Session du 24/11/2014
Le Club Galilée organise aujourd’hui une séance de réflexions sur la radio et à cette occasion se penche sur son avenir. Autour notamment de la question : La radio, un média qui devient visuel ?
Philippe Chazal introduit la séance avec quelques mots sur le club, habituellement plus centré sur l’audiovisuel et la télévision. Il souligne que le Club s’attache à chaque fois à insister sur les contenus et à participer ainsi à la production d’un « état de l’art ». C’est le cas aujourd’hui dans le domaine de la radio avec le panel réuni.
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Serge Schick nouveau Directeur du Marketing et de la Stratégie du groupe Radio France intervient en premier, il propose un panorama du paysage radiophonique. Il a intégré Radio France il y a quelques mois et nous détaille les deux pôles d’activité de sa fonction :
- Un pôle études et connaissance du public (fidélisation et conquête de nouveaux publics, analyse des audiences et de l’offre). Ce pôle s’attache à la mise en place d’un marketing relationnel afin de créer une relation plus individualisée avec l’auditeur
- Un pôle consacré au développement de ressources propres, aux opérations de diversification Cette structure permet d’élaborer des stratégies plus performantes
Panorama du paysage radiophonique
Dans un premier temps, Serge Schick décrit le paysage radiophonique comme extrêmement concurrentiel.
Depuis le début des années 80, il y a eu une forte progression du nombre de stations concurrentes. Il souligne ensuite le caractère populaire du média radio et constate qu’aujourd’hui encore 80% de la population le consomme quasiment tous les jours.
Après l’analyse des deux dernières vagues, Serge Schick note une légère perte de vitesse de la radio observée sur l’ensemble de la population et pas seulement les jeunes. Cette baisse est placée sous le coup de la conjoncture, mais selon lui, c’est peut-être également structurel.
Troisième remarque. Serge Schick affirme que la radio publique vieillit : « on a une structure d’auditoire qui vieillit un peu plus que la population ». Une tendance qui peut être généralisée à l’Europe pour les chaînes du service public.
La radio propose une grande diversité de formats : entretiens, documentaires radiophoniques, interview, fiction. Serge Schic constate qu’une station telle que France Inter s’était un peu appauvrie en termes de diversité de formats. L’action a été menée pour revenir aux sources et diversifier les formats, sortir du cadre dominant de l’entretien. France Info a su trouver des formats plus réactifs, plus en lien avec la réalité. Mais elle doit davantage s’intéresser à l’actualité et moins au commentaire de celle-ci.
Si on raisonne en termes d’innovation, globalement ces chaînes ont connu une dynamique nouvelle. « Si la radio est un média d’habitude, ce n’est pas une raison pour ne rien changer ». Serge Schick remarque que c’est la première fois depuis 5 ou 6 ans que la rentrée de France Info est positive en termes d’audience.
Sur la radio visuelle, Serge Schick nous rappelle qu’il faut être prudent et ne pas se tromper d’objectif. Les études montrent qu’un public (notamment les jeunes) a adopté l’image de manière tendancielle. C’est devenu un réflexe d’usage. Pour chaque évènement important on veut voir l’image correspondante. En ce sens, depuis septembre, la matinale de France Inter est filmée. Dans ce contexte, l’image devient un support essentiel et permet d’être repris sur d’autres sites, de délinéariser le contenu sur les sites partenaires. Mais il ne faut pas que la radio devienne une télévision.
Selon lui, on ne peut plus être dans la même conception radiophonique. Le public est réactif et le son ne suffit plus. Cela fait partie des éléments d’actualisation à mettre en oeuvre.
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La parole est donnée à Silvain Gire qui a fondé Arte Radio en 2002. Dans le cadre d’Arte, une chaîne de télévision. En toute indépendance. Il s’étonne qu’on considère que l’avenir de la radio passe par l’image..
Arte radio ce n’est pas une radio qui diffuse en continu, mais la grammaire reste la même. Depuis 2002, 1941 témoignages ont été produits, ils ont tous été archivés sur le site. Les personnes découvrent des contenus plus anciens et cela développe un autre rapport à l’actualité
Une deuxième jeunesse de la radio
Selon Silvain Gire, on vit le deuxième âge d’or de la radio. Avec internet, la radio trouve une deuxième jeunesse. Il existe maintenant des festivals pour cet univers, des animations qui célèbrent la créativité et auxquelles beaucoup de jeunes générations participent. Il explique que les contenus du site sont à écouter à l’aide d’un casque binaural, qui reproduit la texture du son et donne une impression de relief. Une technique qui prolonge l’expérience et renforce l’aspect immersif. En ce sens, le principe d’Arte Radio s’apparente à la lecture, le temps d’écoute est plus long car on cherche avant tout une expérience. Cela fait naître des images. En résumé, cela crée une radio à réécouter.
Coup de projecteur sur un des programmes les plus écoutés qui s’intitule Là bas si j’y suis. Il s’agit d’un monologue monté sur une centaine d’extraits. Un format proposé par Olivier Minot, dans cette expérience, le son complète son propos.
Arte Radio accueille aussi des artistes en résidence.
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Albino Pedroia, Consultant, évoque l’exemple de la radio italienne RTL102.5 (aucun lien avec le groupe Bertelsmann) qui a introduit le système de la radio vision. La radio a une audience cumulée de 6.8 millions d’auditeurs par jour, dont 1.5 millions qui arrivent par la radio vision, donc la partie visuelle est un véritable atout. Un chiffre d’affaire annuel de 53 millions d’euros sachant que le 2ème acteur avec 3 radios réalise un total de 70 millions d’euros. Il souhaitait faire un focus sur cette initiative. Un radio en direct 24h/24, qui implique une autre scénarisation.
La vidéo vient enrichir le son et cela crée du trafic et génère un plus grand nombre de clics.
L’image pour être visible
Silvain Gire fait remarquer que Youtube est avant tout un média audio, les personnes y cherchent de la musique. Pax exemple, la chronique de France Inter avec François Morel est filmée mais l’image n’a aucun intérêt en soi, les personnes ne sont pas là pour le voir mais pour écouter sa chronique, la vidéo permet de renforcer la visibilité du contenu.
On n’est pas obligé de faire de l’image mais on est obligé d’être là où sont les gens, résume Silvain Gire.
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Après avoir dirigé Génération Fm, Bruno Laforestrie est arrivé à la tête du Mouv’ il y a peu. Dans ce contexte, il a engagé une réflexion sur la jeunesse et la radio.
On constate que 82% des 13-19 ans ont écouté la radio quotidiennement. Il en conclut donc que les jeunes continuent de consommer le média radio mais de manière différente.
« On air, online, on me »
Une consommation sur différents écrans, de manière plus délinéarisée.
Ces évolutions posent la question de la mobilité et de l’interaction permanente. Selon lui, le contexte radiophonique est particulièrement hétérogène.
Il prend l’exemple de la radio BBC1 dont l’audience moyenne ne doit pas dépasser les 30 ans. C’est une radio publique qui ne s’adresse donc pas à tous les publics. Elle déroge en ce sens au cahier des charges habituel des radios publiques. Une vision qui impacte l’offre en termes d’approche, de renouvellement, et de diversification de l’offre.
Bruno Laforestrie pense que le musical est transgénérationnel (cf. le succès de Stromae). Fort de ce constat, sa principale mission est de bâtir une grille pour les moins de 30 ans dans un contexte d’audience aujourd’hui faible.
Si les jeunes consomment la radio pour écouter de la musique, la première question à se poser est quelle est notre offre musicale. Au milieu de RMC et Skyrock, il peut se passer quelque chose, note le nouveau directeur du Mouv’.
Il explique également que le Mouv’ c’est aussi une rédaction de 10 journalistes qui réalisent un travail d’antenne.
Le site internet de la station continue de progresser. Le public est là, l’objectif est de faire en sorte qu’il nous écoute. Le support lié à la marque n’a pas subit de décrochage. Ce qui est positif.
Concernant l’image, regarder un animateur au micro ne fait pas une radio visuelle, il faut être plus innovant. La génération youtube veut de l’image. Cela nécessite un marketing antenne fort pour exister à des carrefours sur youtube.
Pour la suite, rendez-vous en janvier.
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Philippe Chazal rappelle que le service public doit se pencher sur le rapport qu’il entretient avec les jeunes. Qu’il s’agisse de radio ou de télévision les expériences n’ont pas été jusqu’à présent très concluantes. Un problème de déconnexion qui persiste.
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Xavier Filliol évolue en ce qui concerne la radio dans un monde purement numérique, il est le fondateur de mp3.fr.
Radioline est le premier portail radio en France. Il organise chaque année les rencontres radio 2.0, qui permettent le dialogue entre plusieurs métiers. Un lieu privilégié d’échanges dans lequel est abordée la question des frontières entre radio, pub et internet.
Il explique que la radio 2.0 possède une définition plus large que la webradio. Cela inclut également les plateformes de streaming et le live fm.
Aux Etats Unis, les éditeurs de musique ont perdu la bataille de la prescription musicale. Le public est parti sur deezer.
Une offre digitale en pleine expansion
Sur le digital, on constate une hybridation de l’offre. Les podcasts permettent une consommation en délinéarisé.
Un univers numérique complexe et multiple qui pose plusieurs questions. D’abord selon Xavier Filliol, on manque d’éléments de pilotage stratégique comme pour les grands groupes. De plus, le modèle économique est extrêmement compliqué. La publicité en ligne n’a pas réussi à se développer. On constate cependant une accélération de l’audience ; le chiffre d’écoute triple tous les 3 ans.
Focus sur la dimension immersive. 65% de l’écoute en ligne se fait via un casque. En ce sens, le binaural s’adresse à un large public. Concernant la TV connectée, on constate de nouveaux usages : 30% écoutent la radio via la TV connectée. Autre exemple : Carplay, nouvelle interface dans la voiture.
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Xavier Jolly est en charge de l’habillage, des jingles d’Europe 1. Il est le Directeur artistique de cette radio ; il est responsable du son qui en sort.
En introduction, il souligne la technique archaïque de la mesure d’audience radio, une enquête qui se concentre sur un souvenir sonore très flou, sur le déclaratif par rapport à l’écoute passée.
Son objectif est de faire en sorte que l’identité sonore d’Europe 1 existe et perdure. Il est responsable de la couleur sonore de la radio. Xavier Jolly est aussi à la recherche de cohérence : à tout moment on doit savoir qu’on est sur Europe 1.
La radio essaye d’aller vers une radio visuelle. Depuis un an, il existe un réalisateur par émission à Europe 1/ Il s’interroge : TV low cost ou radio améliorée ?
Dans cet univers, on essaye de chercher et de trouver une identité forte.
Le son domine et imprime le rythme
C’est le son, la voix qui divise le temps. Le rythme est sonore et la vidéo vient enrichir. Il est important d’avoir des images de qualité sans que cela devienne trop cher. Cela compte pour la politique, pour les invités.
C’est encore de la préhistoire, souligne-t-il. On essaye de trouver des formes, d’inventer une nouvelle grammaire pour lier l’image et le son. Par exemple, l’émission d’Hanouna est montée : la voix restera primordiale.
Il faut également s’interroger sur la monétisation de la vidéo, qui est toujours plus rentable qu’une bannière sur un site. 90% des flux vidéo sont vendus, pour les bannières, c’est plus fluctuant.
Il y a une nouvelle génération qui s’intéresse à l’audio pour ce qu’il est, c’est-à-dire du son avant tout. On pense qu’il y a un formatage général, en réalité c’est l’inverse qui se passe. Le champ des possibles est quasiment infini.
Il est intéressant de noter que le succès des podcasts de France Culture précède l’antenne. Le hertzien n’est peut-être pas la bonne façon d’écouter la radio pour des contenus travaillés et culturellement intéressant.
Le podcast sert une logique de collection. On observe que l’été, certaines personnes se réservent des émissions, des contenus à écouter plus tard.
Pour Silvain Gire, les radios libres ont permis l’émergence d’un certain ton. Elles s’adressaient à un public plus jeune. En ce sens, le privé a rempli son rôle citoyen.
En conclusion, il y a deux types de radio :
- Une radio d’accompagnement, de complicité. C’est le flux
- Une radio d’écoute, de podcast, d’immersion
Dans ce nouvel univers, l’image a un rôle à jouer pour permettre aux radios d’être visibles et de faire circuler leurs marques sur tous les supports digitaux.