TV connectée V
La séance du 23/01/2012 du Club Galilée est consacrée à des retours d'expériences réussies dans l'univers de la « télévision connectée », à des projets audiovisuels déployés sur plusieurs supports, sur plusieurs écrans.
Séance « TV connectée V »
Philippe Chazal présente aux membres le calendrier des prochaines séances : une séance le 15 février consacrée à l'évaluation des politiques publiques dans le secteur des médias, une séance en mars centrée sur l'offre 4G. La séance « TV connectée V » s'inscrit dans un travail de réflexion du Club entamé en 2010 sur les mutations du secteur audiovisuel avec l'arrivée de la télévision connectée. Lors des sessions précédentes, le débat s'est développé sur les différentes dimensions de la TV connectée à partir d'un écran complexe ou de plusieurs écrans en lien.
Takis Candilis est le premier intervenant à prendre la parole au nom de Lagardère entertaiment. Dans le cadre de cette table ronde, il revient sur l'expérience des Borgia. Il différencie ce projet qu'il qualifie de 360 de celui de la télévision connectée, précisant qu'on ne fait pas encore de télévision connectée. Takis Candilis confirme néanmoins que le tsunami qui en résultera sera majeur. Dans ce contexte, il est nécessaire de comprendre en particulier quels seront les métiers de demain. Les programmes adopteront des formes diverses et variées, la consommation ne sera pas organisée en fonction d'horaires, ajoute-t-il. La télévision connectée est encore aujourd'hui réservée à des spécialistes son succès auprès du grand public nécessitera le développement d'outils simples et intuitifs. Lagardère est le premier groupe français de production audiovisuelle : le premier producteur de fiction française en prime time et le deuxième producteur de flux. Le groupe a quatre grands types d'activité : fiction française, fiction internationale, flux, distribution et droits. La série les Borgia est ainsi une expérience de télévision préconnectée. La saison de 2 des Borgia est déjà lancée, elle rentrera en production à partir de mars. La première saison de cette fiction a coûté 24 millions d'euros, un budget record qui oblige le producteur à trouver, au delà de Canal, des partenaires complémentaires pour financer ce type d'œuvres, en effet le diffuseur ne peut pas tout financer. La série s'est très bien vendue à l'international notamment au près de ZDF, Sky Italie, Netflicks US. Il s'agit d'une coproduction entre la France, l'Allemagne et la République tchèque où a eu lieu le tournage. L'auteur de la série et showrunner n'est autre que Tom Fontana, le créateur de Oz. A budget record, audience historique avec 22% de part d'audience. La série qui a été pensée pour le crypté connaît également un succès sur les téléspectateurs de Free. Takis Candilis insiste sur le fait que les producteurs européens ont besoin de faire des œuvres capables de concurrencer les œuvres américaines ce qui implique des budgets plus conséquents. En ce qui concerne les Borgia, les chiffres parlent d'eux-mêmes : 1 200 000 euros investis dans la campagne publicitaire, vente dans 40 pays, 3 700 000 téléspectateurs par épisode soit 25% des abonnés Canal+. La campagne de communication a débuté très en amont avant la diffusion de la série, déjà lors du tournage. Une stratégie sur plusieurs supports : les visuels de David Lachapelle présents dans le métro ont interpellé. Le jeu « Borgia the game » a été mis au point pour facebook et l'application 360 fut téléchargée plus de 50 000 fois. La campagne interactive a rassemblé pas moins de 900 000 visiteurs uniques. En 2011, les premiers teasers sur internet sont apparus, l'ambition était de faire du viral car les vidéos n'étaient jamais signées. Ont suivi la mise en ligne du site officiel ainsi que les teasers diffusés à l'antenne. Cinq mois avant, les équipes des Borgia ont commencé à inonder le marché. Une stratégie payante qui a fait de Borgia un véritable phénomène. La saison 2 bénéficie d'ores et déjà d'un partenaire tel que netflicks. Si la série est présente sur plusieurs supports, ils convergent cependant tous vers la diffusion du programme, ils s'organisent exclusivement autour de la diffusion qui reste avant tout le cœur du projet et son aboutissement ultime. C'est précisément cet élément qui distingue l'expérience de Borgia du phénomène de télévision connectée. Takis Candilis est d'avis que la télévision connectée requiert, pour notamment le deuxième écran, de changer de format, de penser plus court et surtout de changer de support. En effet, si la connexion au monde numérique a été indispensable à l'orchestration de la communication dans le cas de la série Borgia il n'en reste pas moins que le projet est centré autour de la chaîne et de la diffusion antenne. L'objectif était de créer un rendez-vous le 10 octobre 2011. Takis Candilis rappelle qu'il est fondamental que l'Europe – et les producteurs européens – produisent des programmes qui leur ressemblent. Face à l'hégémonie américaine, ils doivent collaborer. Les diffuseurs prennent peu à peu conscience de l'obligation de travailler ensemble pout upgrader le système et ainsi se mettre au niveau des productions américaines.
Philippe Bourquin fait ensuite un retour d'expérience au nom de France Télévisions et nous présente la vision de la télévision connectée telle qu'elle est conçu par le service public. Les phénomènes de désintermédiation et de contrôle de la médiation sont essentiels, ils sont aussi les facteurs majeurs à prendre en considération dans le cadre de la télévision connectée. L'audience devient participative ce qui nécessite d'avoir un service puissant et attractif. La télévision de demain s'inscrit dans la multiplication des terminaux et des vidéos ; l'expérience prime désormais sur le contenu. La télévision connectée signifie séparer le parcours et les moyens d'accès sur un même écran, elle introduit la notion de navigation et instaure un système d'applications déjà connu des usagers au travers de leur téléphone portable par exemple. Il s'agit en outre d'une télévision enrichie qui propose une interactivité entre les écrans. Internet s'invite dans le téléviseur. Pour France Télévisions, quatre défis sont à relever : les applis, le search, l'interaction et la social tv. Dans ce contexte, le groupe a déjà plusieurs retours d'expérience à présenter puisque en mai 2011 un dispositif spécial avait été mis en place à l'occasion de Roland Garros. France Télévision proposait un enrichissement de l'expérience grâce à un accès à des contenus additionnels (les scores sur les autres courts, les informations sur les joueurs par exemple) et des contenus vidéo à la demande en 3D. Les premiers tests se sont avérés positifs. En novembre 2011, le groupe lançait sur les téléviseurs Philips un service supplémentaire qui permet au téléspectateur de revoir le JT des dernières 24h et d'avoir un accès aux contenus régionaux. Ce service sera déployé très prochainement sur les produits des autres constructeurs. Ces exemples ne préfigurent pas ce que l'on peut faire sur la télévision connectée même s'ils donnent un aperçu de la stratégie numérique de France Télévisions. L'application France Télévisions info propose des applications plus élaborées avec la possibilité de suivre un flux d'information et d'être en lien direct avec la rédaction. Un des objectifs était de ne pas perdre l'audience sur un autre support. Ce portail est destiné à évoluer et s'enrichir. France Télévisions souhaite enrichir ses émissions de télévision avec des contenus supplémentaires, un enrichissement principalement en multitasking donc à travers un deuxième écran. Plusieurs chantiers sont amorcés et différents projets comme en particulier Roland Garros 2012 sont en cours avec l'ambition affichée de préparer France Télévisions au monde du search et de la recommandation, résume Philippe Bourquin. Le groupe entend également profiter de l'arrivée de la télévision connectée pour renforcer ses missions primordiales de service public telles que l'accessibilité.
Au cours de la séance, une question est posée à Takis Candilis au sujet du partenariat avec Netflicks qui a dépensé 5 600 000 dollars pour les droits US de SVOD de la série Borgia. Dans ce cadre la présence d'un diffuseur américain n'est pas un obstacle pour le géant de la VOD, elle est même requise car elle apporte au programme une visibilité et une popularité extrêmement précieuses pour le marché de la SVOD qui a parfois du mal à faire connaître son offre. Ainsi, Netfliks surfe sur le succès broadcast pour proposer un contenu délinéarisé. La président de Lagardère active répond également à la question du piratage et celle du savoir détenu par le diffuseur pour proposer à un annonceur un support idéal pour une offre publicitaire. Une connaissance que des sites comme Youtube cherchent à acquérir.
Jean-Marc Juramie présente aux membres du club présents en nombre les nouvelles avancées du groupe Canal plus. Avec tout d'abord une offre attractive pour les clients dans le respect de la chronologie des médias. En novembre 2011, le groupe lance en effet une offre de VOD à l'abonnement et souhaite ainsi toucher une cible que Canal plus atteint assez peu directement, une cible moins sensible aux produits linéaires et capable d'utiliser les outils numériques, en résumé une cible plus jeune, plus urbaine, plus digitale. L'offre permet l'accès à un catalogue de programmes éditorialisé, façon canal pourrait-on dire, dans la fenêtre de la SVOD c'est-à-dire deux ans après la diffusion. Afin de mettre ce projet en place, Canal plus a tout d'abord observé le fonctionnement de Netflicks ; sur ce marché plusieurs conditions sont requises : l'interface doit être simple et fluide, les outils de recherche doivent être intuitifs et la recommandation personnalisée. La notion de communauté joue un vrai rôle. En fonction de ce qui aura été consommé, des programmes en accord avec les gouts du consommateur seront proposés sur la home du service. Il existe de plus un moteur de recherche par envie qui détermine grâce à 27 critères le type de programmes que l'abonné aurait probablement envie de visionner, celui qui correspond à son humeur. Le choix d'une distribution large permet une offre multi device accessible sur la télévision, internet et à travers l'application Ipad, elle correspond à une réalité économique qui est que le marché de la VOD est crée par les FAI. Sur cette offre Canalplay infinity le groupe peut d'ores et déjà faire quelques remarques après un mois de recul. Le chiffre d'1 vidéo par jour et par abonné est annoncé ce qui témoigne dans une première estimation d'une consommation très significative de l'offre avec en majorité les contenus films. Ces premiers éléments sont très encourageants pour ce type de service. Jean-Marc Juramie souhaite également parler de la TV perso accessible par Canalsat. L'idée principale est de donner sur du contenu riche la possibilité de personnalisation en fonction de critères personnels et familiaux. Il présente trois exemples : M6 Music player (un service musical qui permet de sélectionner les clips que l'on souhaite voir et écouter au travers de playlists), Mon nick junior (pour les enfants, qui permet aux parents d'adapter le contenu en fonction de leurs exigences) et Campus. Dans chacun des cas, il s'agit de développer des services de personnalisation, d'interaction et de recommandation.
Benjamin Landsberger prend ensuite la parole pour parler de la série documentaire Adieu camarades diffusée sur Arte, un programme pensé pour le plurimédia et imaginé dans son déploiement multisuppport. Si la télévision connectée propose de nouveaux contenus et de nouveaux outils, elle façonne également de nouveaux usages. Selon Benjamin Landsberger, la télévision est un lieu où les contenus peuvent être partagés. Adieu camarades est un concept cross media, produit pour une multitude de supports. Le travail a débuté il y a quatre ans. Adieu camarades, c'est une série télévisée de 6h consacrée au 20ème anniversaire de la chute de l'union soviétique. Le producteur souhaitait raconter l'Histoire mais sans les intervenants habituels, au travers de témoignages d'anonymes. Au total 70 interviews filmées et une grande quantité d'archives nécessaires provenant de fonds d'amateurs et de collections privées. L'objectif d'Adieu camarades est d'incarner cette histoire de l'intérieur. Un vrai projet international accessible dans plusieurs langues. La diffusion du documentaire est accompagnée d'un livre et d'un DVD. L'équipe a de plus participé à des colloques d'histoire. Volonté était d'installer le projet dans une dimension universitaire et intellectuelle au delà de sa simple nature audiovisuelle. Le budget est de 2.2 millions d'euros. Benjamin Landsberger note que les webdocumentaires sont souvent une déclinaison, un montage des chutes. Dans le cas d'Adieu camarades, le contenu internet a été géré par une autre équipe technique avec un choix visuel plus léger. Le site internet plonge dans le récit de 30 personnages : des personnages ordinaires avec des histoires hors du commun. Le parcours est totalement libre, il n'y a pas de navigation prédéfinie. Sur le site, on peut également visionner 3 heures d'archives. Un espace très riche qui allonge le temps passé sur le site et projette le téléspecteur/internaute au cœur de l'Histoire. Le budget interactivité s'élève à 350 000 euros. Proposer une lecture européenne de l'événement avec une intégration communautaire du projet pas seulement à travers des sites comme Facebook mais aussi grâce à des communautés linguistiques qui sont souvent réunies grâce à des sites spécialisés dans différents pays, généralement très populaires, était un élément central du projet Adieu camarades. La série documentaire est également dirigée par un showrunner qui dans ce cas là est presque un directeur de collection, assisté par des réalisateurs secondaires, une nécessité en partie due à la dispersion des archives et des témoignages. Adieu camarades est un projet innovant, une série documentaire qui se déploie sur plusieurs supports et une expérience plurimédia qui témoigne aussi de la diversité des sources et rend compte du travail de collaboration des équipes.
Jean-Louis Blot enfin nous livre le point de vue de la BBC en matière de télévision connectée. Il donne tout d'abord quelques chiffres au sujet de la présence de la BBC sur internet. En 2011, 2 millions de programmes de la BBC ont été consommés sur le net : 20% de programmes télévisuels, 50% pour la radio. Il insiste sur le fait que la BBC est avant tout une marque, ce qui lui permet d'amener le consommateur à voyager entre les supports. La philosophie de la BBC est de mettre le maximum de programmes à disposition de tous. A cela trois raisons majeures : lutter contre le piratage, faire briller la culture anglaise à l'international et donner un accès aux contenus pour tous les anglais. La BBC en France développe encore essentiellement des activités de production. La politique sur les marques et les évènements permet à la BBC de se développer en dehors du programme télévisé, ce qui rend le groupe fort et capable de tester de nouvelles choses. Sur le programme Danse avec les stars, BBC France a proposé un live tweet et système de vote payant sur facebook. Les applications pour Iphone sont considérées comme des produits dérivés de la marque BBC. La notion de marque programme, qui a une direction spécifique au sein de l'entreprise, a une fonction de repère car elle aide le consommateur à savoir où il est. Une attention particulière est apportée aux contenus 360 qui permettent de toucher des publics qui n'ont pas l'habitude de consommer la télévision.
En conclusion, il est très important pour le club et ses membres de faire régulièrement un état de l'art en la matière de TV connectée dans les différents univers de création et du côté des auteurs et des producteurs comme des diffuseurs. Cette séance est ainsi une contribution à cet état de l'art permanent que le club compte tenir sur la télévision connectée.