Evaluation des politiques publiques - séance du 15/02/2013
Comme l’année dernière le Club Galilée est cette année partenaire de la Social Media Week, manifestation qui se déroule cette semaine dans plusieurs villes du monde entier, qui a pour thème "L’Empowerment" et qui rassemble de très nombreuses manifestations dont la session du Club de ce soir.
***
Le Club Galilée consacre sa séance à la question de l’évaluation des politiques publiques dans les médias.
Un questionnement dont le Club se fait une priorité pour deux raisons majeures : d’une part le secteur des médias est peu évalué et d’autre part il s’agit d’un secteur très réglementé et qui a connu une accumulation de dispositifs économiques et financiers.
Philippe Chazal souligne également en introduction que l’évaluation des politiques publiques doit être une préoccupation centrale à l’heure de la crise, de la mutation du secteur et de la convergence numérique.
La table ronde réunit plusieurs intervenants qui apportent tous un éclairage sur le thème de l’évaluation des politiques publiques : Françoise Miquel, chef du contrôle d’Etat et Marc Tessier, inspecteur des finances et ancien Président de France Télévisions mais aussi Christian Kert, Vice-président du groupe UMP de l’Assemblée Nationale et enfin deux économistes, Marc Ferracci et Etienne Wasmer.
***
Marc Ferracci est l’un des auteurs de l’ouvrage « Etat moderne, Etat efficace », il est invité à prendre la parole en premier pour donner une définition de l’évaluation à travers le prisme de l’économiste.
Il rappelle en premier lieu que l’un des objectifs de l’ouvrage est de sensibiliser la société française à la culture de l’évaluation. Le terme « évaluation » sur le plan économique a une définition qui repose sur des indicateurs à la fois qualitatifs et quantitatifs et sur une démarche de collecte de données.
Dans l’exposé de sa méthodologie, Marc Ferracci précise l’existence de biais dans la collecte et rappelle la présence d’autres facteurs tels que l’environnement économique. Il faut aussi parler d’évaluation en termes d’impact ; les politiques publiques peuvent avoir des effets qui dépassent les résultats escomptés. Ce sont des effets non anticipés ou indirects.
Marc Ferracci explique en outre que, pour évaluer, il faut construire un contre factuel crédible autrement dit reconstruire la situation qu’aurait connue le bénéficiaire d’un dispositif sans bénéficier de ce dispositif. Dans le cadre d’une politique publique appliquée médias, il est essentiel de définir les bons indicateurs pour chaque politique publique.
En France, il souligne que les principes d’évaluation sont loin d’être systématiquement mis en œuvre. Un des obstacles majeurs est un déficit d’indépendance. Les organismes sont trop souvent en fait subordonnés au pouvoir exécutif, ce qui amoindrit l’efficacité de l’évaluation.
Marc Ferracci milite en faveur d’une évaluation plus professionnelle et plus indépendante. En conclusion, il rappelle que la culture de l’évaluation doit irriguer la société et l’opinion publique.
***
Françoise Miquel est chef du contrôle d’Etat, elle est en charge depuis sept ans du contrôle économique et financier de l’ensemble des entreprises audiovisuelles publiques. Elle pose en introduction dans le cas du service public en matière d’évaluation, une des questions principales de cette séance : les finalités du service public de l’audiovisuel sont-elles bien remplies ?
Françoise Miquel nous avertit : il y a un délai de cinq ans dans les contrats d’objectifs et de moyens entre la préconisation et l’action dans le cadre de l’audiovisuel public qui requiert en fait un ajustement permanent des objectifs. Elle note également que depuis 1996, le contexte a beaucoup évolué.
Françoise Miquel participe aussi parallèlement à la révision générale des politiques publiques (RGPP2) du ministère de la culture.
La définition des objectifs du service public est négociée avec l’Etat à travers le contrat d’objectifs et de moyens. Il manque une réflexion stratégique sur les objectifs du service public. Pour Françoise Miquel l’un des enjeux doit être la création et l’information.
La logique de la justification au premier euro impose précisément ces politiques d’évaluation. Le secteur audiovisuel puise ses ressources majoritairement dans des ressources publiques en l’occurrence la redevance. Les activités de diversification sont encore marginales. Elle anticipe les perspectives d’avenir. Justifier les investissements du service public, c’est d’abord une ambition démocratique, mais c’est également une nécessité économique et financière qui permet d’évaluer l’efficacité de l’action. Il faut rendre compte aux Français de l’usage de la redevance.
A titre d’illustration, Françoise Miquel nous présente Les premières pages du projet annuel de performance qui examine le couple objectifs/indicateurs. Dans le cas de France Télévisions, le 1er objectif est le suivant : « proposer une offre de service public axée sur la création française et européenne dans un univers de média global ».
Françoise Miquel souligne alors la contradiction d’un tel objectif centré sur le soutien au secteur de la production qui apparaît comme une priorité à la lecture de ces premières avec ce que pourraient être les attentes d’un public populaire. Cela souligne que France Télévisions fait une grille de programmation sous contrainte. Cela est aussi révélateur de l’ambiguïté du rôle assigné à France Télévisions qui doit proposer des programmes culturels de qualité, soutenir la création mais en même temps s’adresser au public le plus large, à tous les Français.
Un des indicateurs correspondant à des objectifs d’avenir, c’est la part de l’offre proposée en délinéarisé, un critère d’évaluation qui permet d’analyser l’exposition des programmes sur le web, une fonctionnalité qui doit monter en puissance chez les chaînes et en particulier publiques. Françoise Miquel interroge la pertinence de cet indicateur qui ne met pas en avant les programmes spécifiquement pensés pour le web.
« S’adresser au public le plus large dans un environnement numérique » est un objectif majeur dans le cadre du COM. A cela correspondent deux indicateurs : l’audience des chaînes d’une part et le taux de pénétration des sites internet d’autre part. Mais globalement on doit reconnaître que la notion de public apparaît en deuxième seulement.
Les chaînes privées participent elles aussi au financement de la création en contrepartie de l’allocation gratuite de leur fréquence par le CSA. Françoise Miquel insiste sur cet aspect et dénonce le faible investissement des chaînes privés en comparaison avec les obligations de production que le service public doit respecter.
***
Christian Kert prend la parole et nous présente le travail du parlement, de l’Assemblée Nationale en particulier et de la Commission des affaires culturelles sur cette question de l’évaluation des politiques publiques. Il nous précise que l’Assemblée Nationale s’intéresse aux stratégies de l’audiovisuel public et qu’elle réalise une action de régulation. Le contrat d’objectifs et de moyens signé par les chaînes est désormais examiné par la commission. Elle réalise un vrai travail de mise en cohérence entre objectifs et moyens.
***
Le député prend l’exemple du CNC et de la taxation du billet pour financer la création. Il se félicite de cette mesure qui apporte un vrai soutien financier au cinéma et produit une action directe sur la création cinématographique et le cinéma, un secteur pour lequel la notion de risque est grande.
Avec un soutien à la diversité du cinéma. Il s’agit bien du propre du cinéma que de financer des films qui ne trouveront peut-être pas leur public.
Marc Tessier prend la parole et souligne également les propriétés intrinsèques de cette industrie du risque.
Françoise Miquel rappelle de son côté que France Télévisions se voit contraint de financer des films sans pouvoir ensuite les diffuser sur ses chaînes.
L’Assemblée Nationale se préoccupe également de la création et se concentre sur un travail de recentrage des aides afin de les rendre plus efficaces. Cela requiert une évaluation de ce que les aides doivent apporter. L’exemple de la presse est particulièrement significatif. L’Assemblée nationale est là pour aider son passage en ligne et soutenir sa mutation.
Christian Kert rappelle le caractère évolutif du secteur des médias qui nécessite une évaluation qui sache s’adapter. Il faut cependant s’en tenir à l’évaluation des stratégies et non de moyens car France Télévisions doit rester une entreprise autonome.
L’Assemblée Nationale porte une triple mission d’incitation, d’évaluation et de contrôle, elle exerce aussi une mission de suivi des évaluations des politiques publiques.
***
Marc Tessier prend la parole d’abord en tant qu’ancien Président du service public de l’audiovisuel. Il commence par replacer dans son contexte historique le COM et cette problématique d’évaluation des politiques publique dont le club se fait le relai aujourd’hui.
Le premier contrat d’objectif et de moyens de France Télévisions est signé en 2001 puis aussitôt rendu caduc suite au changement de gouvernement.
La discussion et la mise en place du COM est avant tout un travail d’explicitation. Il témoigne d’une prise de conscience par les pouvoirs publics de la nécessité de donner un cadre au service public. Marc Tessier nous explique que la classe politique était convaincue qu’il devait y avoir un service public sans pour autant se pencher précisément sur les fonctions qu’il devait remplir.
Apparaissent alors plusieurs critères qui révèlent une nouvelle fois le caractère ambivalent donné au service public de l’audiovisuel : diversité/pluralisme et audience grand public/audience des publics. Marc Tessier met l’accent sur cet indicateur qu’est la notion d’audience et se demande s’il faut parler d’une audience au singulier ou des audiences au pluriel comme une accumulation de plusieurs audiences aux profils différents. Pour lui, l’indicateur en ce domaine doit mesurer un grand nombre de programmes et de chaînes.
Marc Tessier pense qu’une des principales justifications du service public n’est pas son pourcentage de financement des œuvres mais sa capacité à mettre en valeur son offre dans le domaine de l’information et en particulier du débat et du documentaire.
Françoise Miquel fait remarquer le cas de la chaîne Arte et note avec ironie que tout le monde déclare aimer les programmes de la chaine alors que les audiences le démentent. Ce à quoi, Marc Tessier répond qu’il est possible de souhaiter que la chaîne existe sans avoir l’habitude ni même l’intention de la regarder.
Sur le thème de l’évaluation des politiques publiques, Philippe Chazal ajoute que la créativité fiscale des pouvoirs publics dans les domaines de la création et de la culture serait un domaine dans lequel pourrait s’exercer une évaluation. Cela fait référence à une précédente séance du Club où le cabinet Ernst&Young nous avait présenté leur travail de recensement des politiques fiscales du secteur.
De même, l’évaluation pourrait aussi porter sur les aides au cinéma et à l’audiovisuel, sont-elles toutes adaptées à la situation actuelle et future alors qu’elles ont été mises en place il y a plus de vingt ans pour la plupart.
***
Etienne Wasmer boucle cette table ronde et précise qu’évaluer est toujours difficile entre autres car le résultat obtenu est brut, qu’il demande donc une interprétation mais aussi une analyse pluri-regard.
Si la méthodologie de l’évaluation est appliquée au monde complexe des médias, on relève par analogie plusieurs objectifs : un objectif quantitatif qui serait l’audience, un objectif qualitatif qui serait la satisfaction et un objectif externalisé qui serait la création.
Il rappelle que financer des activités dite risquées comme le cinéma se fait avec l’ambition qu’elles auront un impact sur la société. Il explique également qu’une bonne évaluation se fait dans le doute en croisant un regard quantitatif et qualitatif.
Etienne Wasmer note la possible présence de conflits d’intérêts lors d’évaluation. Il insiste sur la nécessité de ce qu’il nomme l’ « accountability » (vérifier que les objectifs sont suffisamment transparents) et l’utilité du benchmarking.
Stéphane Martin prend la parole au nom de l’ARPP et souligne que la lecture de la réglementation de la publicité n’est plus à jour. Dans ce contexte il propose par exemple qu’une évaluation soit faite dans ce domaine.
L’objectif avant tout des évaluations des politiques publiques doit être de les rendre visibles pour les citoyens, par exemple il est essentiel que le contrat d’objectifs et de moyens soit compréhensible par tous.
Cette séance a permis d’entendre des intervenants au cœur de l’évaluation des politiques publiques qui ont en matière de médias un impact. L’interrogation sur le rôle du service public reste centrale. Celui-ci étant une entreprise dont les finalités, nous l’avons vu au travers du témoignage de nos intervenants, sont parfois ambigües voire contradictoires.
Philippe Chazal annonce la création d’un atelier sur cette question centrale pour le secteur des médias.
Le Club organise une prochaine séance le lundi 12 mars sur un tout autre sujet : la guerre des fréquences entre Télécom et Télévision ou la TNT/4G.