Les urgences et les enjeux dans l'audiovisuel - séance du 14/05/2013
La séance d’aujourd’hui ouvre un cycle de trois tables rondes consacrées aux réformes prioritaires du secteur.
Le 28 mai, le Club Galilée organisera une prochaine session sur la notion de filière industrielle.
Panel :
Martin Ajdari - France Télévisions
Jérôme Caza - 2P2L et SPI
Guillaume Gronier - ACCeS
Stéphane Martin - ARPP
Christophe Pauly - CDFT des médias
Matthieu Viala - New Media Group et USPA
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En avril, le Club était présent au MIP formats afin de présenter la préfiguration de L’ incubateur sur la création de format en France dont il pilote la préfiguration.
L’objectif de la séance d'aujourd'hui est de dresser un état des lieux du secteur. Chaque intervenant présente les priorités du secteur.
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Stéphane Martin prend le premier la parole. Il représente le secteur de la publicité.
Le directeur de l’ARPP rappelle que les chiffres de l’année dernière ne sont pas bons, le marché est en baisse et les recettes publicitaires également.
Pour lui, il est essentiel qu’on considère qu’il ne doit plus y avoir de différence entre les écrans, que la publicité qu’elle soit sur l’écran de télévision ou celui d’internet ou des tablettes ou des smartphones doit obéir aux mêmes règles. Il n’y aurait alors pas de différence selon le support.
C’est une perspective stratégique à l’heure de la convergence numérique. Il est probable que cette convergence publicitaire se fera par étapes mais voici l’objectif.
Avec une démarche : ne pas charger les nouveaux écrans pour les aligner sur les écrans de télévision mais au contraire alléger celles de la télévision en se rapprochant des règles européennes en alignant les autres écrans sur ces dernières progressivement.
Et il ne faut pas nous dire que cet allègement serait la porte ouverte à une forme d’irresponsabilité des annonceurs.
L’ARPP diffuse des conseils et des alertes modulées en fonction des cibles et des audiences. Concernant la publicité, le fondement a toujours été de protéger le public et le consommateur, pour cette raison la publicité à la télévision est traditionnellement très encadrée et régulée.
Stéphane Martin explique que la publicité ne doit pas fonctionner en silo, un travail d’adaptation doit être effectué.
Il y a aujourd’hui un décalage entre le modèle protecteur hérité de l’ORTF dont certains seraient presque nostalgiques et la réalité du secteur et du marché.
En conséquence, l’enjeu principal est d’arriver à changer de logiciel, d’adopter de nouvelles règles.
Le directeur de l’ARPP préconise un allègement des règles de protection concernant la publicité TV afin de pouvoir être multiécran et plus en accord avec les autres supports.
Ajoutons puisque ce mot est à la mode qu’il est nécessaire d’engager un processus de simplification administrative dans le domaine des règles publicitaires.
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Guillaume Gronier nous présente les priorités du secteur en temps que délégué général de l’ACCeS, donc des chaînes thématiques.
L’abonnement est la troisième ressource de la télévision après la redevance et le financement public.
Pour les chaînes du câble et du satellite, la situation est difficile car on constate une vraie désaffection du payant. De ce point de vue, Canal + reste un cas à part. Il y a un problème sur la distribution des chaînes et la baisse du nombre d’abonnés (moins 200 000 foyers). SFR annonce l’arrêt de la distribution du bouquet payant. La publicité est également en grande difficulté, en partie du fait de la progression des chaînes de la TNT dont la part publicitaire est aujourd’hui non négligeable et en augmentation.
L’ACCeS a développé des indicateurs. Chaque chaîne déclare son chiffre d’affaires chaque trimestre. La baisse est significative. La concurrence vient aussi en grande partie de l’offre délinéarisée numérique et des SMAD.
Selon Guillaume Gronier, la première priorité est de simplifier la régulation. Il est aujourd’hui peu cohérent que les petites chaînes doivent remplir les mêmes obligations que les grandes chaînes hertziennes. Des ajustements et une modernisation du système sont nécessaires.
Il faut également penser à rendre les règles plus faciles à appliquer et plus progressives selon la chaîne, c’est-à-dire que les obligations doivent absolument être adaptées aux moyens de la chaîne.
La seconde priorité concerne la mesure de l’audience. En effet, l’audience traditionnelle telle qu’elle est mesurée par le Mediamat paraît dépassée face à l’éclatement de l’offre. 50% des personnes reçoivent la télévision par leur box. Guillaume Gronier souhaite que l’on puisse évaluer les usages et la consommation des téléspectateurs via ces box.
La troisième priorité porte sur l’environnement du secteur. Il y a une multiplication des contenus et des acteurs, en conséquence la réglementation doit être adaptée à cette nouvelle situation.
En particulier une égalité doit être construite entre les chaînes thématiques et les SMAD.
Concernant les chaînes thématiques, la question de la relation aux abonnés est primordiale.
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Martin Ajdari est directeur général délégué des ressources de France Télévisions. Il nous donne ses thèmes prioritaires du point de vue des diffuseurs et du service public.
Selon lui, il existe plusieurs enjeux stratégiques de long terme. Les acteurs historiques sont les acteurs structurant du secteur. Avec les nouvelles chaînes et le développement des offres numériques, quel sera l’avenir des diffuseurs hertziens comme modèle dominant ?
Un premier enjeu est celui de la qualité de diffusion des programmes. Le CSA a lancé une réflexion sur le MPEG4. Bientôt il ne sera plus possible de diffuser simultanément en HD et en SD. La tolérance à la mauvaise qualité va diminuer de plus en plus.
Martin Ajdari rappelle qu’à Bruxelles se joue une bataille entre les télécommunications et la télévision. L’enjeu à très long terme est de revoir toute la régulation du secteur.
Le second enjeu concerne la situation économique qui menace la survie de certains acteurs et qui menace également le service public dans la conduite de sa mission.
Il y a une crise au niveau des finances publiques : la redevance a augmenté de 6 euros, ce qui représente une hausse historique alors que dans le même temps l’Etat baisse de 100 millions d’euros sa subvention. France Télévisions a un chiffre d’affaires en recul de 20-25% sur deux ans. Dans ce contexte difficile, l’enjeu pour le service public est de continuer à assumer sa mission : 50% du financement de la création, la diffusion de sport gratuitement, un phénomène qui devient de plus en plus difficile à réaliser avec la concurrence des chaînes payantes qui font des offres que le service public n’a pas les moyens de challenger.
Pour trouver des solutions, France Télévision met en place une démarche d’optimisation de la grille et investit le plus au moment où le contact avec le public est le plus fort c’est-à-dire en soirée. L’objectif est le retour à l’équilibre en 2015.
Martin Ajdari rappelle que sur le plan publicitaire, un arrêt complet est toujours prévu pour 2016. L’urgence à court terme est de s’assurer de la non application de cette réforme. Face aux risques qui pèsent sur les subventions publiques, la redevance reste l’outil le plus sûr et le plus stable.
Enfin, il y a aussi un enjeu industriel. 440 millions d’euros sont investis dans le financement de programmes de flux. Dans ce contexte, un rééquilibrage des décrets TASCA est nécessaire.
Selon Martin Ajdari, le service public n’arrivera pas à ressembler à la BBC, car il n’est pas structuré pour et il accorde une large part à la production indépendante, ce qui ne correspond pas au profil du groupe anglais.
Il le répète : financer la création, c’est prendre un risque, c’est financer beaucoup. En contrepartie, le diffuseur doit pouvoir avoir des droits comme par exemple une période d’exclusivité négociée ou une souplesse d’utilisation sur tous les supports. Afin que ceux qui financent la création aient un intérêt à le faire.
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Philippe Chazal insiste sur quelques points : tout d’abord la sécurisation de la publicité en journée, puis la bataille entre les télécoms et la télévision, ensuite le sport et la nécessité de l’accès à tous de certains éléments sportifs et enfin il attire l’attention sur un paradoxe : l’augmentation de la redevance et simultanément la baisse des finances publiques alors que l’indexation de la redevance était une vraie victoire. Philippe Chazal y voit un réel paradoxe politique. Il ajoute que l’Etat à travers la négociation du COM doit être un actionnaire responsable et ne pas faire traîner notamment les négociations du COM.
Un membre insiste sur le fait que le risque de rupture du modèle hertzien est très fort. Les télécoms ont financé tous les réseaux et pris en charge toutes les plateformes ce qui induit un coût d’installation énorme qui n’est que faiblement compensé par les dispositifs de VOD. Un modèle donc déséquilibré qu’il faut remettre à plat. Pour ces raisons, l’héritage hertzien français qui est véritablement une spécificité française est fortement remis en cause.
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Matthieu Viala prend la parole au nom des producteurs.
Il parle de choc de croissance et de compétitivité. Le marché français de la télévision représente 9 milliards d’euros alors que les marchés anglais et allemand sont à plus de 13 milliards d’euros. A PIB équivalent, la différence est significative. Une comparaison européenne en termes de ressources dont il faut tirer des enseignements.
L’objectif aujourd’hui est de retrouver un marché en croissance et cela passe par de nouvelles ressources publicitaires. Trop de contraintes pèsent en matière publicitaire au niveau des régies en comparaison du développement de Google par exemple qui connaît une croissance à deux chiffres. Une uniformisation est requise.
Les nouveaux acteurs tels que Youtube et Netflicks vont bouleverser les modèles existants. Il faut se préparer à les accueillir afin d’être mieux armés et de ne pas se retrouver dans une situation de concurrence déloyale. Un point sur lequel les pouvoirs publics ne mesurent pas les enjeux.
L’USPA travaille actuellement sur une plateforme de propositions. Il ne faut pas s’enfermer dans des schémas de relations producteurs/diffuseurs obsolètes.
Matthieu Viala rappelle que le secteur des médias est un secteur en croissance. Aux Etats Unis il est la deuxième source d’exportation. Pour cela, il est important de réfléchir à comment développer les structures et les outils pour s’implanter sur des marchés européens car, dans ces domaines, le tissu industriel n’est pas au niveau.
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Jérôme Caza débute son intervention par quelques chiffres sur la situation économique du secteur de la production : en 2008, 9 chaînes investissaient 916 milliards d’euros ; en 2009, 15 chaînes investissaient 842 milliards d’euros. Plus de chaînes et un investissement pourtant en baisse. La crise s’accentue et les recettes publicitaires chutent ce qui conduit à une baisse de la diversité des genres, plus particulièrement concernant le documentaire et la fiction. En 2013, on constate une baisse du financement de la création de 20 millions d’euros, ce qui représente l’équivalent de 200 documentaires. Il y a un sous-financement de la création par la TNT : 4% du financement de la création seulement alors qu’ils représentent 30% de l’investissement publicitaire. Le marché vidéo est en baisse et non compensé par la VàD.
En conséquence, Jérôme Caza explique que le marché devient bipolaire avec d’une part des productions low-cost (essentiellement par la TNT) et d’autre part des productions haut de gamme (sur un marché qui se rétrécit). De cette nouvelle configuration, c’est la production du milieu qui souffre le plus car elle est tirée vers le bas avec pourtant le même niveau d’exigence.
La seconde conséquence concerne l’éditorial. IL y a un mimétisme dans la programmation sur la seconde partie de soirée notamment et surtout sur les chaînes de la TNT ce qui tend à une uniformisation des écritures et des formes. Pour le documentaire, c’est le genre sociétal qui domine. La fiction étrangère représente 62% de l’offre et le spectacle vivant est programmé de nuit. On note ainsi une invasion des formats étrangers grâce à des filiales basées en France qui s’appuient sur des catalogues de formats déjà testés et qui ont fait leurs preuves.
Jérôme Caza pense que l’arrivée de nouveaux entrants tels que Netflicks pourrait être finalement une bonne chose pour la création car les diffuseurs n’auront plus accès aux catalogues de fictions et programmes US et devront donc promouvoir et soutenir le made in France. Il souhaite également mettre l’accent sur la création sur le web, qui est selon lui une source d’espoir et devrait être l’objet de financements plus importants.
Enfin il évoque selon les priorités du secteur :
- Conserver le système de préfinancement des œuvres
- Encourager le développement des TPE et PME grâce à une réforme des décrets TASCA
- Recentrer les productions vers l’inédit
- Réguler la mutualisation des droits et revoir la logique de bouquet (ne doit pas être au détriment du co-financement)
- Revoir les seuils des obligations de financement de la TNT
- Impliquer les FAI et les plateformes VàD dans le financement de la création
- Permettre l’exclusivité de l’exploitation sur une courte période
- Intégrer dans le COM de l’éthique dans les relations d’affaires
- Pour France 3 : la création en région est un véritable enjeu
- Maintenir les 20% du financement de la création par France Télévisions
- Réfléchir à des dispositifs d’incitation pour encourager la R&D pour les chaînes et les producteurs (logique du droit à l’échec)
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Pour Philippe Chazal, le secteur doit revendiquer le fait d’être un secteur industriel comme les autres et remettre au centre la notion de diversité éditoriale. La R&D est partie intégrante de la notion de filière. Il faut promouvoir le Made in France.
Laurent Fonnet souligne que l’uniformisation éditoriale est en grande partie due aux pressions des régies publicitaires qui demandent des programmes susceptibles de convenir à la ménagère.
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Christophe Pauly prend la parole au nom de la CFDT.
Selon lui, il y a deux priorités. La sécurisation du parcours professionnel d’une part. Un travail difficile à assumer en période de crise mais nécessaire. Il est fondé sur la formation et ses déclinaisons. Et la mise en place d’une convention collective de l’audiovisuel unique d’autre part.
Christophe Pauly note que le secteur audiovisuel, s’il est de plus en plus immatériel, manque cependant de cohérence. Il existe en effet plus d’une dizaine de conventions collectives pour un petit secteur d’activité.
Il est nécessaire pour les salariés et le secteur lui-même qu’il se régule et se norme. Il faut être réaliste et mesurer l’équilibre social du pays.
Christophe Pauly aborde également la question des intermittents. Aujourd’hui beaucoup bénéficient de ce statut et d’une ouverture des droits au chômage, les profils au sein de cette catégorie sont pourtant très différents. Il y a trop de métiers éligibles à l’intermittence, des personnes en poste tous les jours de l’année peuvent aujourd’hui bénéficier du statut d’intermittent, parallèlement à cela des intermittents du spectacle vivent dans une grande précarité.
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Il ressort de cette table ronde de que les acteurs qui défendent des intérêts parfois contradictoires sont d’accord sur un certain nombre de priorités et d’assouplissements du système de régulation et des obligations.
Il est prévu de demander à la FICAM et à la SACD de faire le même exercice sur papier.
Le Club se réunira le mardi 28 mai pour une session consacrée à la notion de filière.