Compte rendu de la session du 28/09/2015
Philippe Chazal accueille en cette rentrée 2015 les membres du Club et rappelle les différents travaux du Club sur la dernière période.
D’une part est à la disposition des membres un dossier intitulé « Une nouvelle approche économique de l’audiovisuel » qui rassemble les 12 séances tenues par le Club depuis 3 ans qui ont eu pour ambition de présenter l’audiovisuel aussi comme un secteur comme un autre en insistant sur son poids économique, son potentiel de croissance et de création d’emplois… et de défendre l’idée qu’il doit être traiter comme tel en bénéficiant des dispositifs auxquels accèdent tous les secteurs tels que la BPI, les investissements d’avenir, le CIR, le CII…
D’autre part le Club Galilée a coopéré avec le « think tank » généraliste « terra Nova » afin de mener un travail de réflexions sur la télévision publique française en défendant la nécessité de reconstruire un « nouveau contrat social » entre France Télévisions et la société française. Ce travail qui s’est déroulé de Janvier à Mai a donné lieu à la parution d’un document commun disponible sur les sites des deux partenaires.
Enfin rappelons que la Fabrique des Formats, cluster issu des réflexions du Club a remis en partenariat avec TV France International cette année, pour la deuxième édition, début septembre, dans le cadre des Journées de TVFrance International les deux prix formats ; le premier qui récompense le succès à l’exportation d’un format de création française a été décerné au jeu SLAM et le second prix format qui récompense plutôt une approche innovante dans ce domaine est allé au format de série 10% et au format documentaire 24h, tous deux sont bien entendu des créations françaises.
En cette rentrée, le Club Galilée s’intéresse se concentre sur l’actualité de la télévision des nouveaux programmes proposés mais avec leurs développements numériques et leurs stratégies digitales.
Philippe Chazal présente le panel et les enjeux de la session.
La parole d’abord à Benoît Thieulin, le Président du Conseil National du Numérique (CNN), invité de référence de la session, qui rappelle ce qu’est le CNN et ensuite propose une introduction à la table ronde.
La convergence numérique, enfin
Benoît Thieulin rappelle que cela fait bientôt vingt ans qu’on annonce la convergence entre numérique et audiovisuel.
Elle s’impose aujourd’hui dans les discussions mais aussi dans les faits, et les programmes de la rentrée sont en train de le montrer.
A la tête du CNN depuis plusieurs années, Benoît Thieulin a initié un travail sur les questions de fiscalité numérique. Il a ainsi mis en avant un problème d’iniquité fiscale posé par les géants du numérique, ce qui déstabilise l’économie numérique.
Les principes. Le CNN s’est aussi intéressé à la question de la neutralité du net. Le principe d’égalité plongé dans les infrastructures du réseau. Internet est à l’origine un réseau de distribution égalitaire, il traite tout le monde sur le même principe, voilà un facteur essentiel de la liberté d’expression.
Dans les faits, nous savons que les grandes plateformes imposent une hiérarchie, elles sont les nouvelles portes d’entrée et en ce sens dictent leur loi. Selon lui, il est primordial que l’égalité ne concerne pas seulement les infrastructures. Il faut ainsi réfléchir à ce qu’est une économie de plateforme.
Benoît Thieulin se dit favorable à un principe de loyauté. Il explique qu’une plateforme n’a pas à être nécessairement neutre, en revanche elle doit avoir un concept de loyauté vis-à-vis de son écosystème.
Il y a cinq ans le numérique était perçu comme un secteur, ou comme un média. Aujourd’hui il impacte toute la société et conduit à un phénomène de transformation globale de l’économie.
Benoît Thieulin pense de ce fait que le champ de l’audiovisuel n’en est qu’au tout début de cette évolution et ce qui fait bouger les choses, c’est l’équipement. Un exemple : il précise que d’ici trois ans, tous les trains bénéficieront d’une couverture 4G. Il y a fort à parier que les usages suivront. Pour une réelle consommation de contenus en mobilité.
Quelle stratégie pour les plateformes ?
Les plateformes et les agrégateurs se développent dans ce monde audiovisuel et numérique globalisé. C’est une des tendances qui s’imposent en cette rentrée.
Jean-Marc Lacarrere dirige la plateforme CanalPlay, un service de VOD détenu par Canal+. Il pense que les usages ne sont pas décorrélés des contenus. Il faut sans cesse observer et analyser les uns et les autres.
La plateforme possède des outils de plus en plus fiables pour innover dans les contenus et se concentre sur le format de la digitalsérie.
Plus largement, l’un des objectifs de CanalPlay est de trouver de nouveaux talents. Et devenir ainsi une référence de la VOD en même temps qu’un prescripteur avisé.
Jean-Marc Lacarrere fait une remarque sur le titre de la session qui laisse supposer que l’audiovisuel est en dehors du numérique. Selon lui il s’agit bien d’un univers global. On est au milieu de l’écosystème et il faut agir en conséquence, estime-t-il.
Les équipes de CanalPlay regardent où se situent les potentiels de croissance de marché. La plateforme est historiquement très présente sur les FAI, où elle a réussi à se faire une place.
Les téléspectateurs aujourd’hui veulent consommer autrement et faire eux-mêmes leurs agrégations de séries.
CanalPlay est très attentif aux nouveaux phénomènes. Par exemple : Molotov. On ne sait pas encore ce à quoi aboutira cette expérience, explique-t-il, mais on garde un œil sur l’innovation.
Autre plateforme, autre stratégie : Dailymotion. Thomas Leroy est nouvellement nommé au poste de directeur des contenus de l’agrégateur de contenus.
Arrivé il y a quelques semaines, il a évolué auparavant au sein d’Universal où il a créé une webTV.
Dailymotion est le partenaire privilégié d’échange et de recherche. Le but est d’adresser mieux les contenus. Mais aussi pour la plateforme d’engager un développement international. La plateforme a un rapport historiquement spécifique à la France avec un financement qui est spécifique.
Pour alimenter la réflexion générale sur les dispositifs de création digitale et leurs modèles économiques, il explique qu’il existe beaucoup de manières de produire sur le web, aucune n’est simple. Mais il y a beaucoup de choses encore à inventer.
Le point de vue des producteurs sur les nouvelles tendances de la rentrée
Deux formats audiovisuels qui font l’actualité de la rentrée en termes de programmes.
Harold Valentin, producteur, vient présenter une nouvelle série de fiction : 10%. Une série française ambitieuse. Qui est un format audiovisuel. D’ailleurs la Fabrique des Formats et TV France International l’ont à ce titre récompensé par un prix spécial. La série intéresse l’international. Un programme prévu en programmation en Octobre sur France 2 et déjà beaucoup relayé par la presse.
Une idée de Dominique Besnehard ; c’est une série sur la vie de ce célèbre agent français d’artistes. Le projet a été long a développer et à monter. Deux producteurs se sont associés dont Harold Valentin. Au départ la constitution d’un atelier d’écriture de 6 auteurs de 25 à 38 ans. La deuxième saison est déjà engagée alors que la première n’est pas encore diffusée. C’est rappelons le ce rythme là qu’il faut être capable de tenir dans ce genre de format. Un remake américain est déjà envisagé.
La fiction est adossée à des médias traditionnels avec en complément des vidéos courtes qui seront diffusées sur Vine.
Une saison 2 en écriture pour une série qui marie plusieurs univers. Pour Harold Valentin, ce qui est important c’est le contrat de départ, en fonction du support principal. D’abord pour la télévision. Et le montage financier avant tout grâce à l’économie de celle-ci.
Il se concentre avant tout sur l’histoire à raconter et l’univers de la série. Des développements second écran seront envisagés pour la prochaine saison.
Harry Tordjman nous présente après « bref » son nouveau format court qu’il produit pour Canal+.
#Bloqués est un plan fixe avec deux comédiens (deux rappeurs) diffusé 3 fois par semaine dans le cadre du Petit Journal. Le projet est né parce que My Box Productions, la société d’Harry Tordjman, avait produit un numéro spécial de Bref pour les 30 ans de Canal+. Les deux rappeurs ont improvisé et de là est venue l’idée d’en faire un programme à part entière.
Le producteur a saisi l’opportunité et 5 épisodes ont été pilotés.
Le format est pensé comme un programme qui peut être vu sur internet, pour une consommation non linéaire. C’est une des nouveautés de cette rentrée que de penser d’abord pour quels écrans avant d’écrire et de produire. Une nouvelle génération de producteurs et d’auteurs a de plus en plus le réflexe de se poser cette question au départ.
Dès le début, la réflexion s’est portée sur les supports et les écrans de diffusion. Chaque épisode est disponible sur Youtube 24h après la diffusion hertzienne. Des comptes Facebook, Twitter, Vine et Snapchat ont été associés, et ce, dès le lancement de la série, avec des contenus exclusifs, pensés pour ces supports.
Harry Tordjman est très heureux de la réception du programme, le plus vu sur canalplus.fr avec une vraie liberté de ton.
Jean-Marc Lacarrere précise que c’est une question de postionnement adopté par les plateformes et les producteurs de contenus que de penser inédit.
CanalPlay essaye de faire du feuilletonnant et ainsi développe moins son offre de formats courts.
Transmédia, multiécran : extension du domaine de la création
Ou quand la fiction dépasse les frontières du poste de télévision.
Deux experts du multiécran et des projets plurimédias nous présentent plusieurs formats innovants, témoins de la vivacité de la création audiovisuelle et digitale.
Julien Aubert a fondé une webagency spécialisée dans le marketing digital qui accompagne les producteurs et les diffuseurs sur la narration multi-support.
Bigger Than Fiction met en place des stratégies « user centric » et travaille sur la question du type de téléspectateur et à ses modes de consommation associés. Selon lui, les réseaux sociaux sont aujourd’hui en termes de partage collectif le programme télé d’hier. Le besoin de partager la télévision persiste, il se fait aujourd’hui en ligne ou via des applications, sur Facebook par exemple. Pour illustrer ce phénomène, il présente 3 développements innovants.
1- Le film interactif.
Il y a une empathie de la part des créateurs de contenus pour les nouvelles formes de narration. Exemple : Steven Soderbergh qui co-produit une fiction. HBO propose une nouvelle façon de vivre une histoire et de la partager.
2- La réalité virtuelle
Les lunettes immersives ont donné de beaux exemples de créations innovantes :
- The Expense (SyFy)
- The Insiders (un film d’horreur américain). La distribution a organisé une séance en amont dans un cinéma
- Les Video Music Awards de MTV. La technologie permettait d’être virtuellement en direct sur le tapis rouge de l’évènement
3- Slow Moscau
Un projet en partenariat avec France 4, initié suite à l’expérience Tokyo Reverse qui avait été remarquée et suivie. A la clé, un succès de la stratégie digitale car l’audience web égalait l’audience TV. Dans ce cas, c’est la télévision qui jouait le rôle de second écran.
Nouvelle expérience immersive avec Slow Moscau qui se présente comme un projet purement transmédia. Toutes les 10 minutes, le comédien prend une photo qui sera visible sur les réseaux sociaux seulement, précisément sur Snapchat.
Enfin, Antoine Allard nous présente les Nouvelles écritures de France Télévisions, un département à mi-chemin entre le digital et les programmes, même si tous les projets n’ont pas vocation à être diffusés à la télévision.
Depuis sa création il y a quatre ans, le département évolue et ses acteurs pensent aujourd’hui que le premier écran c’est le téléphone portable.
Les nouvelles écritures accompagnent les programmes de l’écriture à la mise sur le marché, c’est-à-dire la distribution. Il y a trois grands types d’activités :
- Le transmédia
Penser les programmes TV avec des contenus dans un univers narratif donné qui se déploient sur plusieurs médias. Prolongement de l’expérience.
- La plateforme IRL (« in real life »)
Le mot d’ordre : créativité. Elle met en avant des formats qui commencent à être connus
- Le développement d’outils numériques pour la recherche narrative
Des expériences innovantes comme par exemple « Wei or die » qui est une plongée dans un weekend d’intégration qui tourne mal. La police récupère toutes les vidéos qui ont été produites par les téléphones portables des personnes présentes pour reconstituer la soirée. Pour le consommateur, un format participatif grâce auquel il peut créer sa version personnelle de l’histoire.
Antoine Allard note que la réalité augmentée est très investie par les jeux vidéos mais intéresse aussi son département.
Les nouvelles écritures ont été contactées par un grand photoreporter de guerre qui souhaite trouver de nouveaux moyens, plus connectés, pour engager une mobilisation citoyenne. Il souhaite utiliser la réalité augmentée pour recueillir son travail.
Autre projet : un casque qui propulse le consommateur dans une zone de combats ancestraux. Vous vous trouvez au milieu de l’affrontement. A terme, le dispositif peut être amené sur des zones de conflits actuels.
Dernier projet : le programme 360@ diffusé à partir du 17 octobre sur France 5. Deux animateurs visitent cinq grandes destinations dans le monde, des circuits hors des sentiers battus. Le téléspectateur pourra voir ce qui se passe tout autour grâce à la captation 360 et un dispositif sur son smartphone. L’idée est de sortir le programme de la télévision et le placer tout autour de nous.
En fin de session, une question est posée concernant le volume de digitalsérie proposé par CanalPlay.
Jean-Marc Lacarrere indique que le but est d’avoir une nouvelle digitalserie tous les 15 jours (en comptant les achats, les formats de la filiale de production et la coproduction/pré-achat de canal+). Environ 20 séries par an. Abordant tous les thèmes, pas dans un format sketch, mais un dispositif plus addictif.
Une rentrée riche en nouveautés. Une rentrée à la fois digitale et télévisuelle. Aujourd’hui tous les formats sont audiovisuels et numériques linéaires et non linéaires, que ce soit pour la tablette ou le mobile. Les intervenants de la table ronde ont mis en lumière les liens de plus en plus étroits entre audiovisuel et numérique. Une complémentarité recherchée et stimulée car elle sert aussi bien les contenus, qu’elle répond aux usages. Prochaine séance en Octobre. Le Club devrait être associé à un événement organisé conjointement par les Ministères de la Culture et de la Communication et le Ministère du Travail et de l’Emploi.