Session du 20/11/2014
Le Club Galilée propose aujourd’hui une session sur la mondialisation et l’audiovisuel.
Philippe Chazal rappelle les deux axes privilégiés par le club au cours de ses différentes séances: procéder de manière régulière à un état de l’art en matière de créations et d’innovations audiovisuelles, d’une part, et l’approche du secteur audiovisuel en tant qu filière industrielle, économique et sociale, d’autre part.
La session d’aujourd’hui s’inscrit dans le cadre du second axe ; nous allons nous interroger sur la relation multidimensionnelle entre l’audiovisuel et la mondialisation : on se posera notamment la question de l’attractivité de la France en matière audiovisuelle. La France terre d’accueil des groupes audiovisuels européens ? Mais aussi quelle est la stratégie internationale développée par les grands groupes français? On s’interrogera aussi sur la place des programmes audiovisuels français sur le marché international, sur l’exportation des talents français, sur les coproductions…
Le Club Galilée veut aussi au-delà de ses travaux de réflexions se montrer force de propositions.
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Jean-Louis Blot dirige la filiale de la BBC en France. BBC Worldwide est une société tournée vers l’international avec une vraie stratégie industrielle. En Grande Bretagne, il n’y a pas de CNC, souligne-t-il, les producteurs doivent trouver des financements supplémentaires ailleurs. En particulier sur le marché international.BBC Worldwide contribue au financement de la création audiovisuelle. En échange, la société prend une part de coproduction et se donne ainsi la possibilité d’avoir des programmes à proposer à l’international. Elle a aussi vocation à développer les idées afin qu’elles deviennent du contenu.
BBC Worldwide France regroupe plusieurs activités :
- Utilisation de formats issus du catalogue
- Production de documentaires (qui commencent à voyager à l’international)
Jean-Louis Blot confie qu’un documentaire pour Canal+ sur les Daft Punk est en production. Un projet qui intéresse BBC. Et pour la filiale, c’était l’objectif. Etre force de proposition. Il souligne que les séries anglaises ont parfois du mal à s’exporter, l’enjeu est d’être plus présent à l’international, une stratégie validée par Londres.
Selon Jean-Louis Blot, les productions françaises ont bonne réputation mais ne sont pas adaptées au marché international. Sur l’attractivité de la France, il note qu’il y a un grand appétit pour les formats mais un vrai blocage dans le financement de la création.
Intégrer un langage plus universel, plus anglo-saxon ?
La question de la langue se pose dans la production de formats que l’on souhaite internationaux. Cela implique de s’adapter et peut-être de produire directement en langue anglaise pour se donner plus de chances. Jean-Louis Blot explique que RMC se rapproche éditorialement de Discovery. Les nouveaux entrants permettent de faire des programmes plus adaptés au marché international.
Thierry Schluck parle du système d’aides. Comment valoriser les talents ? Quel est le facteur différenciant ?
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Gaspard de Chavagnac est le président de Zodiak France. ZODIAK est un groupe assez mal connu en France, en activité dans 15 pays différents. Il comprend en France plusieurs sociétés très différentes telles que KM, ALP, Marathon, Téléimages…
Selon Gaspard de Chavagnac, il est important de s’intéresser le plus en amont possible à la distribution.
Le premier grand domaine d’action : l’animation.
Marathon développe une logique de coproduction. Le financement des programmes se fait par une politique de préachats.
Pour illustrer cette stratégie, il évoque le projet Versailles avec Capa. 27 millions d’euros de budget dont 11 millions financés en préachat par canal+. Voilà un exemple d’exportation d’œuvre française.
Il souligne que les Etat Unis et la Grande Bretagne ont crée un standard de production. Pour la France, l’objectif est par conséquent de se mettre au niveau. L’enjeu de Versailles, c’est de produire un programme calibré pour la France capable de se vendre aux Etat Unis (cela est notamment rendu possible avec l’utilisation de la langue anglaise, le showrunner est anglais et les comédiens également).
Selon lui, il y un marché à l’export pour les produits franco-français. Exemples en fiction : Braquo, Les Revenants (financés par Canal+ et le CNC). A chaque fois on constate des axes narratifs et des écritures pointues. Au contraire, le « mainstream » a du mal à s’exporter (beaucoup de concurrence et difficile à valoriser). En effet, garder l’identité des producteurs, c’est précisément ce qui intéresse.
Un projet de documentaire semble être une structure plus solide pour pouvoir voyager. Comme Jean-Louis Blot, il est d’accord sur le fait que le succès de RMC tend à faire penser qu’on peut sortir du cadre traditionnel du documentaire. Si, comme cela a été souligné, l’enjeu est de produire en langue anglaise, le problème se trouve aussi au niveau du CNC, pour qui l’œuvre est liée à la langue.
Un marché colossal et une concurrence accrue. Sur les formats de flux, Gaspard de Chavagnac estime qu’il y a un manque de prise de risques des diffuseurs. Chez Zodiak, le seul format à l’antenne reste Fort Boyard. Si on arrivait à les exporter à l’étranger peut-être que les diffuseurs prendraient plus de risques, s’interroge-t-il. Ce qui intéresse l’étranger, c’est le volume. Un élément déterminant pour les acheteurs.
Jean-Louis Blot note que la BBC dépense 40% de son chiffre d’affaire dans la production de programme made in BBC. Les systèmes sont différents, mais cela donne des pistes de réflexion. Il défend les diffuseurs qui selon lui osent quand même des choses, notamment le services public français dans certains cas.
Voilà donc deux groupes étrangers, un public, la BBC et un privé Zodiak qui se développent en France de manière différente ;le premier en étendant une filiale implantée en France vers la production ; et l’autre en se constituant une galaxie de sociétés de production françaises rachetées.
Mais tous les deux insistent sur la nécessité de penser et de produire en même temps pour la France et l’international.
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Christophe Nobileau dirige Telfrance, qui représente 24 sociétés. « On pensait que la France était un pays de créatifs ». En conséquence, ils se sont interrogés sur la possibilité de constituer un groupe puissant en France sachant que le secteur est extrêmement parcellisé.
Leur stratégie produire et distribuer le plus possible. L’objectif est d’aller chercher des revenus à l’extérieur. Développer, produire, distribuer. Voilà le cercle vertueux selon Cristophe Nobileau qui assure à la France des revenus supplémentaires et une assise plus importante au niveau international.
Telfrance possède 6 formats développés à l’étranger. Harry a d’abord été diffusé en Turquie avant d’arriver sur France 3. C’est l’exportation qui a permis d’être présent en France. La vente de catalogue de fiction assure une rentabilité.
Le flux n’est pas aidé sur le marché local. Il prend l’exemple du marché scandinave, un tout petit marché très présent à l’international car tourné vers l’extérieur. Il faut prendre progressivement des initiatives et créer des programmes plus puissants.
Christophe Nobileau et son groupe s’interroge aujourd’hui sur la meilleure manière de se développer à l’international ; certes exporter mais aussi peut être s’implanter sur des marchés étrangers.
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Nous prenons ensuite l’exemple de l’Afrique ; le marché africain représente des perspectives de développement très importantes pour la France.
Jean-Claude Ramos présente la stratégie de Canal sur le continent africain. 40% des abonnements se font à l’international, à peu près sur tous les continents.
Canal+ Afrique est un éditeur de chaînes et un opérateur audiovisuel, 120 chaînes diffusées. Il y a un réel dynamisme sur le continent, la population est en forte croissance et l’économie progresse. +6% du PIB sur l’Afrique subsaharienne. 250 millions d’Africains francophones et 40 millions de foyers pour 10 millions d’abonnés.
En 2005/2006, Canal+ a lancé un mouvement stratégique pour mieux coller au marché publicitaire. « On est passé d’une offre d’expat à une offre massmarket ». 90% des abonnés sont non engagés et ne se réabonnent pas. Cela implique d’être tout le temps présent.
Selon Jean-Claude Ramos, il faut investir dans la technique et la capacité satellitaire. « On a réussi à renforcer une offre plus riche, de proximité : fiction africaine et talk show africain. On avance dans le cadre d’un investissement du terrain pour mieux maîtriser la distribution », explique-t-il.
L’enjeu : créer des partenariats avec des chaînes locales en flux, téléréalité, stock et entrer en production avec des partenaires pour le financement, les acteurs africains n’avaient pas l’habitude. Il rappelle que Canal+ et le satellite ont une image de cherté. Abonnement 5000 francs CFA = 7€50. La TNT permet de baisser les coûts.
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Olivier Zegna Rata observe et analyse l’évolution de l’audiovisuel africain. L’exemple d’un continent en pleine mutation et en développement rapide : l’Afrique.
Il explique que la croissance s’appuie sur le secteur des télécoms. Une situation paradoxale de rattrapage par le numérique qui gagne le secteur connexe qu’est l’audiovisuel. Il rappelle que le marché africain est dominé par la France, une présence très forte qui est cependant en baisse. Et une audience française qui joue un grand rôle dans le maintien de la francophonie.
En Afrique, la concurrence vient avec l’apparition de nouveaux systèmes de distribution. L’arrivée de la TNT a entrainé une mutation, estime Olivier Zegna Rata. De nouveaux distributeurs de bouquets sont au plus proche de la population. Il souligne également que la distribution locale de la TNT est aussi un enjeu politique. Les programmes étaient pour l’essentiel français, c’est en train de changer. Il y a aujourd’hui une production nationale au Nigéria et en Afrique du Sud, qui constituent donc deux centres d’exportation potentiels. La fiction française est produite avec des blancs, cela doit évoluer. La première chaîne du Nigéria c’est Nollywood TV : une chaîne française produite avec des programmes nigérians (une production anglo-saxonne).
Au Cameroun, c’est la télévision payante qui domine via des cablo-opérateurs locaux qui n’investissent pas dans les programmes et détiennent le marché. Pour les acteurs français, la solution serait d’encourager la production locale. Olivier Zegna Rata préconise également une coopération régionale entre certains groupes africains. Construire des coproductions pour lever des financements plus importants et déboucher sur des accords de distribution.
On parle de territoire à forte population, donc à fort potentiel. Plusieurs groupes français ont commencé à investir. Sur le marché africain, on assiste, selon Olivier Zegna Rata, à un changement de paradigme total. « Il faut réfléchir à une nouvelle manière de produire des programmes grâce à la coopération et la participation de groupes africains qui développent sur leurs propres marchés ».
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Mathieu Béjot, représentant TVFI, nous présente son point de vue sur l’attractivité de la France sur le marché international. Il veut d’emblée nuancer les idées reçues sur les faibles résultats des productions françaises sur la scène internationale. Il estime que par rapport à ce qui est disponible, cela ne se vend pas si mal ; 250 millions d’euros, c’est un peu plus que le COSIP. Il précise que nous produisons 2 à 3 fois plus de fictions que le Royaume Uni par exemple. La série les Revenants a trouvé son public. Il faut aussi prendre en compte les nouveaux supports tels que les chaînes thématiques ou la VOD pour bien mesurer le marché d’achats.
Mathieu Béjot estime que le marché français est assez confortable. De ce fait, peu de productions s’intéressent à l’international. Un marché satisfaisant mais qui tend à se réduire.
Le flux n’est pas un genre noble donc selon lui on ne cherche pas beaucoup à le développer. Les politiques de soutien en France défendent les programmes dits de « stock » français.
On se bat en France pour défendre et préserver une production différente. Cela rend les choses plus difficiles à l’international ». Le marché français se retreint, pour Mathieu Béjot, il faut aussi songer à s’adapter. Et se poser la question. Vers quel modèle veut-on aller ? Culture vs industrie ?
Une chose est certaine, la concurrence mondiale est de plus en plus féroce. Cela implique de structurer notre industrie, « un artisanat qui a du mal à se frotter au marché international ».
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Frédéric Vaulpré représente le Reed Midem, un organisateur de marchés audiovisuels en France et dans d’autre pays. Selon lui, le MIP est le reflet de la mondialisation. Suite à la dernière édition, il constate que de plus en plus de pays sont actifs au niveau du MIP. « Nous avons connu cette année le plus grand MIP COM en termes d’exposants ». Ont été comptabilisé 107 pays actifs Si pendant longtemps ce sont les grandes nations qui se sont illustrées, le MIP attire aujourd’hui de nouveaux pays. Il y a aussi plus de vendeurs, une preuve de dynamisme. Egalement de nouveaux acteurs de la télévision, Dreamworks, par exemple, vend des programmes.
Le fait que le format intéresse de plus en plus de monde est désormais une réalité. Cela donne lieu à une bataille mondiale. Autre exemple, Warner pitche et vient chercher de nouveaux talents.
La Turquie a pris la place de l’Egypte et sera le pays d’honneur du MIP TV 2015. La Russie fut longtemps un pays d’acheteurs. Ils investissent à présent dans la fiction et l’animation. Si l’Afrique était historiquement très peu présente, le Nigéria et l’Afrique du Sud représentent aujourd’hui deux « têtes de gondoles ». Nous le constatons, la physionomie du MIP évolue et se renouvelle sans cesse.
La France est-elle une terre d’espoir en matière de formats ? Pour Frédéric Vaulpré, il y a 3 signes positifs :
- L’augmentation des acheteurs venus des Etats Unis
- Le screening est depuis un an le reflet de coproductions européenne (ex : les témoins, le tunnel) ce qui témoigne d’un réel intérêt. Dans le top 30 des programmes visionnés, on compte 10 français : un indicateur d’attractivité
- La vraie force française que constitue l’animation
Frédéric Vaulpré note enfin une augmentation des acheteurs VOD. Le digital modifie résolument la créativité.
En conclusion tous les intervenants insistent sur la nécessité aujourd’hui de penser international dans le secteur de l’audiovisuel. La France ne le fait pas encore assez. De nouveaux pays montent en puissance en adoptant d’emblée cette vision.