La séance du 18/04/2011 fait suite à une première séance du club sur le « dividende numérique » et entrait en pleine résonance avec l'actualité car elle concernait les chaînes bonus. L'objectif était d'en cerner les enjeux. L'élargissement de la TNT peut-il permettre à la création de se développer ? Quatre professionnels sont intervenus sur le sujet : Rodolphe Belmer pour Canal +, Jérôme Caza pour le SPI, Pascal Rogard pour la SACD et Gérald-Brice Viret pour NRJGroupe.
Après un bref rappel du calendrier des réunions du club et des prochains thèmes abordés par Philippe Chazal, Gérald-Brice Viret est le premier à prendre la parole et précise d'emblée que NRJ est concerné par le dividende numérique, en effet des ressources sont disponibles. Il affirme également que s'il y a un appel d'offre, le groupe sera candidat. Il faut cependant être attentif et s'interroger sur quels contenus privilégier par rapport aux publics et à leur habitudes d'écoute. La TNT représente aujourd'hui 21 % d'audience nationale et ¼ du marché publicitaire mais possède seulement 5 ans en termes de qualité, ce qui reste peu. En ce sens, l'ambition de NRJ est de « pérenniser son pôle audiovisuel », comme le font aujourd'hui les groupes Nextradio TV et Bolloré Média.
Déjà détenteurs de NRJ12 en national et NRJ Paris sur le réseau local, le groupe NRJ a formulé deux projets de chaînes bien distincts : une chaîne féminine ChérieHD, d'une part, et une chaîne autour de la marque Nostalgie, d'autre part. Si la régie publicitaire semble préférer celle pour les femmes, Nostalgie TV bénéficie d'un univers de marque positif et auquel les personnes se réfèrent. Dans les deux cas, cela exprime une identité forte du groupe. NRJGroupe souhaite une chaîne en HD et envisage un budget de 60-70 Millions d'euros pour le démarrage et considère que cet élargissement est une nouvelle étape pour l'offre.
La crainte de provoquer un déséquilibre et de se retrouver avec des chaînes déficitaires ou bien encore de tuer d'autres chaînes déjà existantes est vite écartée, lorsque Gérald-Brice Viret explique que de nouveaux modèles économiques propres à la TNT ont émergés liés en partie à des baisses de coûts de production, rendant alors des chaînes avec 1.5 d'audience bénéficiaires. Rodolphe Belmer prend ensuite la parole et explicite le choix de Canal + d'obtenir une chaîne bonus qu'il préfère désigner « chaîne compensatoire » plus directement lié aux raisons de leur mise en place, en effet, avec l'arrivée de nouveaux entrants sur la TNT, les chaînes historiques auraient besoin d'un compensation. Il insiste sur l'aspect culturel de ce choix, étroitement corrélé à la stratégie de programmation du groupe Canal +. La vague digitale qui touche le monde en général et l'audiovisuel en particulier plonge le milieu dans un univers de concurrence exacerbée. Tous les récepteurs que nous utilisons seront connectés poussant alors à une fragmentation et une délinéarisation de la consommation. Les contenus pourront être vus sur de nombreux supports différents, sans être tributaire d'une programmation de chaîne. Le phénomène de fragmentation concerne aussi bien l'offre audiovisuelle que l'audience.
Pour Rodolphe Belmer, le danger le plus important et le plus immédiat pour les chaînes est le risque de « desintermédiation ». De nouveaux acteurs sur le marché tels que Google, Apple ou Netflicks sont en train d'acheter des programmes, une autre conséquence de l'arrivée de la télévision connectée, prévient-il. Dans ce contexte, les chaînes doivent s'armer et se préparer pour affronter ces bouleversements, et s'interroger vivement sur comment créer de la valeur ?
Sur ce point, la position de Canal + est claire : Ne pas se reposer sur les séries américaines. Rodolphe Belmer affirme que pour se détacher de la dépendance des contenus américains, il faut absolument adopter « une ligne éditoriale exclusive, distincitve et originale. » Pour ces raisons, Canal + investit prioritairement sur le sport, car il est difficilement désintermédiable, le direct prime, la création originale, sur laquelle Canal + s'est beaucoup investit ces dernières années, et le cinéma français, qui requiert, selon le groupe, un éditeur fort, qui saura mettre en avant toute la valeur du produit.
Le monde audiovisuel globalisé, que nous connaissons aujourd'hui, se caractérise par un univers de la demande. Rodolphe Belmer revient sur la notion d'exception culturelle, qui, selon lui, est avant tout rendu possible grâce au quottas de production imposés aux chaînes, dans leurs chartes, qui organisent la consommation. Aujourd'hui, le système est différent, il n'est plus possible de structurer l'offre, car les contenus circulent librement et ce, à l'échelle mondiale. En conséquence, il faut produire des contenus « excitants » et « de classe mondiale » c'est à dire comparable aux standards mondiaux. Selon Rodolphe Belmer, la consommation non linéaire concerne prioritairement les programmes très marketés qui jouissent d'ores et déjà d'une forte notoriété. En effet, dans une stratégie de la demande, il est impossible que le public réclame un produit audiovisuel qu'il ne connaît pas encore. En revanche, certains programmes, notamment les productions françaises, ont besoin d'un éditeur, qui jouerait un rôle de prescripteur et de valorisateur, pour se faire connaître, une fonction remplie par Canal +.
Pour ce faire, le groupe a deux logiques : développer la coproduction internationale, d'une part, afin d'agréger aux projets de Canal des financements complémentaires, et étendre le nombre d'offres, d'autre part. C'est précisément dans cette seconde logique qu'intervient le projet de Canal 20, la chaîne bonus du groupe. Rodolphe Belmer affirme que Canal 20 répond à l'intensification de l'univers concurrentiel et la banalisation des programmes américains tout en s'imposant comme complément au dispositif de la chaîne cryptée. Concrètement, Canal 20 possédera la même ligne éditoriale que Canal +, et sa cible publicitaire sera aussi celle des CSP+, une niche peu servie malgré les demandes des annonceurs, selon l'intervenant. Les deux chaînes seront cependant bien distinctes avec leurs programmes propres. La mise au point de Canal 20 permettra d'apporter davantage de financement à la création et d'assurer au groupe Canal + un avenir harmonieux, selon les mots de son directeur général délégué.
Pascal Rogard s'est ensuite exprimé au nom de la société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). Il rappelle d'emblée que le débat sur les chaîne bonus est à présent un problème européen. Bruxelles a appliqué au secteur audiovisuel des pratiques du paquet télécom. L'intervenant fait aussi remarquer que l'obtention d'un canal supplémentaire provoque l'apparition de cinq nouveaux concurrents, puisqu'il y aura probablement un chaîne pour TF1, M6 et Canal + mais aussi pour les nouveaux entrants, arrivés en 2005 avec la TNT, c'est à dire, NRJGroupe, NextradioTV et Bolloré Média.
Pascal Rogard soulève plusieurs questions fondamentales. Nous sortons d'une crise du marché publicitaire, ces chaînes bonus vont-elle accroître les recettes publicitaires ou au contraire les faire chuter ? En outre, il met l'accent sur le problème de couverture des chaînes de la TNT et rappelle qu'il est absolument impératif que l'ensemble de la population puisse avoir accès à la totalité des chaînes disponibles.
Enfin, la SACD reste dans l'expectative quant à ce débat, attendant de voir les engagements concrets pris par les chaînes notamment en matière de création, des projets plus précis qui suivront les directives gouvernementales.
Le dernier intervenant est le directeur du collège télévision du SPI, Jérôme Caza. Il a résumé la situation en s'appuyant sur les derniers chiffres du CNC. Selon lui, cette question des chaînes bonus est tout à fait en lien avec l'actualité, les bons résultats des chaînes privées, le débat sur la télévision connectée et la sortie de crise du marché publicitaire. Constatant que les investissements des chaînes audiovisuelles privées dans les œuvres audiovisuelles françaises ont baissé de 6%, Jérôme Caza insiste sur l'objectif premier des chaînes compensatoires qui est une participation renforcée pour inciter les nouvelles chaînes à participer au financement de fictions françaises, de documentaires...
S'il remarque que Canal 20 semble pouvoir contenter l'appétence du public pour les créations originales, il pose, cependant la question encore sans réponse : le marché pourra-t-il absorber autant de chaînes ?
Au bilan de cette cession du club, une vision plus claire sur les objectifs des chaînes bonus mais aussi les interrogations qu'elles suscitent. Plusieurs éléments furent mis en perspective, le débat sur les chaînes bonus est en effet à mettre en lien l'arrivée de la télévision connectée, car cela explique en partie les motivations de certaines chaînes à bénéficier de l'élargissement de la TNT, de plus la question de la création et de son financement en France.