Industries des formats – Séance du 22/10/2012
Panel:
Lionel ABBO - Shine France
Gérald BIGLE - avocat
Jean-Louis BLOT - BBC France
Amandine CASSI - Mediametrie Eurodata
Emmanuel PRIOU - Bonne pioche
Harry TORDJMAN - My box productions
Problématique :
La séance d’aujourd’hui va porter sur le thème de « l’Industrie des Formats ». C’est une étape supplémentaire dans le travail du Club qui s’intéresse à la fois au caractère industriel du secteur et d’autre part à la création de nouveaux contenus et services.
Rappelons ce qu’est un « format » : un concept audiovisuel défini dans toutes ses dimensions qui peut être moyennant un travail complémentaire d’adaptation reproductible sur différents marchés.
La notion de « formats » s’applique certes au divertissement et aux magazines mais aussi aux documentaires et aux fictions.
Nous savons que le marché des « formats » connaît une croissance forte. C’est une industrie de plus en plus puissante. Des pays européens comme la Grande Bretagne, les Pays Bas et l’Europe du Nord ont développé une création et une production de « formats » très puissante.
Au contraire de la France qui reste en retrait et en retard sur ce type de programmes. Au point d’avoir en ce domaine une balance commerciale très déficitaire.
Bâtir une industrie des « formats » dans notre pays à coté de la création d’œuvres audiovisuelles et de la production de programmes de « flux » peut constituer un objectif à partager.
C’est à cet objectif que le Club Galilée se propose de travailler.
Il s’agit bien entendu de donner la parole à ceux qui ont pris de l’avance dans ce domaine. Soit qu’ils appartiennent à un groupe audiovisuel européen qui a déjà constitué un catalogue de « formats » ; soit qu’ils ont déjà une expérience en cette matière pour avoir créé et exporté des « formats ».
Voilà donc de l’expérience et du savoir-faire rares en France qui faudra capitaliser et diffuser si l’on veut mettre en place une industrie.
Qui dit « formats » dit marque-programme et donc politique de marketing et de communication, notamment sur les nouveaux réseaux particulièrement développée. Et donc des investissements d’une ampleur nouvelle.
Qui dit « formats » dit aussi démarche juridique à la fois plus sophistiquée et lourde afin de protéger et de pouvoir exploiter les « brevets » que sont les « formats ».
Bâtir une nouvelle filière de création et de production audiovisuelle est un enjeu économique, industriel, professionnel, social et politique très important. Surtout en temps de crise.
Le Club Galilée parallèlement aux séances, a travaillé sur cette perspective avec l’aide et le soutien d’un grand nombre de ses membres représentant toutes les parties prenantes.
Aujourd’hui avec le soutien financier en particulier de la DGCIS des Ministères des Finances et de l’Industrie, le Club Galilée au nom de tous, porte le projet d’un « Fablab en R&D Audiovisuelle et Numérique » dédié en particulier aux « formats » dont la phase de développement est encouragée par les Ministères précités.
Le projet va faire l’objet d’une présentation plus complète dans le cadre de cette séance.
Compte rendu :
Philippe Chazal débute la séance avec quelques mots sur la dernière table ronde qui était consacrée aux médias face à la crise. A cette occasion, Pascal Josèphe rappelait qu’il était primordial de mettre en place des dispositifs de R&D. La séance de ce jour est dédiée à l’industrie des formats. Rappelons tout d’abord qu’un format a pour objectif de s’installer sur plusieurs marchés, qu’il est adapté en fonction du diffuseur.
La parole est donnée en premier lieu à Amandine Cassi qui nous présente quelques jours seulement après le MIP COM les dernières tendances en matière de formats dans la catégorie divertissement.
Elle l’annonce : 2012 est une année record en terme de consommation télévisuelle avec deux événements majeurs que sont l’Euro et les JO. En effet la cérémonie de clôture des JO représente une des meilleures audiences. En plus du sport, nous avions des grandes marques telles que The Voice, l’amour est dans le pré, Les Enfoirés qui ont réalisé de fortes audiences. Amandine Cassi note que la consommation est en hausse, et cela est dû à la mesure et aux nouveaux usages. On peut toutefois noter une baisse marquée chez les jeunes qui regardent la télé différemment, c’est-à-dire sur différents supports, différents écrans. Cela favorise le multitasking plus propice aux programmes de flux. Amandine Cassi relève ce chiffre : 51% des internautes utilisent internet en regardant la télévision. Les réseaux sociaux sont au cœur de la social tv.
2012 fut une année à forte valeur positive qui promouvait une télévision constructive faite d’entraide et de solidarité. Un des piliers reste la recherche de talents, très prochainement nous pourrons voir sur M6 le meilleur pâtissier. Amandine Cassi nous présente d’autres programmes étrangers tels que Opening act où le gagnant est annoncé au début, Mum of the year ou encore beat the best.
Elle souligne qu’en temps de crise, nous avons besoin de programmes rassurants et légers. Ce qui explique la tendance des programmes à proposer du lien social. Le grand programme qui arrivera sur TF1 est l’adaptation du format d’ITV : The audience. Dans ce format, des personnes sont confrontées à une situation, ils ont une décision à prendre. Autre programme, Nus et culottés réalise de belles audiences sur France 5. L’émission se base sur la générosité des gens qu’ils vont rencontrer.
Philippe Chazal souligne que ce sont toujours les mêmes pays qui se montrent innovants en matière de format à savoir la Grande Bretagne, l’Europe du Nord, Israël.
Il existe également des formats dits remèdes anti-crises qui proposent des trucs et astuces qui marchent pour dépenser moins et vivre mieux. Par exemple : Hotel GB regroupe les coachs de la chaîne qui devront lancer un hôtel.
Une autre valeur sûre en matière de format se manifeste par la présence de célébrités. Celebrity splash entraîne des célébrités à faire des plongeons artistiques. Dans un autre registre plus polémique : Drugs live dans lequel les stars testent l’extasy et commentent ce qu’ils ressentent.
En conclusion, Amandine Cassi annonce que Nota organisera une conférence le 12 décembre, ce sera l’occasion de revenir sur les hits de la rentrée et les formats à venir.
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Lionel Abbo prend ensuite la parole au nom de Shine France, la filiale du groupe anglais dont il est le directeur du développement. Il donne en premier lieu sa définition du format en précisant qu’il possède des avantages certains : il permet d’avoir une bible, des images à montrer aux diffuseurs et des audiences qui rassurent. Pour lui, le format aujourd’hui est une marque et l’on va tout de suite considérer ce que cela engendre en termes de produits dérivés, de communauté sur facebook et twitter qui peut être mobilisée.
En fin de compte, c’est le diffuseur qui prend la décision et souhaite proposer aux spectateurs une multiplicité des usages. Pour cela, il y a un fort intérêt à avoir les formats les plus forts. Dans ce contexte, chaque producteur essaye de récupérer les meilleurs formats. Se livre alors une véritable bataille entre les acteurs de la production.
Lionel Abbo souligne qu’il existe une concentration chez les producteurs ce qui induit que peu de producteurs détiennent beaucoup de formats : Fremantle, Endemol, Shine, ALP, Banijay sont en effet les principaux. Channel 4 fait le pari de la création. Parce qu’il y a une guerre des formats, comment fait-on pour proposer des formats qui partent de zéro ? s’interroge Lionel Abbo. Il précise également que le marché français est un marché latent où il est nécessaire d’assoir sa crédibilité de producteur ce qui peut rendre les choses plus compliquées au début.
Chez Shine, on propose soit des formats papier (qui ne sont pas encore diffusés) soit des créations / adaptations car pour qu’un format ait du sens sur le territoire français, beaucoup de changements doivent être apportés, en effet adapter un programme comme Masterchef en France, pays de la gastronomie nécessite des ajustements.
Lionel Abbo rappelle que la question de la création est vitale car il y a un problème de formats. Est-ce une bataille pour des produits made in France ou des programmes qui pourront voyager dans le monde entier ? Quelle finalité à la création ?
En guise de transition, Philippe Chazal met l’accent sur l’effort qui doit être fourni dans le développement de formats, car le tissu des producteurs a pris du retard.
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Harry Tordjman nous présente ensuite son travail de producteur au sein de la société qu’il a créé My box productions.
Il est à l’origine de la mini-série Bref qui remporta un grand succès sur Canal+. Il nous explique qu’il produit de la fiction et qu’il produisait tout sauf des formats. En effet, son objectif est de produire une œuvre audiovisuelle originale qui par la suite seulement devient un format. C'est-à-dire que la notion de format n’est pas élaborée en amont mais qu’elle découle de l’œuvre.
En ce qui concerne Bref, le programme sera adapté au Canada, il y a aussi une option pour l’Italie et l’Espagne. Si Bref n’a pas été conçu comme un format déclinable et adaptable à d’autres marché, il connaît pourtant aujourd’hui un beau succès à l’international.
Dans ce contexte, Harry Tordjman raconte qu’il a fallu créer une bible à posteriori et trouver les spécificités de l’œuvre à posteriori également. Dans ce cas précis, le format rattrape la création. Mais Bref avait déjà des enjeux au départ en termes de conception et de protection.
L’exemple de la série Bref est intéressant car il montre que le format permet à l’œuvre de se développer sur d’autres marchés, de connaître d’autres vies.
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Maître Bigle prend ensuite la parole et nous présente plusieurs aspects de la protection juridique des formats. Il commence son intervention en annonçant qu’il n’existe pas de définition légale du format en France. Le format est à l’origine une notion informatique. Le CNCL par exemple parlait de format à propos des radios. Aux Etats Unis, on a lancé la notion de format qui permettait alors de qualifier un programme selon la durée, le type d’émission.
Aujourd’hui, il existe un accord entre l’USPA et la Guilde dans lequel sont explicités certains éléments du format qui le composent tels que le synopsis, la bible. Il faut en plus un cahier des charges avec à l’intérieur un contrat de licence des formats. Selon le code de la propriété intellectuelle, l’expression de l’idée peut dans certains cas être protégée, entre alors en jeu la notion d’activité créatrice de l’auteur.
Sur ce thème, la jurisprudence reste assez incertaine. Le format n’est pas une œuvre audiovisuelle susceptible de donner prise au droit d’auteur. Mais le programme peut-il l’être ? Maître Bigle rappelle que dans un premier temps il est possible de protéger le titre. Il parle alors d’un entonnoir de projets non protégeables.
Selon lui, il faut faire la distinction entre le cadre et le contenu des formats, un contenu qui peut être protégeable s’il dépasse le cadre de l’idée.
Maître Bigle cite pour illustrer son propos la dernière jurisprudence en date. Le procès entre Endemol et Alexia Laroche Joubert productions (ALJ). Dans cette affaire, Endemol se présente comme propriétaire de format et selon eux ALJ reprend avec Dilemme les caractéristiques de ses formats. En outre, ALJ a employé des prestataires et salariés qui avaient travaillé sur des formats d’Endemol. Pour ces raisons, le tribunal parle d’imitation et condamne ALJ à verser des indemnités.
Cependant, le 12/09/2012, la Cour d’appel renverse la décision et avance comme élément que ALJ n’était pas lié d’une clause de non concurrence et que ce qu’Endemol décrit comme étant les caractéristiques de ses formats ne seraient en fait que les spécificités communes à toutes les télé réalités d’enfermement. Quant aux anciens salariés, ils ont été sollicités pour leurs savoir faire et ils étaient totalement libres d’exercer de nouvelles fonctions. La Cour dit qu’il n’y a pas de phénomène d’appropriation ni de parasitisme. Endemol doit rembourser ALJ.
Concernant la protection des formats, voici selon Maître Bigle ce qu’il faut mettre en œuvre. Il faut une stratégie juridique de l’exploitation des formats avec par exemple une présentation du format dans une pré-négociation au cours de laquelle il est important de mettre au point une lettre de confort. Dans ce cas, on pré-contractualise le format, la protection est véhiculée par le contrat. Ainsi, si quelqu’un vole le format, il s’agit d’une violation de contrat qui tombe dans le droit commun.
Quel avenir institutionnel des formats ? Maître Bigle remarque que les formats sont aujourd’hui de plus en plus transmedia. Dans ce contexte, protéger le format par un logiciel peut être une piste. Autre solution : créer un registre international des formats tel que le FRAPA où l’on peut déposer électroniquement des formats. Le FRAPA est aussi générateur de contrat et générateur de bible.
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Emmanuel Priou nous présente son expérience en tant que producteur au sein de Bonne pioche. Plusieurs de ses programmes sont à la croisée de différents chemins. J’irai dormir chez vous a connu plusieurs développements : 5 ou 6 saisons, un film au cinéma, des produits dérivés. L’idée d’Antoine de Maximy était de raconter ses rencontres en étant le plus naturel possible car le tournage n’est pas le reflet de la réalité. La spécificité du programme vient d’un dispositif technique ingénieux qui permet alors de se rapprocher le plus possible de la vérité d’une rencontre.
Emmanuel Prou revient aussi sur le phénomène de Rendez-vous en terre inconnue. Selon lui ce programme est un paradoxe : il y a clairement un format mais qui est invendable. En effet, on ne peut pas vendre la bible car de fait chaque expérience est unique. Si l’on souhaite respecter l’éthique du programme, il ne peut être reproduit.
Nus et culottés montre deux jeunes ingénieurs issus de la jeune génération qui a compris l’importance des questions écologiques et qui souhaitent l’appliquer. Nus, ils traversent des paysages et font des rencontres, des personnes qui les aident dans leur périple. On note que l’émission possède un grand nombre de fans sur facebook car le fond du programme touche les gens.
Il y a deux semaines, France 2 diffusait Ta mère en 6ème ou comment faire partager aux parents le rythme de vie de leurs enfants. Emmanuel Priou rejoint ce que disait Harry Tordjman et explique que chez Bonne pioche on part du fond et quelques fois on arrive au format. La société vient d’acheter Making Australia happy qui sera adapté et diffusé sur M6 sous le titre de J’ai décidé d’être heureux. Erigeant en valeurs les préceptes de la science du bonheur, le programme surfe sur la tendance de la feel good tv qui cherche le bon côté des gens.
En conclusion, Emmanuel Priou ajoute que c’est aussi une question de terminologie : dans le milieu le format serait presque un gros mot alors que, dans le documentaire, on parle depuis longtemps de dispositif. Pour les diffuseurs, il y a une question de marque, de rendez-vous qui devient fondamentale. Dès le pilote on tente d’instaurer un vrai style qui permet aussi de préparer en amont le branding qui ne gêne pas le contenu. La chemise rouge d’Antoine de Maximy par exemple fut un bon point de repère pour les téléspectateurs.
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Jean-Louis Blot prend la parole en dernier et nous expose le cas de la BBC qui fait figure d’exemple en matière de formats et de R&D. Pour lui la notion de format dépend avant tout du diffuseur. Plus on est en période de crise, moins il y a d’argent et plus la notion de format est large. Pour le diffuseur, cela signifie en effet acheter une bible, un savoir faire et l’assurance que le programme a marché ailleurs. Cela est un vrai atout pour les sociétés internationales.
Jean-Louis Blot nous donne quelques exemples de formats innovants. Tout d’abord Antiques roadshow qui est en réalité un format ancien : la personne trouve une antiquité dans son grenier et se rend compte que l’objet est de grande valeur.
Jean-Louis Blot évoque aussi les nouvelles écritures avec la scripted reality. Chez BBC, on parle de structured reality annonce-t-il. Breaking pointe sera diffusé sur CW aux Etats Unis. L’idée est de raconter différemment quelque chose qu’on a déjà vu. Autre programme produit par Oprah Winfrey : Lovetown. La ville est placée pendant 30 jours sous le signe de l’amour.
Comment parler de la culture en faisant un format ? Dans les pays anglo-saxons, la culture est appréhendée par l’expérience. Par exemple, dans l’émission Maestro, on apprend à devenir chef d’orchestre.
Quand on achète un format, on achète un fond d’image. C’est le cas par exemple de Stargazing live diffusé sur BBC 2.
Le format aujourd’hui est protéiforme, il peut prendre des allures différentes. Le format rassure le diffuseur. Jean-Louis Blot souligne que les marchés de programmes finis et de formats deviennent concomitants.
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Philippe Chazal note que la création de format est enjeu en France. La séance s’achève sur une série de questions. Nicolas Gesner, membre de l’ARPP considère qu’il faut simplifier le problème du droit d’auteur pour protéger les formats. Ainsi lorsqu’il y a un auteur le droit d’auteur s’applique. Il avertit sur le fait qu’il ne faut pas mélanger la création et l’adaptation. Les diffuseurs sont prêts à mieux payer pour une marque forte qu’une création. On constate une tendance lourde en ce qui concerne les formats de fiction. Cela requiert une adaptation locale et international, donc un double enjeu. Pour Olivier Zegna Rata, le format est avant tout une chance d’accéder à la diversité culturelle en s’y adaptant et ainsi de toucher chaque culture dans sa spécificité, dans les apports propres qu’elle fait aux programmes.
Le 26 novembre prochain, le Club Galilée consacrera une séance à la formation en réunissant autour de la table les dirigeants des principales filières qui préparent au secteur