Cette session associe Satellinet, publication hebdomadaire dédiée au web et à ases acteurs, avec une introduction d'un de nos partenaires Mediametrie qui nous présente les premiers éléments d'une étude sectorielle sur l'information.
La séance débute par un rappel de Philippe Chazal à propos des missions du Club Galilée.
Trois axes de travail : les questions d'actualité comme les séances sur la télévision connectée dont la dernière a inauguré la nouvelle saison du Club en septembre, les entreprises et les emplois avec notamment l'atelier sur les actifs immatériels.
Enfin troisième axe, celui des contenus dans le cadre duquel s'inscrit la séance d'aujourd'hui consacrée aux nouvelles formes d'information avec la révolution du Net.
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Natalie Bevan fait une introduction au nom de notre partenaire Médiametrie et présente les tendances en matière de consommation de l'information.
Avec 3h40 de consommation quotidienne, la télévision reste le média le plus présent chez les Français. Ces derniers consacrent en moyenne 1h10 de leur temps au surf sur internet, une durée qui varie largement selon les générations. Les actualités de cette année 2011 ont généré une grande augmentation de la consommation médiatique. Les formats historiques de l'information ont connu de très bonnes audiences mais il faut aussi compter sur les chaînes d'information qui ont fortement progressé et réalisé de véritables performances sur cette période.
Natalie Bevan précise aussi qu'un événement chasse l'autre, la consommation à chaud de l'information détermine cet agenda. Il existe autant de formats d'actualité consommés que d'individus. On constate de plus un croisement entre génération et forme télévisuelle d'information. Aujourd'hui la présence de l'actualité se retrouve dans tous les contenus et revêt des formes telles que le journal télévisé, le magazine ou encore l'infotainment.
A titre de transition, on peut interroger les autres membres du panel sur les succès qui ont marqué leur média d'information depuis le début d'année.
Mediapart a constaté un afflux d'audience suite à l'affaire DSK combiné à une hausse significative des abonnements. Pour Slate, les deux événements majeurs sont Fukushima et l'affaire DSK qui ont apporté jusqu'à 600 000 voire 700 000 visiteurs uniques. Lefigaro.fr a comptabilisé 8 millions de visiteurs uniques sur le mois de mai ; le site a atteint un pic d'audience qui ne redescend PAS complètement à son niveau initial. Pour cette raison, il faut être le premier à sortir l'information. Rue 89 a noté le développement du liveblogging comme manière de traiter l'information à chaud, le consommateur reçoit alors une information quasiment en direct et instantanée. Pour AfrikTV l'évènement le plus fort générateur d'audience a été logiquement le Printemps arabe.
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Laurent Mauriac prend la parole au nom de Rue 89, un site d'information qui à vu le jour il y a presque cinq ans. Il s'agit d'un site d'information participatif qui promeut une information à trois voix : le journaliste, l'expert et l'internaute.
Laurent Mauriac présente un rapide panorama des nouveaux formats d'information sur le net s'interrogeant sur la question du traitement de l'information chaude.
Selon lui la participation des lecteurs et des experts est avant tout source d'enrichissement, car elle apporte une expérience et un autre point de vue que celui du journalisme. Laurent Mauriac montre des exemples tout en les explicitant.
Le datajournalisme ou journalisme de données est technique innovante de production de l'information. Le liveblogging s'est considérablement développé notamment avec l'affaire DSK. Dans ce contexte, le journaliste pourrait se contenter du fil d'actualité de Twitter mais Laurent Mauriac souligne qu'il est important d'accompagner le liveblogging d'une synthèse de l'information qui constitue un premier niveau de lecture.
Il est primordial de penser la production de l'information à partir du web, il ne s'agit plus ainsi aujourd'hui de penser à une transposition du journal papier sur le nouveau support qu'est internet. Ce travail implique une part importante de création spécifique. Les blogs d'actu, peu répandus en France, sont une grande source d'information ; les infographies, l'utilisation de photographies viennent enrichir les contenus textes du web. Tout comme la notion d'application se développe.
Le webdocumentaire vient lui aussi incarner une nouvelle approche de l'information. Cependant, il faut prendre en compte le fait que ces nouveaux outils sont élaborés et coutent cher à mettre en place. Laurent Mauriac évoque la mesure d'audience en direct avec Chartbeat. Sur le site, il est possible de savoir combien de personnes sont présentes et quels contenus les intéressent. Cet outil très précis représente également une tentation pour les journalistes car il ne faut pas tomber dans l'excès et ne traiter que des sujets que les lecteurs affectionnent. Cette mesure ne doit pas dicter l'éditorial du site.
En fin d'intervention, Laurent Mauriac pose la question de l'avenir de l'article de presse au sens traditionnel. Est-il condamné à disparaître au profit d'un fil d'actu en continu ? Pour y répondre, il s'appuie sur la thèse de Jeff Jarvis qui considère que l'information sur le net n'est plus du tout produite comme elle l'est dans un journal papier. Elle deviendrait un processus car à chaque instant l'article peut être complété, repris, actualisé...Ainsi la notion d'article comme productions finie a-t-elle encore un sens aujourd'hui ? Selon Jeff Jarvis il ne serait plus le cœur d'activité journalistique sur le web. L'article deviendrait ou un instantanée ou un luxe. Une opinion qui naturellement suscita beaucoup de polémiques quand elle fut émise.
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Hélène Fromen présente ensuite l'activité de Médiapart qui, dès le départ, a fait le choix du participatif. Né en mars 2008, avec une équipe qui possède une longue expérience dans la presse papier, le site Médiapart s'est positionné comme un lieu d'investigation et a d'emblée définit son modèle économique original qui est celui de l'abonnement. Son développement a permis au site d'être à l'équilibre depuis octobre 2010.
D'une manière générale, l'information chaude n'est pas le cœur de métier de Médiapart qui se positionne davantage comme web enquête. Cependant le fil d'actualité est devenu indispensable, il complète ainsi l'information traitée. Médiapart se soucie également de renforcer la réflexion sur les nouveaux formats éditoriaux. Dans cette perspective le site diffuse des webdocumentaires, utilisant internet comme support et ajoute dans le site des contenus qui ne sont pas du texte mais des vidéos telles que la chronique de Didier Porte ou La Parisienne, qui offrent tous deux un traitement décalé de l'actualité.
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Johan Hufnagel prend la parole au nom de Slate et introduit son propos avec cette question : « comment traiter du chaud alors qu'on est un média magazine ? », une interrogation centrale dans le cas du site Slate.fr. Slate.com a vu le jour en février 2009 et se présente comme le petit frère de slate.com. Le lancement d'une version française était accompagné d'une ambition : faire du journalisme de qualité sur le web. Ce postulat vient contredire une idée beaucoup répandu sur internet qui serait en quelque sorte la poubelle du journalisme ou une simple copie de la version papier sur un support numérique.
L'idée de Slate est de produire un magazine généraliste de qualité présent uniquement sur le web, ce qui implique de rester sur le froid (donc pas au cœur de l'actualité) et de proposer des angles recherchés. Très vite au sein de l'équipe rédactionnelle, une constatation s'impose : pour exister sur internet, il est indispensable d'être dans la conversation issue du web d'information et développer ainsi deux pratiques : l'agrégation de contenus et le décryptage des événements. La naissance du site se fait à partir de deux mondes qui travailleront désormais ensemble : les anciens journalistes traditionnels et une génération plus jeune qui n'aura connu que le web.
Johan Hufnagel est frappé par le traitement très uniforme de sites d'information généralistes, ainsi la révolution à laquelle nous assistons est avant tout celle des usages. Les sites d'information répondent aujourd'hui à certaines normes nouvelles. Les pures players ont cependant des spécificités qu'il est bon de souligner : Mediapart se place dans le champ de l'investigation, Slate revendique son statut de magazine tandis que Rue 89 propose au lecteur/internaute de l'information chaude mais différemment. Johan Hufnagel insiste sur le fait que le web est aussi un terrain de reportage.
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Thomas Doduik nous parle ensuite du site lefigaro.fr et présente une autre tendance de fond qui est le journalisme à la demande c'est à dire faire participer l'audience à l'agenda des contenus.
Le site du Figaro fait ses débuts en 2005 et on compte aujourd'hui 650 personnes travaillant directement sur les activités numériques du groupe. Le figaro.fr trouve de précieuses sources de financement avec la migration des petites annonces presses en mode délinéarisé sur internet et le rachat d'autres sites internet susceptibles d'intéresser son lectorat, des thèmes sur lesquels le Figaro a une légitimité ; des activités de diversification à travers des suppléments papier dans le journal et des sites spécialisés qui permettent de financer les projets numériques du Figaro. Thomas Doduik explique également l'investissement du Figaro sur le communautaire avec une prégnance forte de Facebook sur les ecosystèmes. Il insiste sur la nécessité de garder le contrôle sur les outils communautaires du web.
Tout comme Médiapart, lefigaro.fr travaille sur de nouveaux supports avec le développement entre autres de serious games qui expliquent l'actualité sous forme de jeu ou la mise au point d'un studio d'enregistrement qui permet la réalisation d'interviews. Le site se déploie aujourd'hui sur quatre supports et le journal est considéré comme un support mobile. Fort de son expérience sur le web, le Figaro vise les 25% du chiffre d'affaires sur le numérique.
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Joakim Afoutni fait découvrir aux membres l'agence de presse AfrikTV qui existe depuis un an et dont le but est d'apporter aux chaînes de télévision des images et des reportages sur l'Afrique. Afrik.com est la version écrite d'AfrkTV.
Constatant que l'intérêt des chaînes pour le continent africain allait croissant, AfrikTV a développé un réseau de journalistes africains indépendants immergés dans les réalités locales avec pour objectif de fournir des images d'un évènement dans l'heure qui suit. L'équipe formée de journalistes reporter d'images parcourt l'Afrique et relate de ses événements.
Si la population africaine n'est pas toujours bien équipée en termes de télévision, elle possède cependant presque systématiquement un accès à internet. AfrikTV permet alors aussi d'informer les habitants du continent. L'agence utilise internet comme outil de transmission indépendant et souple et envoie des reportages aux rédactions par FTP pour communiquer le plus rapidement possible l'information. L'autre spécificité d'AfrikTV est d'élaborer des sujets transverses et ce faisant de rassembler le continent africain.
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Suite à cette première partie de la séance consacrée à la présentation des sites et du travail de chacun des membres du panel, s'engage le débat. Johan Hufnagel explique que la première étape du site d'information est la recherche d'une spécificité et seulement dans un deuxième temps la recherche de l'exposition. De la même manière, il souligne que le web d'information reste avant tout un média écrit, les contenus texte y sont dominants, en matière de vidéo, majoritairement visionnés sont des extraits issus de la télévision ou des zappings. En effet la production ad hoc d'images vidéos sur les sites d'information reste marginale et ne rencontre pas un véritable succès au près des internautes.
Laurent Mauriac rappelle que le net reste un laboratoire et que l'information est liée à un processus essai/erreur ce qui explique notamment que les premières versions de sites web des journaux étaient simplement la transposition de la version print.
Grégoire Olivereau interroge les intervenants sur les possibles évolutions avec la perspective de la campagne présidentielle de 2012, c'est-à-dire à la fois le rôle des acteurs tels que Facebook ou Twitter dans la campagne mais aussi la manière dont les pure players vont traiter l'information. Sur ce sujet, les acteurs de la table ronde sont d'accord pour dire que lors de la primaire socialiste, on n'a pas constaté d'explosion des outils communautaires, les réseaux sociaux ont, somme toute, joué un rôle assez secondaire dans cet événement politique même s'ils restent aujourd'hui indispensables. La campagne présidentielle va très certainement induire de nouveaux sujets et de nouvelles thématiques d'analyse, en cela les rédactions de pure players seront particulièrement sensibles aux demandes des lecteurs/internautes. Lefigaro.fr a par exemple mis au point un baromètre de l'e-réputation qui mesure la notoriété des candidats sur internet. Johan Hufnagel fait également remarquer que la présidentielle de 2007 correspondait à l'émergence d'une population de blogueurs particulièrement actifs et réactifs à l'actualité. Leur rôle semble aujourd'hui moins important dans ce cadre. Une partie d'entre eux est aujourd'hui présente sur Twitter ce qui peut aussi expliquer une certaine non mobilisation en ligne pendant les primaires citoyennes.
L'information en direct est la grande tendance actuelle, c'est aujourd'hui le lecteur qui demande les informations. L'internaute est en position de chercher l'information.
Nous constatons également une consommation multi-écran en croissance. Nous évoluons d'un système de web du clic au web de l'attention qui implique de faire en sorte que les internautes restent le plus longtemps possible sur une page web. Ce changement majeur incite les rédactions à être plus créatives, à innover et proposer de nouveaux formats, à rechercher des solutions innovantes de mise en scène de l'information. Sur ce point, Mediapart se différencie et Hélène Fromen indique que la rédaction de Mediapart cherche davantage à mettre l'accent sur le contenu que sur la forme.
Isabelle Répiton intervient et souligne le phénomène des nouveaux formats et plus précisément de l'hybridation des formats associant articles, photos, vidéos... De nouvelles techniques qui prennent du temps et nécessitent des journalistes spécialisés.
Olivier Zegna Rata prend la parole et cite Hervé Bourges en rappelant les trois critères de temporalité du web : la brièveté, la fugacité et la caducité. Il évoque de plus le rôle des moteurs de recherche et leur pouvoir de prescription notamment en matière d'information.
Laurent Mauriac commente ces propos en soulignant les deux dimensions du web : la dimension de flux et la dimension de stock (déterminée par l'algorithme de Google). La tendance actuelle est définitivement celle du flux.
Jean-Paul Jérôme pose la question des commentaires qui sont laissé et de leur intérêt et le risque qu'ils deviennent un défouloir pour des mouvements extrémistes.
Il est clair que les commentaires laissés sur les sites d'information doivent être soumis à modération. De plus ils ne sont utiles que s'ils sont exploités. On peut cependant remarquer que plus le sujet est pointu moins le phénomène de troll (des personnes très actives qui laissent beaucoup de commentaires dans le but de perturber la discussion) est présent. Il existe aussi des systèmes d'autorégulation et Thomas Doduik résume la situation en ajoutant qu' »il faut faire confiance à son audience ».
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Lors de cette table ronde, nous avons eu un inventaire des nouvelles formes d'information ainsi qu'une présentation des mutations de l'information sous l'influence d'internet. Au moment de passer au web, plusieurs questions ont animé les rédactions concernant le type d'information et la mise en forme de ces nouveaux contenus. Nous constatons qu'en matière de site d'information, la tendance est à l'uniformisation, les homes des sites se ressemblent et adoptent les mêmes codes et tous mettent en avant leur caractère participatif. Le web promeut également une information instantanée, en témoigne le phénomène du liveblogging.
Au terme de cette séance, il semble aujourd'hui fondamental d'allier les compétences journalistiques aux outils du web car c'est bien cette association qui donne une vraie plus value aux contenus d'information sur le net par rapport à des formats papier.
Dans cette perspective, internet doit avant tout être perçu comme un vaste terrain d'observation, un lieu privilégié de la création de nouvelles formes d'information et d'hybridation des formats et des contenus.