger than fiction spécialiste des contenus numériques de marketing TV. Leur mission : engager le public de la télévision sur le web dans des expériences innovantes.
Prolonger l’expérience narrative
L’équipe de Bigger Than Fiction a notamment collaboré avec le producteur audiovisuel sur le documentaire « Made in France ». Pour l’occasion, ils ont imaginé un moteur de recherche 100% made in France.
Bigger Than Fiction a également accompagné l’expérience « Tokyo Reverse », slow tv pendant 9h, en proposant un live tweet de l’évènement.
Autre projet, autre dispositif avec « Cut », série diffusée sur France O ; pour cette fiction les équipes de Bigger than fiction ont développé une expérience social TV complète : une narration second écran accompagne chaque jour la diffusion de l’épisode.
Ainsi Jules, le personnage central, a la parole sur le web. Comme les jeunes de son âge, il s’exprime sur Facebook. Jules sert de lien entre télévision et web.
Selon Julien Aubert, cela permet une expérience plus complète de la fiction. Sur le digital, Jules a une réelle liberté de ton. Il rappelle les règles du web : authenticité et proximité avec le public.
Une collaboration qui se renouvelle pour la saison 2 ; on pourra désormais entrer dans le téléphone de Jules. Leur concurrent direct n’est autre que Plus belle la vie.
Depuis le 1er septembre, a été lancé le site looser.com, un produit pensé par France Télévisions, un lieu inédit sur lequel les déçus de l’amour peuvent raconter leur histoire. Le site est mentionné dans les épisodes, il devient ainsi un personnage de la fiction.
Julien Aubert résume : on fait de la circulation d’audience. L’idée est de proposer une expérience en continu afin que la série ne s’arrête jamais. Parler du web dans la fiction, ni avant ni après, mais l’intégrer au contenu éditorial et permettre ainsi le prolongement de la narration.
Philippe Chazal souligne le travail permanent de circulation entre les deux univers.
Le Club accueille ensuite Lorenzo Benedetti, le fondateur de Studio Bagel. Il explique qu’il a créé une chaîne Youtube grâce à un financement de Youtube – 500 000 euros versés par Google. Au départ, c’est une équipe avec des auteurs, des réalisateurs et le défi de faire une saison de programmes. Pour cela, il a fallu se professionnaliser et augmenter la qualité.
MCN : surface média inédite et espace de création sans limite
Il y avait d’abord l’écosystème pour financer la création différemment. Lorenzo Benedetti a ensuite décidé de créer un espace, un MCN pour unir la surface média occupée par les créations nouvelles et ainsi attirer les annonceurs. C’est aussi le lieu de projets plus personnels.
Un modèle qui a plu à Canal+. Pour plusieurs raisons :
- Un accès à un vivier de talents nouveaux
- Un modèle qui pèse en termes de surface média et donc de recettes publicitaires
- Une logique de mécénat des marques (qui permet d’accéder à des sources nouvelles de financement en se respectant mutuellement y compris la liberté de création des talents)
Dans un contexte concurrentiel, Canal+ a assuré de laisser une grande liberté et de respecter les talents. Un deal qui a convaincu le fondateur de Studio Bagel.
Aujourd’hui on retrouve d’ailleurs des talents à l’antenne à des postes différents. A nouveau, une logique de circulation.
Brandcontent vs subventions
Lorenzo Benedetti explique qu’internet a permis de développer des talents en toute sécurité, à la différence de la télévision au rythme soutenu qui peut parfois s’avérer impitoyable, on a moins le temps de faire ses preuves et la concurrence est féroce.
Lorenzo Benedetti résume de manière volontairement provocatrice : il existe deux catégories de production : la télévision (qui reçoit des aides), le web (qui n’est pas financé). Il regrette que Studio Bagel soit considéré comme un SMAD avec les inconvénients sans les avantages.
Il ajoute qu’il y a un travail d’échanges à mettre en place pour des économies de production. Et de nouveaux modèles de financement dont il faut favoriser l’émergence et le développement.
Dans cette perspective, son équipe a mis au point du brandcontent, une solution pour pallier le manque de subvention.
Philippe Chazal met l’accent sur ces lieux – pas si nombreux – où l’on accueille les nouveaux talents comme de nouvelles « factory » du XXI siècle.
Harry Tordjman, fondateur de My Box Productions, fait le point sur ses nouveaux projets. Après le succès de « Bref », il y a eu un nécessaire temps de pause consacré au développement.
Focus sur ce qui nous attend.
A la recherche des jeunes créateurs
Un projet de programme court : une série courte d’animation qui peut se voir comme un long métrage avec une narration spécifique. Les créateurs sont ceux de « En passant pécho ». Pour ce projet, il fallait trouver un vrai talent d’écriture ce qui nécessite un travail de veille sur ce type de profils.
Second chantier : un projet de fiction (10x52 minutes) avec un des scénaristes des « Revenants », une coproduction américaine avec un showrunner américain.
Harry Tordjman explique qu’il préfère développer les choses librement avant de les proposer à un diffuseur afin de ne pas se poser de contraintes.
Troisième développement : l’adaptation de « Bref » au cinéma. Avec comme interrogation : le passage au format long. Qu’est-ce que cela implique en termes d’écriture ?
Enfin, il souhaite mettre en avant trois projets innovants : au cinéma, à la télévision et sur internet. « Lego » pour le cinéma, un film très gros budget avec cependant une grande liberté de ton. « Silicon Valley » pour la télévision, critique acerbe avec pour héros des loosers de la Sillicon Valley. Et sur internet, un projet de Golden Moustache « le fantôme de merde », un format de 24’ tourné en 3 jours mais avec une narration intelligente.
Harry Tordjman souhaiterait qu’on puisse donner à ces créatifs autant de moyens que dans les pays anglo-saxons.
En conclusion, il évoque l’école et l’éducation des enfants. Pourquoi ne pas apprendre à faire des erreurs dès le plus jeune âge ? Ou comment atténuer la peur d’être noté en encourageant l’erreur.
Une philosophie à adopter : se tromper pour avancer. Harry Tordjman pense qu’il serait bon de favoriser la création dès le début de l’existence.
Les marques d’une nouvelle génération hybride
En conclusion, Olivier Schrameck souligne que cette séance illustre le changement générationnel à l’œuvre dans l’audiovisuel, marqué par le dépassement de la distinction entre web et audiovisuel. Dans tous les projets présentés en effet, on a pu voir que la porosité des deux univers était grande. Dans cette perspective, l’avenir réside dans la construction de ponts, notamment quand il s’agit d’écriture et de narration.
Le Président le rappelle : le CSA est là pour favoriser la liberté d’expression et de communication quel que soit le canal utilisé. L’hybridation encourage la création. On le constate tous les jours ; et les créations présentées en témoignent.
La régulation doit s’adapter aux besoins de la nouvelle génération.
Dans ce but, la CSA a porté la création d’un réseau des régulateurs des médias de l’Union européenne, dont l’un des objets majeurs est de contribuer, notamment en préparant la réforme de la législation européenne (Directive SMA notamment) à la définition d’un espace européen propice au développement et au rayonnement de la création audiovisuelle.
Plus largement, Olivier Schrameck explique que le CSA a besoin de développer une compréhension élargie des métiers de l’audiovisuel et du numérique et de leurs mutations. L’évaluation, les études d’impact, les analyses de marchés permettront de dégager des orientations nouvelles pour le secteur. Elles l’aiderontà relever les multiples enjeux de l’audiovisuel du 21ème siècle mais aussi et à surmonter les éventuels conflits, car le CSA est aussi un médiateur et un conciliateur.
Enfin, le Président Schrameck relève que deux mots auront été beaucoup employés par les membres du panel : créateurs et talents. Deux mots au pluriel pour qualifier le cœur de l’audiovisuel et une filière qui attire les nouvelles générations. Un phénomène encourageant en adéquation avec le message porté par le club.