Compte rendu de la session du 21/03/2016
Philippe Chazal annonce en introduction le lancement de la Fabrique des Formats et la conférence de presse prévue au MIPTV, lundi 4 avril. Cette session est la troisième du cycle sur les mutations du secteur audiovisuel. Nous évoquerons aujourd’hui le déploiement à l’international des groupes audiovisuels et la nécessité de construire des groupes de taille européenne.
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Bouchra Rejani est la directrice générale de Shine France. Elle prend la parole en premier.
La filiale Shine France a été lancée sur le marché français en 2009, dans un secteur déjà très occupé. L’ambition de départ est de proposer une offre de programmes qui correspond à l’air du temps avec une aspiration feel good.
Ainsi, ont été mis à l’antenne des programmes tels que Masterchef. Il y a à l’époque une appétence pour les programmes de cuisine. Shine engage rapidement une coproduction internationale avec Talpa (John de Mol). Baby boom s’impose comme la première docu-série, le format reprend les codes de la téléréalité pour raconter des histoires autrement, dans ce cas précis sans déranger le fonctionnement de l’hôpital. L’expérimentation a fonctionné. On assiste aujourd’hui à la 5ème saison.
Shine a lancé une filiale documentaire et fiction. A partir 2012-2013, s’engage un travail sur la fiction avec l’expertise de la société Kudos, leader anglais. Au début, il est facile de travailler ensemble. Puis l’interrogation : comment écrire à 4 mains en français en anglais pour 2 marchés. La solution la série « Tunnel ». Dans cette configuration le lieu de la production se situe entre les deux rives, entre Calais et Douvres avec l’Eurotunnel. Cette expérience impacte également la structuration du plan de financement : comment travaille-t-on avec des équipes binationales ? Produire en Angleterre coûte moins cher. Bouchra Rejani le souligne : c’’était une grande expérience internationale. Actuellement un travail avec le Danemark et l’Italie est en cours ; une annonce sera faite au MIP pour la partie fiction.
En outre, Shine France a démarré le développement de ses propres créations (talents internes et externes) dés la conception de programmes ; par exemple Le plus grand blind test (en pré-production en Australie, vendu en Hollande, et intérêt aux USA). Un deuxième projet ambitieux : Prodiges, une création française. Il s’agit d’un concept talent show thématisé sur la musique classique avec une diffusion évènementielle sur France 2. Le programme s’est fait remarquer, à l’issue de la diffusion en France, le groupe Shine était intéressé ainsi que d’autres chaînes.
Il y a une structuration à trouver sur la faisabilité économique de ce genre de projet, par exemple la conception d’un « hub », à construire de façon mutualisée car le projet coute très cher. Dans tous les cas, il est nécessaire de trouver des solutions de financement en plus du service public ; en effet cette configuration n’est pas possible sur tous les territoires. La force du concept c’est la faisabilité économique.
Le poids économique du secteur
Bouchra Rejani ajoute quelques mots sur les effets de l’a loi création. Qui selon elle met à mal toute la filière.
En particulier le flux est à nouveau oublié ;or c’est un excellent laboratoire pour créer des concepts français et les exporter. Dans cette perspective, il a besoin d’un coup de pouce. Elle rappelle que c’est une filière qui emploie 50 000 personnes directement et produit 1 Md de CA par an. Une filière pourtant déjà fragilisée phénomènes exogènes, la publicité croît très peu pour la partie télé, transfert vers le digital. L’ambition à exporter les programmes est présente chez les producteurs.
Sur le rapprochement entre Shine et Endemol, Bouchra Rejani souligne la double exception culturelle française, les filiales françaises ne fusionnent pas et conservation du partenariat avec Talpa.
Shine France est un succès, son chiffre d’affaires est passé de 0 à 100 Mi en quelques années. Les projets de prime sont pour beaucoup en grande partie financés par la distribution internationale.
Attention les critères de financement du CNC pour certains programmes sont ambigus ; exemple, « une saison au Zoo » qui ne touche pas de CNC alors qu’il est considéré comme une œuvre.
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Fondateur de Federation Entertainment , Pascal Breton affiche une expérience rare en coproduction avec des partenariats avec les nouveaux acteurs, difficilement accessibles que sont les grandes plateformes internationales.
Tout d’abord, il indique un point important concernant le marché de l’audiovisuel : à la différence de la presse, de la musique et beaucoup de marchés touchés notamment par l’ubérisation, l’audiovisuel est en forte croissance. On ne constate pas de déclin, mais plutôt un doublement des investissements.
Aujourd’hui le genre préféré du public c’est la fiction, demain peut-être le flux sans parler du sport, fb achète du sport. A l’heure actuelle, la fiction est la tête de gondole. 7 Mds investis par les nouveaux opérateurs, 20 mds d’ici 2 ans (Mais aussi Vivendi, Altice peut-être Orange).
Quelques mots sur Federation Entertainment : 7 séries, 6 vendus à des opérateurs internationaux dans le monde entier. Série israélienne, ou belge, toutes sur des plateformes internationales.
Pascal Breton constate que tout va très vite, ce sont des opportunités historiques pour les producteurs. Le modèle longtemps dominant de la chaîne principale qui détient l’essentiel des droits est aujourd’hui dépassé.
Cela redonne du poids aux producteurs et ceux qui sont capables de financer, donc des studios. Selon lui, il est important que la grande majorité des projets soient développés avec des producteurs indépendants. Il en est convaincu, si les chaines se battent aujourd’hui pour avoir 35 ou 40% de production propre, elles ne produiront pas en interne, il s’agit uniquement d’une monnaie de négociation pour les droits. Aucune chaine française n’a démontré aussi son potentiel de distribution internationale.
Ainsi, il faut organiser le partage entre producteur et diffuseur. Cette évolution permet également de dissocier les deux métiers. Les compétences des producteurs : attirer les talents, produire pas cher et distribuer. Côté diffuseur, le savoir-faire concerne davantage l’exploitation de la marque et le numérique. Dans ces domaines, la chaîne est plus forte.
En outre, les chaînes ont beaucoup à gagner à une évolution de la règlementation. Sur les quotas, Pascal Breton pense que la règlementation est en retard, les quotas de diffusion n’ont pas de sens dans un univers délinéarisé. Il faut un seul quota : un quota indépendant d’œuvre.
Autre point de réflexion, les chaînes n’ont pas pris en compte la valorisation de leurs antennes sur l’ADSL. Aux Etats Unis, les chaines reçoivent de l’argent quand elles sont sur le câble. Il faut motiver le marché et par exemple réfléchir à la monétisation de la « big data » des chaînes en collaboration avec opérateurs téléphoniques.
Dans un marché global, l’opportunité de la France
Sur la fiction, Canal+ et Arte ont amorcé un changement. 1 série française sur 2 a un petit potentiel à l‘international ce qui représente 10 à 20% de budget, une partie non négligeable. Tout dépend du nouveau déploiement des chaînes. Le processus créatif en France est reconnu au niveau mondial : «il faut prendre notre place, c’est une chance historique devenir un pole très fort de création au niveau européen, avec à la fois des petits projets et des gros projets visibles ».
Pascal Breton évoque son travail avec Netlix, un processus assez comparable avec celui des autres acteurs ; la vision d’un auteur, d’un réalisateur, d’un producteur. Netflix n’a pas les moyens de lancer 10 séries dans les prochaines années, ils feront un peu d’achat et surtout des projets avec potentiel international, ne pas oublier qu’ils sont à ce jour très déficitaires.
Selon Pascal Breton, on va vers un univers globalisé avec une dizaine d’acteurs mondialisés. Dans ce contexte, il faut se positionner sur les acteurs intermédiaires, et ne pas entrer en compétition avec les gros fournisseurs américains. Finalement, ce qui est dangereux c’est la logique du numérique : la logique du monopole. Facebook il n’y en a qu’un. Malgré l’arrivée de nouveaux acteurs, il est convaincu que les acteurs forts (type TF1) le resteront.
Le marché bouge vers le producteur. Le contenu devient plus important que le tuyau c’est la logique du marché. Selon lui, il n’y avait pas de raison de changer les lois parce que la presse ne fonctionne plus, il faut accompagner le redéploiement.
Bouchra Rejani l’interroge sur le Deal TF1/NBC sur la production de séries US. Pascal Breton rappelle qu’on a longtemps considéré que la fiction américaine était moins chère que la française. En réalité les chaînes ont acheté des dizaines de titres qu’elles ne diffusent pas, la situation est compliquée aujourd’hui pour TF1 et M6. Le marché est plus sain que les discours. Il ajoute qu’il faut se réjouir du renouveau de la fiction française. Netflix a financé 100% de Marseille. Enfin, il fait une prédiction : demain il y aura des coproductions TF1/Canal /Amazon.
Et la voie c’est la création « universelle » capable donc notamment en séries de fiction d’être en phase avec plusieurs marchés nationaux différents.
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Alexia Laroche-Joubert représente le groupé Banijay, une structure française montée il y a 8 ans. Puis suivie de rachat de multiples sociétés françaises et internationales. La fusion avec Zodiak permet à Banijay de devenir le troisième groupe indépendant mondial.
De Micro-société à la constitution d’un groupe
Une nécessité liée au marché, à savoir le regroupement des chaînes devenues puissantes et l’arrivée de gros groupes digitaux. La négociation avec Google est dangereuse car le rapport de force est défavorable. Il fallait donc être un partenaire de poids et propriétaire des contenus.
Alexia Laroche-Joubert fait la distinction des 2 métiers : éditeurs (ADN de la chaîne) et producteurs (créateurs). Ainsi, les contenus doivent venir des groupes indépendants. Les filiales ont des marges de manœuvre moins grandes. Cela dit la création ne peut pas être à un seul endroit. On grandit en fonction des demandes. L’intérêt de se regrouper devient vital pour la force du contenu et la négociation avec les chaînes.
Banijay prod France c’est 75% de la création, ce qui en fait un acteur majeur et permet de favoriser les coproductions internationales, notamment mutualisant les couts de production et en faisant appel à d’autres partenaires financiers.
Alexia Laroche-Joubert pointe également une règlementation à contre-courant, archaïque. Selon elle, l’arrivée des nouveaux entrants représente avant toute chose une multitude de nouveaux clients, et pour les producteurs des opportunités nouvelles. En revanche le point important concerne les droits de distribution. Si on partage les droits, on partage les risques. Pourtant cette notion reste assez loin des diffuseurs français, alors qu’aux Etats Unis les networks sont solidaires sur les pertes.
Sur la distribution, Banijay est présent dans un peu moins de 20 pays. L’objectif est d’augmenter les actifs du groupe en général. Les producteurs ont envie de défendre leurs programmes.
Philippe Chazal note également qu’il faut peser pour imposer les talents et la créativité. Le marché suit les mutations. Les objectifs à atteindre sont assez clairs.
Pascal Breton rappelle que pendant 30 ans le marché était sclérosé. Aujourd’hui, il existe de plus fortes possibilités de rayonner. En ce sens, c’est la fin d’un cycle.
Laurent Fonnet souligne le comportement différent des diffuseurs dans les autres pays. Doit-on parler d’attitude différente ou simplement de la fin d’un cycle ?
Pascal Breton parle d’histoires différentes, en soi les modèles ne sont pas directement comparables : « BBC évolue vite, ITV a complètement changé de modèle en devenant majoritairement producteur. La ZDF est très bureaucratique. Aux USA également, il y a un changement du côté des networks, des studios qui demandent une rentabilité assurée.
En outre, on constate en France un problème d’écriture et de modélisation, alors même que Paris peut devenir la deuxième ville de tournage. A ce jour 1 seul studio, celui de Besson, on en compte 30 en Outre-manche qui fonctionne à plein régime. Pascal Breton ajoute qu’il faut améliorer la réforme du CII. Pour attirer des partenaires il faut des coproductions et que les chaînes investissent.
Bouchra Rejani ajoute que les taxes anglaises sont plus intéressantes, des territoires avec des systèmes attractifs pour les studios américains. Il faut regarder plus loin, le marché est global. Elle prend l’exemple de l’animation et de Jérémy Zag qui a fondé son studio en France puis s’est développé aux Etats Unis. En ce qui concerne la fiction, les partenaires français s’allient avec des diffuseurs qui leur ressemblent.
Nathalie Wogue interpelle le panel sur Asie, un nouveau marché pour les formats de flux. La Corée est en train de créer un modèle économique avec les marques.
Sur le volet numérique, Bouchra Rejani indique qu’il faut capitaliser sur le CRM qui « booste » l’audience. La créativité doit trouver les meilleurs points de contact, dans l’intérêt du programme et du public.
Olivier Pascal s’interroge sur les formats de flux. Alexia Laroche-Joubert répond que malgré une moindre circulation de formats, il existe toujours des marques leaders. L’effet Big Brother a entraîné beaucoup de bouleversements notamment sur l’écriture. S’ils sont révolutionnaires dans le secteur, ces phénomènes restent rares.
Pascal Breton ajoute également que le développement des plateformes n’ont pas provoqué de changement radical, les contenus sont produits et diffusés de la même façon. L’innovation se trouve avant tout dans la distribution et la technologie.
Ella Cohen souligne une évolution importante dans la communication autour des programmes ; les séries sont adossées à un marketing efficace. Il y a eu un travail sur l’écosystème afin d’offrir une expérience totale. Elle décrit le Water cooler effect : devenir la conversation du matin à la machine à café.
Laurent Fonnet estime qu’on n’utilise pas assez internet dans les programmes.
Bouchra Rejani évoque le retard sur le rattrapage et l’offre promo. Les diffuseurs pensent à tort que le second écran est un flux primaire. Les producteurs investissaient sur les applications sans réel financement.
Alexia Laroche-Joubert rappelle l’expérience Rising star et la difficulté à marier simultanément digital et antenne. Le play along fonctionne bien et les applications permettent un rattrapage.
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A l’issue de cette riche session, Philippe Chazal souligne avant tout les nouvelles perspectives qui ont été évoquée ainsi que la vision de l’avenir positive et proactive qui fut proposée. Une foi en l’avenir qui fait du bien au secteur et donne envie d’entreprendre.
Prochaine session au printemps sur à nouveau probablement les mutations du secteur.