Compte rendu de la session du 01/02/2016
Philippe Chazal présente les meilleurs vœux du Club Galilée à tous les membres présents et au-delà à tous les membres.
Il rappelle qu’on fête en ce début d’année 2016 les dix ans du Club, lancé en effet en janvier 2006. En comptant au minimum 10 sessions par an cela fait donc plus de 100 sessions. Et en comptant en moyenne 6 intervenants par session, intervenants qui deviennent automatiquement membre du Club Galilée, on arrive aisément au nombre de plus de 600 membres aujourd’hui répertoriés.
Ajoutons que nous retrouvons dans la liste des thématiques traitées par le Club depuis dix ans à la fois l’actualité et les soubresauts de notre secteurs et les priorités que le Club s’est donné en termes de réflexions, à savoir les mutations des entreprises et des métiers et l’innovation.
Philippe Chazal présente le thème de la séance. Il s’agit des mutations du secteur de l’audiovisuel, elles sont de plus en plus profondes et rapides. La discussion sur la concentration du secteur a été initiée au club en novembre dernier.
Il annonce que le « tour de table » du projet de Cluster La Fabrique des Formats, inauguré dans le cadre des réflexions du Club en 2012 pour l’accompagnement et le financement de l’innovation dans l’univers des formats où la France est en retard, est bouclé dans sa partie société de services et fonds d’investissement.
Le cluster vient prendre une place qui a été laissée vacante. Il manquait dans les dispositifs des financements en amont, quant au flux, il doit être davantage accompagné. Enfin, il faut s’intéresser au marché international. Il s’agit là d’un projet original et nouveau pour accompagner le développement du secteur et la structuration d’une nouvelle filière, celle des formats.
Les mutations, sujet de notre session d’aujourd’hui nécessitent une réflexion libre et approfondie.
Présentation du panel : Nathalie Sonnac, membre du CSA et l’auteure du dernier rapport du CSA sur le secteur de la production qui sera désormais annuel. Jérôme Bodin, de Natixis l’analyste du secteur dans sa lettre journalière. Christian Vion, Secrétaire Général de France Télévisions et artisan de l’accord avec les producteurs. Et Christophe Nobileau, Directeur général délégué de Newen, et acteur direct de la mutation du secteur.
La parole est donnée aux intervenants avec comme angle : comment construire des champions européens et internationaux sans détruire notre tissu de PME, TPE ?
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Nathalie Sonnac présente l’étude du CSA annoncée au FIPA en janvier dernier. L’objectif était d’établir une photographie du secteur de la production audiovisuelle et mettre l’accent sur l’économie du tissu productif.
Car, jusque là, aucune étude chiffrée n’a été réalisé avec cet angle. Nathalie Sonnac avait déjà engagé ce travail dans le cadre d’une Chaire. Pendant plusieurs mois, les équipes du CSA ont travaillé, récolté des données pour comprendre le rapport entre offre et demande avec en appui les donnes de l’INSEE et des données du groupe Audiens, partenaire privilégié de l’étude. Ils ont recueilli des informations quantitatives et des verbatim d’entretiens avec les acteurs économiques du secteur qui expriment le point de vue des entrepreneurs. Pour s’éloigner d’une vision syndicale du secteur, tous les acteurs (PME, TPE, filiales de groupes étrangers) ont été interrogés.
Se différencier des études précédentes
Lorsque des études chiffrées sortaient, elles ne zoomaient que sur la production aidée, ce qui est trop restrictif pour comprendre le secteur dans son ensemble. Le CSA a souhaité avoir une vue globale.
Classiquement, il y a une dichotomie, due à la réglementation, entre flux et stock. Dans son étude le CSA s’est intéressé autant au flux qu’au stock. D’ailleurs dans le cadre des entretiens, le CSA a constaté que les producteurs n’avaient pas une activité unique. Les grands groupes associent le flux et le stock pour des raisons économiques et la capacité d’avoir des cycles de vie différents. De plus il existe beaucoup de produits hybrides, le docufiction, par exemple, qui possède une vie après la diffusion, la valeur du produit se prolonge. Cette séparation là était à revoir.
Enfin, le CSA ne souhaitait pas une étude hors sol. Loin du modèle théorique universitaire, il fallait profiter des possibilités d’immersion de l’organisme pour appréhender la réalité du secteur.
Même si cette réalité peut être dérangeante. En particulier le mouvement de concentration et d’industrialisation au niveau européen. Les exemples sont nombreux : fusions, prise de participation, rachat du producteur espagnol Boomerang ou entrée du groupe Altice SFR dans les médias.
Ces phénomènes s’inscrivent dans un environnement fortement concurrentiel, auquel les acteurs français doivent faire face. Ajoutée à cela, l’arrivée des plateformes qui participent à la fragilisation du modèle « traditionnel » dans son ensemble ainsi que l’évolution des usages, avec le passage du linéaire au non linéaire.
Les mouvements de diversification des groupes sont ainsi en réalité la résultante de phénomènes plus anciens : bouleversements technologiques, économiques et sociaux dans les usages.
Un écosystème dans un environnement déterritorialisé, dématérialisé
Synthèse : les grands constats de l’étude (réalisée sur une longue période soit 13 voire 14 années donc vraie évolution constatée)
- Du coté de l’offre : Progression du nombre d’entreprises qui interviennent dans le secteur. On a zoomé sur les entreprises dont l’activité principale était la production de film et TV : 2370 (70% panel global). Croissance x2,5
- Proportion élevée de petites structures. Forme juridiques (SARL) choisie car faible barrière à l’entrée. -1% des sociétés emploient 51 personnes et plus (mais elles cumulent 10% de l’emploi du secteur) / 70% n’ont aucun permanent
èLe secteur audiovisuel fonctionne comme les secteurs marchands, il s’appuie sur des entreprises de très petite taille. En ce sens, il est comme tous les autres secteurs économiques
- Ancienneté des entreprises en hausse. 50% d’entre elles ont entre 2 et 6 ans. L’ancienneté est en forte progression. Le secteur témoigne d’une certaine dynamique. Les entreprises qui font l’objet d’un financement public sont moins vulnérables que les autres
- Le secteur reste créateur net d’emplois sur la période étudiée. Ce secteur a un recours au CDDU de façon très dominante (86%)
èConcentration du secteur
- Un chiffre d’affaires de 2,8 Mds d’euros pour la production audiovisuelle. Evolution régulière du chiffre d’affaires depuis 2009. 15 Millions réalisé par 40% des entreprises et 2Md1 réalisé par 200 sociétés. Les entreprises de moyenne taille existent peu. Le CA révèle bien la structuration. A titre de comparaison : CA anglais 5 Mds euros pour 500 entreprises. (France 2,8 Mds pour 2300 entreprises)
- Fragilisation du modèle économique de l‘édition de programmes. La diffusion c’est 7,5 Milliards d’e. Les groupes historiques de diffusion restent les principaux financeurs du secteur, alors qu’il y a une fragmentation des audiences et des recettes publicitaires, un phénomène accéléré en 2005 et 2012 avec les deux vagues de la TNT. Les chaînes du câble et du satellite sauf exception sont faiblement contributrice à la production. Aujourd’hui, 2% des recettes viennent du replay qui réunit pour tant 2 millions de consommateurs, un dispositif qui génère donc encore peu de valeur. L’élargissement du nombre de chaines et d’écrans ne s’est pas traduit par une augmentation réelle du nombre d’acheteurs de programmes auprès des producteurs. Pour le moment.
- Trésorerie excédentaire des diffuseurs qui témoigne d’un dysfonctionnement quant au processus de réinvestissement
- Les producteurs ont une appréciation sévère du cadre de la règlementation. L’interpénétration des marchés plus grande invite se situer au niveau européen. Les questions soulevées lors des entretiens : Indépendance ou non du producteur / Hétérogénéité de l’industrialisation / Financement de la R&D et prise de risque / Tension sur la propriété des programmes
- Structuration des entreprises techniques. La télévision est devenue la principale ressource devant le cinéma
- Question de la performance : peu de chiffres sur le sujet. Il faut une analyse chiffrée sur le marché international. Prendre exemple sur les réussites en fiction française.
Philippe Chazal remercie Nathalie Sonnac pour cette présentation ramassée et très claire du rapport du CSA et de la situation du secteur de l’audiovisuel français. Il revient sur 2 points :
Sur la balance commerciale, TVFI a des chiffres sur l’exportation, mais aucun chiffre sur l’importation. Comment alors connaître la situation réelle de la filière, sa place sur le marché international et sa balance commerciale ?
Sur la dimension emploi, il ajoute aux propos de Nathalie Sonnac que si la Fabrique des Formats a convaincu les partenaires c’est parce que les mots PME, pérennisation des emplois, création d’emploi, structuration du secteur faisaient partie du discours. Au même titre que les autres secteurs, ce sont les indicateurs qui comptent.
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Jérôme Bodin, analyste financier chez Natixis, revient sur la performance à l’international. En France, les ressources sont stables voire en très légère croissance d’une année sur l’autre (rappel 3 sources de financement : redevance, publicité et abonnements)
On observe que le marché publicitaire est directement indexé sur le taux de chômage, cela se vérifie trimestre après trimestre. Sur la télévision payante, il y a eu des effets de déflation. Sur la redevance, les contraintes fortes bloquent la croissance.
Ainsi, l’international s’impose comme le seul levier sur lequel on peut aller chercher de l’argent et donc bâtir une nouvelle croissance pour les entreprises. En comparaison, les autres pays de taille équivalente présentent un chiffre d’affaire à l’international 2 fois supérieur pour un marché domestique équivalent.
Jérôme Bodin détaille, selon lui, trois leviers de croissance à l’international :
- 1er levier : la structuration de l’industrie. La concentration reste très embryonnaire mis à part quelques récents exemples notamment en termes de concentration verticale.
Dans ce domaine, on a plutôt l’impression que la concurrence s’est accrue. Le changement d’actionnaire n’implique pas toujours un investissement plus important. Il faut donc se méfier des analyses sur la réduction de la concurrence car opération ne veut pas dire consolidation. Il faut avant tout générer plus de croissance. Qui dit concurrence dit prix sous pression, prévient-il.
Levier de la structuration : la consolidation de la diffusion. Prenons exemple sur les marchés allemands et espagnols, les diffuseurs sont en situation très favorable. En revanche, le marché de la diffusion française est le plus concurrentiel d’Europe avec une situation paradoxale : des acteurs très riches et une industrie très fragmentée. Aujourd’hui, les principaux diffuseurs (TF1, M6, NextradioTV, CanalPlus) ont accumulé 10 Mds d’euros, prêts à être investis. Il faut trouver le bon équilibre.
- 2ème levier : la réglementation Dans cet univers, déréglementer jusqu’à quel niveau ?
- 3ème levier : la stratégie identitaire. Depuis longtemps, le tropisme des diffuseurs est trop français, trop domestique, ce qui bloque la croissance à l’international.
Selon Jérôme Bodin, il ne s’agit pas d’un problème législatif, ni financier, mais plutôt managérial, lié à l’identité de ces groupes de diffusion. Qui sont-ils sur ce marché mondialisé ? Les groupes doivent se réaffirmer car « dans un environnement numérique mondialisé si vous n’existez pas pour ce que vous êtes aucune chance de se développer à l’export », explique-t-il.
On note que les groupes espagnols sont en avance et se projettent à l’international en se considérant comme des groupes hispaniques et non nationaux. Logiquement le parallèle est à faire avec la France. L’identité francophone est-elle la clé ?
Il existe une demande forte de contenus locaux et européens à destination d’un marché qui se structure autour de la latinité. Un levier sous estimé qui est pourtant du ressort des groupes.
Jérôme Bodin relève un embryon de réflexion chez Vivendi. Le groupe a compris que son marché était trop restrictif. Il mène une réflexion intéressante sur la francophonie : adresser le marché de l’Afrique avec le marché domestique. Le succès de canal est d’avoir investi sur des territoires sur lesquels ils sont légitimes.
Jérôme Bodin avertit : il faut une propension à aller à l’international à sa manière, et ne pas singer les acteurs anglophones. Cela nécessite de faire évoluer identité dans un espace plus large, en restant soi-même.
Il propose un parallèle avec le luxe et la demande franco italienne. Les clients achètent une part de latinité (l’Asie par exemple).
Concernant le secteur audiovisuel, cela représente une vraie finalité économique (potentiel de création de valeur fort à long terme) et une dimension politique voire diplomatique.
Selon Jérôme Bodin, il existe une corrélation forte entre la présence de médias internationaux et l’influence. La demande d’une restructuration différente signifie aussi une émancipation vis-à-vis de certains modèles.
Philippe Chazal résume : la consolidation est en marche mais des efforts sont encore à faire. Tropisme domestique et identité trop floue sont des freins au développement international.
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Une question est posée sur l’absence de chiffre sur la performance. Le CSA n’a-t-il pas les moyens règlementaires pour dissiper cette opacité ? Nathalie Sonnac explique que souligner ce manque permet de se mobiliser. Plutôt que de contraindre, le CSA préfère inciter à avoir un plus grand retour. Elle rappelle la nécessité absolue de trouver d’autres formes de financement.
Philippe Chazal note également qu’on peut imaginer que cette étude, tout comme le panorama culturel SACEM-E&Y, vont finir par faire bouger les choses.
Un membre s’interroge sur l’excédent financier et la fragmentation du tissu. En quoi est-ce paradoxal ? Jérôme Bodin évoque la position très attentiste sur la consolidation. L’objectif n’est pas clairement défini, alors que l’international serait un moyen de chercher de la richesse à privilégier.
Sur le tropisme domestique, un membre relève que M6 fait partir d’un groupe européen, que Vivendi se tourne vers l’Afrique. Cette situation ne s’applique-t-elle pas seulement à TF1 ? Jérôme Bodin précise : M6, au niveau identitaire, se rapproche beaucoup de TF1, même s’il s’appuie sur le groupe RTL sur certains contenus et Canal n’a pas encore créé ce concept de francophonie. Il affirme que l’avenir est dans la création de contenus, d’identité capables d’être plus diffus à l’international.
Enfin une dernière question est posée sur la part du sous titrage dans l’exportation des programmes, en écho aux dernières déclarations de Reed Hasting (Netflix) qui a annoncé que la gêne du sous-titrage est en train de disparaître aux Etats Unis. Pourquoi Versailles en langue anglaise alors que Marseille est tournée en français ? Jérôme Bodin pense que le fait que le programme soit tourné dans la langue originale peut être un atout. Mais aujourd’hui tourner en anglais reste un facteur de développement significatif.
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Christian Vion Secrétaire Général de France Télévisions prend la parole et nous présente cet accord historique, entre le groupe public et la production indépendante qui constitue lui aussi une mutation clé du secteur de l’audiovisuel français.
Si l’accord peut sembler modeste au regard des mutations précédemment citées, il est très important pour France Télévisions et l’ensemble des producteurs, car le diffuseur public représente, en matière de création, la moitié des engagements des diffuseurs. Un acteur donc très structurant. Christian Vion note que cet accord est un outil et qu’il faudra juger de ce qu’on en fera. Il participera à coup sûr du développement du secteur et des nouveaux usages insuffisamment couverts par de la production spécifique.
L’accord illustre bien le partenariat entre France Télévisions et les producteurs indépendants. Il y a une convergence d’intérêts entre diffuseurs et producteurs français et un intérêt à se renforcer mutuellement pour faire face à la concurence. C’était, selon Christian Vion, la faiblesse des accords de 2008, qui ne soutenaient pas assez le préfinanceur qui prenait le risque en production.
La concentration du secteur témoigne de l’urgence à finaliser ce nouvel équilibre. Et, en ce sens, le très spectaculaire rachat de Newen par TF1 a fait bouger les lignes et sans doute provoqué une prise de conscience.
France Télévisions a un rôle double, d’éditeur et de préfinanceur
Le groupe public prend en charge la rencontre des programmes avec le public. L’accord de 2008 avait des faiblesses notamment l’incapacité à raisonner en bouquet. Mais, au fil des années, en préservant l’identité de chaque chaine, tous ont vu l’économie à organiser des synergies entre chaines d’un même bouquet. Le constat est le même chez les éditeurs privés.
Christian Vion souligne l’inadaptation de précédent accord aux usages numériques qui prévoyait un seul outil, le replay. Dans ce contexte, l’aventure Culture Box est menée depuis 5 ans sous forme d’expérimentation, car il n’y a pas de cadre juridique pour considérer cette offre stable.
D’autre part, le rôle de préfinanceur, d’investisseur. Il faut rappeler que l’éditeur prend un risque lorsqu’il coproduit et achète sur le marché. Ce sont les éditeurs historiques qui participent au financement de la création.
Sur ce rôle, France Télévisions a insisté sur plusieurs problèmes qui ont fait l’objet de cet accord « signé par les producteurs car ils ont trouvé un équilibre satisfaisant pour eux et dans lequel ils jouent pleinement leur rôle (financement bien en amont de l’intérêt des éditeurs, capacité à fédérer les talents) », précise Christian Vion.
Avant absence de droits de propriété ; aujourd’hui le diffuseur retrouve des droits avec les coproductions.
Avant plafonnement de la durée des droits. Ceux-ci ont été renforcés et intensifiés. Circulation à l’intérieur du bouquet possible.
La part trop réduite de production « dépendante ». Cette part a été relevée. En l’alignant sur la situation des diffuseurs privés.
Au terme des discussions : un usage numérique plus large pour correspondre aux mutations à venir.
Négocier un espace de souplesse pour s’adapter à l’imprévu
Christian Vion ajoute également qu’un engagement a été pris sur des programmes innovants, qui ne sont pas seulement des outils de politique publique mais aussi une stratégie de différenciation par rapport aux acteurs privés.
Cet accord porte aussi sur la transparence, un point important pour la visibilité sur la redistribution, des comptes de résultat, des budgets de production.
France Télévisions travaille avec 700 contractants producteurs. Le volume de l’offre impacte les commandes et le ratio de producteurs par rapport aux commandes. En ce sens, il faut rester vigilant à la dépendance. France Télévisions n’a pas de mission de structuration et souhaite être exonéré de cette obligation dans le choix de ses programmes.
En contrepartie des avancées pour le service public celui-ci a pris 3 engagements majeurs :
- Plafonnement de la durée des droits
- Engagement de 400 M€ par an pour la production indépendante
- Part dépendante modulée avec MFP notamment
Christian Vion précise en revanche : « Nous travaillons davantage sur des collections, des coproductions internationales ce qui pourra contribuer à structurer le secteur » sans que ce soit l’objectif affiché.
Le service public a besoin d’une production indépendante du fait de l’offre des chaînes avec un investissement sur les 4 genres de la création audiovisuelle. L’objectif : « S’inscrire dans un partenariat avec production indépendante, mais ne pas être les seuls. Nous souhaitons que les autres nous aident à soutenir ce secteur. »
Philippe Chazal souligne que la profession essaye de s’organiser par elle-même, par des initiatives d’auto-régulation, auto-consolidation.
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Enfin, Christophe Nobileau nous présente le cas de Newen, le groupe qu’il dirige, un acteur majeur de la production. Un groupe qui s’est constitué ces 8 dernières années avec l’idée de chercher à industrialiser et professionnaliser ce secteur quand on parlait de la crise de la fiction française. Face à ce constat, Newen a voulu se donner des moyens pour financer la R&D et proposer des projets pour fidéliser et exporter, en se concentrant d’abord sur les séries et le flux. Le flux dont on parle assez peu, car il n’est pas réglementé et bien souvent trusté par les sociétés françaises qui achetaient des formats étrangers pour les adapter.
Christophe Nobileau est convaincu que la France est véritablement un pays de création (au 4ème rang mondial pour le cinéma, 3ème pour l’animation et même 2ème pour les jeux vidéos). Collectivement, les producteurs, les diffuseurs ont fait avancer le secteur.
Aujourd’hui, Newen, c’est 8 formats vendus à l’étranger. Un chiffre en progression.
Il y a encore du travail mais on note la constitution d’un certain nombre de champions de la production, de la distribution, qui remportent un certain nombre de victoires.
La production a été touchée par un double mouvement : la baisse des prix et la hausse de la qualité. Dans ce contexte tendu pour les producteurs, la seule solution était de trouver des financements ailleurs et de miser sur la distribution.
Selon Christophe Nobileau, le mouvement est tellement rapide que la coproduction ne suffit plus, il faut être européen pour affronter la concurrence des gros groupes de filiales, des plateformes. Il explique : « Un gros français : c’était être 11eme dans le classement. Face à ce défi on aurait pu rester sur le marché domestique ou initier un changement significatif et passer au stade européen. »
Dans cette perspective, le groupe a trouvé avec TF1 un associé prêt à les accompagner dans la constitution d’un studio européen de référence qui met l’accent sur la création originale française.
Sur la question des contenus en langue anglaise, Christophe Nobileau répond par un positionnement stratégique en s’orientant vers du contenu français ou européen à vocation internationale. Comme les Scandinaves.
Versailles était un projet Capa, cinq ans après le tournage toujours pas abouti, le financement n’était pas complet. Il a fallu chercher des partenaires. Le groupe a finalement fait le choix de partir avec un seul diffuseur, CanalPlus, avec distributeur historique Marathon, devenu Zodiak Banijay. Si on cherche à faire du contenu français on cherche à créer de l’emploi en France. Pour ce genre de projets, il était obligatoire de tourner en anglais (2-3 fois moins de potentiel si tourné en français).
Il conclut : « On va rester français mais on va voir comment orienter ce groupe Newen avec l’intention de concentrer le cœur de production en France On a tous les talents nécessaires pour faire une industrie conquérante. Pour tout le monde il va falloir investir de plus en plus dans les programmes. »
Philippe Chazal note que le rapprochement avec TF1 s’inscrit dans une stratégie clairement énoncée dans le discours de Christophe Nobileau de la constitution progressive d’un groupe français de taille européenne et internationale.
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En fin de session, une question est posée sur le positionnement de MFP au sein de France Télévisions suite à l’accord. La filiale aura-t-elle le rôle de TF1 Production pour TF1 ou Studio 89 pour M6 ? Christian Vion répond que l’accord donne une possibilité plus importante de travailler avec MFP, une plus grande marge de manœuvre. Mais MFP sera en concurrence avec les producteurs : « Il n’y aura pas de case MFP dans la grille. »
Un membre souligne le problème de la formation parfois insuffisante sur la question des formats et le décalage entre le marché international, ses tendances et les équipes en place. Selon lui, il ne s’agit pas d’une crise de création mais d’une crise d’intermédiaires.
Philippe Chazal relève sur le point clé de la formation que des mutations là aussi sont à faire pour être plus adapté aux réalités des entreprises et du marché.
Christian Vion se montre rassurant et précise qu’il y aura espace dans la grille pour les nouveaux projets d’auteurs, les expérimentations.
Christophe Nobileau ajoute : « On a tous une responsabilité dans cette salle pour faire avancer les choses. Trouver collectivement les moyens d’être plus efficients et plus efficaces. »
La dernière question porte sur l’extension de la francophonie et la possibilité d’envisager des groupes francophones pour se développer. Christophe Nobileau précise que la Belgique et la Suisse ne possèdent pas de marchés suffisants pour des projets d’envergure. Quant au Canada, il est culturellement plus près des Etats Unis que de la France.
Fin de la table ronde consacrée aux mutations du secteur. Prochaine session en mars sur, les GAFA, les géants du web.